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Hypocrite laïcité

mercredi 18 février 2004, par Siham

Nous avons décidé de créer une rubrique "témoignages". Les discriminations et le racisme, dans la vraie vie, celles et ceux qui les vivent en parlent. Et ce sont tout simplement nos voisins... 
Nous publions aujourd’hui un "J’accuse" sur les discriminations subies par une enfant "issue de l’immigration" (origine génétique présumée des enfants de parents maghrébins). Utile rappel à la réalité à l’heure ou la laïcité est parée de toutes les vertus d’égalité et de fraternité. Egalité et fraternité dont cette gamine aurait bien aimé bénéficier à l’époque.

... Marie-Paule en CM2... Siham en fin d’études...
Un gros chagrin envahit mon cœur d’enfant. Une boule dans la gorge, puis les larmes.

- "pourquoi pleures-tu, demande la maîtresse" ?
- "pourquoi Marie-Paule passe en CM2 et pas moi, alors que nous étions premières de la classe à tour de rôle ?"
- "tu comprends, tu es arabe, les études, c’est pas pour toi. Tu es destinée à être mariée, tu dois donc apprendre à tenir une maison".

J’avais 11 ans. Premiers sentiments d’injustice et de révolte provoqués par ceux-là mêmes qui étaient en charge de défendre mes droits d’enfant. Au contraire, ma maîtresse voulait me « marier » avant l’heure, chose à laquelle mes parents ne songeaient même pas.

Me voyant rentrer en pleurs, mon père s’inquiète :
- "tu redoubles ?"
- "non, je passe en fin d’études"
- "si tu changes de classe, alors pourquoi tu pleures ?"
- "tu ne comprends rien, je n’irai pas en 6è"

En effet, mon père ne comprenait pas. Il ne connaissait pas l’existence des filières d’orientation. Pour lui, l’école était la même pour tous. Il était en avance sur les réformes. Il aurait pu être ministre de l’éducation, mon vieux. Mais il était mineur. Au fond. Toute sa vie à extraire du charbon des entrailles de la terre. Petit paysan des Aurès, il avait atterri dans les puits miniers de la Loire parce que des recruteurs (français comme lui) lui avaient fait miroiter monts et merveilles s’il venait aider à reconstruire la France détruite par la guerre.

Lui, il n’était jamais allé à l’école, ni les autres d’ailleurs. Il n’y en avait pas dans son petit bled français d’Algérie. Personne de sa famille n’avait eu ce droit sous l’Algérie française. Et pourtant, l’Algérie c’était la France. Alors mon père était bien content qu’on y aille, nous. A 40 ans, il ne savait pas que l’école n’était pas la même pour tous. Je l’ai su, moi, à 11 ans. Mais j’aimais l’école. Tellement que la seule idée des vacances scolaires me rendait malade parce que ces jours-là, il n’y avait pas classe. Je me souviens, j’avais 7 ans quand ma sœur aînée, restée en Algérie, est venue nous rejoindre à Noël. Elle ne parlait PAS UN SEUL MOT de français. On l’a mise, elle et d’autres filles se trouvant dans son cas, dans la même classe que moi, en CE1, mais au fond de la salle. La maîtresse ne s’en occupait pas. Tout ce qu’elle leur demandait c’était de ne pas déranger la classe. La rentrée suivante, on l’a mise en CP. Retour en arrière ! Au premier classement, elle était 5e de la classe. Cela faisait 9 mois qu’elle était en France et parlait le français aussi bien que les autres. Les 2 langues ne nous ont jamais perturbé dans nos études. Nous utilisions automatiquement l’arabe avec nos parents, et le français avec les autres ou entre nous. A 13 ans, je passai mon Certificat d’Etudes Primaires. Première du canton. Félicitations de l’Inspecteur avec remise de prix. Photo dans le journal. Mon papa était fier ! Ses patrons l’ont félicité.

Mais personne n’a voulu changer mon orientation. Pas touche ! Ma nouvelle institutrice m’a expliqué cette fois-ci que je devais « apprendre à m’occuper de mes enfants » (que j’aurais après mon mariage, forcément !) et elle me conseillait de choisir entre « couture » et « puériculture ». La 3è et seule autre filière « commerce » serait trop difficile pour moi. C’est fou ce que mes maîtresses se souciaient de mon avenir ! Il ne leur restait plus qu’à me choisir le mari tant désiré et me l’imposer (pour mon bien, bien sûr !).

Seulement, j’avais grandi. Je ne pleurais plus. J’ai tapé du poing sur la table et j’ai « choisi » (si on peut appeler ça choisir) « commerce » ; un peu pour les embêter, mais aussi parce que c’était la solution la moins pire dans le maigre choix qu’on me laissait.

Après un C.A.P. d’aide-comptable, j’ai « galéré » pour rejoindre le lycée et passer le bac. J’avais pris du retard à cause des détours provoqués par ce cursus bizarre. J’ai obtenu ce bac après un parcours du combattant, parsemé d’embûches.
Pendant tout ce temps-là, je n’ai jamais entendu les mots « laïcité, égalité ». Pourtant, c’était tout ce que je demandais, puisque, bonne élève, je désirais être traitée comme les autres et avoir les mêmes droits (dont celui de faire des études « normales »).
Non, au contraire, l’école d’abord, puis la société plus tard, se sont ingéniées à me jeter à la figure mon origine arabe, telle un « voile » dont ils me couvraient, et à me renvoyer à une culture dont j’ignorais tout. « Tu n’es pas comme les autres ». Combien de fois ai-je entendu cette réflexion, depuis mon enfance jusqu’à... maintenant. Ce signe discriminatoire était arboré par eux et non par moi-même. Où étais-tu, laïcité qui m’a trahie ?

Plus tard, munie d’une maîtrise en sciences économiques, je me suis retrouvée confrontée à cette même ségrégation dans la vie active. Deux exemples parmi tant d’autres :

-  Je devais être embauchée par une société immobilière intéressée par le stage que je faisais au CIPL de St-Etienne. Tout s’est bien déroulé lors de l’entretien jusqu’au moment où j’ai dit mon nom (mon physique non typé ne trahissait pas mes origines). J’ai cru que mon interlocuteur s’étranglait. La chose m’aurait fait rire si elle n’était aussi sordide et tragique ! Blanc comme un linge, il est devenu ! « Nous vous écrirons ». Je connaissais le scénario. J’ai dit à mes animateurs de stage que je ne serais pas recrutée pour cause de racisme. Ils ont refusé de me croire mais l’employeur leur a avoué la raison du refus. Ils étaient atterrés !

- Une société d’assurances recherchait une personne licenciée en sciences économiques ou en droit et ayant des connaissances et une expérience en comptabilité. J’avais travaillé en intérim (seule situation où on ne tenait pas compte de mes origines). J’ai donc téléphoné, donné le détail de mon CV en omettant de révéler mon nom (chat échaudé craint l’eau froide !). La secrétaire me passe directement le directeur, Mr G. parce que, disait-elle, je « correspondais exactement au profil recherché ». Mr G. confirme, enchanté et propose un rendez-vous pour le surlendemain. Je donne mon nom. J’entends un « ah !... » à l’autre bout du fil. C’était mal barré !
- "C’est pas bien français. Vous êtes de quelle origine ?" a-t-il ajouté
- "Je ne vois pas le rapport. Que viens faire mon origine ?"
- "Je ne suis pas raciste, mais nous représentons une société qui brasse beaucoup d’argent..."
- "Merci pour l’insulte déguisée. Avez-vous l’habitude de juger et condamner les gens avant de les connaître et avant qu’ils aient fait quoi que ce soit ?"
- "Inutile d’insister. Il vaut mieux annuler le rendez-vous", a-t-il tranché.

Ce monsieur s’est défendu d’être raciste avant même qu’on puisse le lui reprocher. Mais qui l’accusait ? Attaque préventive, c’est une tactique bien connue désormais. Et s’il était raciste, ce n’était pas sa faute, le pauvre ! Un peu plus et c’était moi qui le consolait.

Même chose pour le logement....

Silence embarrassé à l’ANPE quand j’ai relaté mon entrevue téléphonique avec Mr G. C’est drôle, je n’ai vu personne crier à la ségrégation, avancer les principes de la laïcité et de l’égalité , deux choses qui ont brillé par leur absence durant une longue partie de ma vie.

Ce que l’école et la société reprochent aujourd’hui aux familles immigrées (le repli sur soi et le communautarisme), cette même école et cette même société les ont pratiqués avant elles par l’exclusion du droit à l’égalité devant l’école, le logement et le travail.

Siham.
Le 17/02/04.


"J’ Accuse..." la lettre d’ Emile Zola au Président de la République Félix Faure
parue dans l’ Aurore le 13 janvier 1898 / affaire Dreyfus