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Régis Hochart : "La Confédération paysanne est engagée dans un combat paysan et citoyen".

mardi 5 mai 2009

La Confédération Paysanne vient de tenir son congrès national à St-Etienne (les 28 et 29 avril). Elle défend les paysans, leur travail et leur droit à un revenu issu de ce travail. Mais elle le fait en lien avec toute la société, et elle porte un projet d’agriculture qui participe d’un projet de société. C’est ce que Régis Hochart, porte-parole du syndicat paysan a résumé en clôture du congrès de St-Etienne. Une analyse et des propositions à prendre en compte, au moment où beaucoup d’entre nous cherchent à construire des alternatives au système actuel...

"Nous arrivons au terme de ce congrès dans la Loire. Ce congrès qui se tient à un moment où les bouleversements dans le monde paraissent inévitables, nous l’avons évoqué à maintes reprises au cours de ces 2 journées. Je voudrais repartir du constat que nous avons fait. Cette crise annonce la fin d’une ère.

C’est en premier lieu la certitude que c’est la fin de la croissance, telle que nous l’avons vécue, nous et nos aïeux depuis deux siècles. Fin de la croissance comme réponse à nos besoins ou nos aspirations. Fin de la croissance fondée sur l’utilisation en un très court laps de temps de la plupart des réserves fossiles de la planète. Nous avons brûlé la chandelle par les deux bouts. On a commencé à comprendre que les deux bouts convergent vers un bâton de dynamite. On s’aperçoit tout juste que l’espèce humaine est assise sur ce bâton de dynamite.

C’est dans un deuxième temps le constat en pleine lumière des dégâts du libéralisme, progressivement installé en système planétaire depuis 1970. La libéralisation des échanges sans entrave, la mise en concurrence des hommes et des femmes de tous les continents et notamment la mise en concurrence de la valorisation de leur force de travail, génère des injustices qui deviennent jour après jour sources de conflits.

Ces deux phénomènes sont de nature différente. Le recours à la croissance, notamment par l’industrialisation n’était pas l’apanage du seul capitalisme. Mais si ces deux phénomènes ne sont pas de même nature, cependant ils convergent. Ils convergent pour proposer un avenir insupportable pour la plupart des hommes et même mortifère pour la civilisation toute entière.

Pour garder une planète viable, une vision et un engagement sur le long terme sont nécessaires, ce que ne peut intrinsèquement pas faire un système libéral qui réclame du profit permanent à très court terme.
Exprimé crûment, notre avenir peut s’énoncer ainsi :
- Si nous ne nous inquiétons pas des bouleversements écologiques nous disparaîtrons ;
- Si nous ne nous inquiétons pas de créer de nouvelles relations sociales nous nous entretuerons.

Il revient donc aux générations aujourd’hui présentes sur Terre, d’inventer une autre civilisation. Une civilisation qui ne s’appuie plus sur l’accumulation des biens, fonctionnement individuel, individualiste, boulimique et frénétique.

Il nous faut inventer une civilisation qui permette à tous d’accéder à l’alimentation et au logement, qui permette à chacun de se vêtir mais aussi de s’instruire et d’avoir une vie sociale et culturelle intense et sereine. Il nous faut aussi redonner du sens au travail. L’emploi n’est plus aujourd’hui qu’un échange économique pour la plupart des hommes. Le travail doit être un acte qui permette à chacun de se réaliser. L’emploi est une chose. Le sens du travail en est une autre.

Mais aujourd’hui, nous n’avons pas de modèle de remplacement clé en main. Nous ne pouvons pas énoncer « à la place de ceci, faisons cela ».

Il nous faut inventer un système nouveau, non figé, basé sur d’autres relations, et fondé sur une autre répartition des richesses, qui reconnaisse le travail et empêche l’accumulation des richesses.
Il nous faut donc construire l’alternative avec tous ceux qui en ont compris l’importance et l’urgence.

Cette alternative doit se construire pour tous les territoires et pour tous les habitants de tous les territoires.
Cette alternative est nécessairement technique et économique, sociale et écologique.
Elle doit aussi être impérativement culturelle et génératrice de plaisir.
Il est de notre responsabilité, à nous présents dans cette assemblée, et à nous tous militants de la Confédération Paysanne d’être acteurs dynamiques dans la création de cet avenir.

C’est dans la responsabilité, responsabilité que nous devons rechercher et assumer, que se trouvent la créativité et l’invention.

La Confédération Paysanne a émergé dans les périodes de troubles sanitaires tels l’ESB, politiques comme à Seattle vis à vis de l’OMC, ou à l’occasion d’interrogations éthiques ou scientifiques telles les OGM. Elle doit apparaître maintenant !

La Confédération Paysanne est engagée dans un combat paysan et citoyen.
Si la Confédération Paysanne est bien identifiée dans sa lutte d’opposition, elle est aussi un formidable outil de création de propositions. Nous devons le faire reconnaître.

En tant qu’instrument d’opposition, face à un avenir dont nous pressentons les risques et les dangers, la Confédération Paysanne se bat :
- Contre le libéralisme qui fait sauter tous les outils de régulation et précarise les travailleurs ;
- Contre l’agrandissement des fermes qui fait disparaître les paysans ;
- Contre les agro-carburants, contre les OGM, non sens économiques et écologiques ;
- Contre la mainmise des multinationales d’agrofournitures sur l’agriculture et l’alimentation ;
- Contre la multiplication des normes et des contractualisations lorsqu’elles sont utilisées comme outils de restructuration et d’élimination des paysans.
- Contre les discriminations entre paysans :
- Entre paysans d’ici
- Entre paysans d’ici et d’ailleurs
- Entre paysans reconnus ou non reconnus comme le sont les cotisants solidaires.

Comme je l’évoquais à l’instant, dans ce travail d’opposition nous sommes bien identifiés.
Mais nous nous battons simultanément pour notre projet qui est un projet de construction agricole, social, sociétal.

- Face au libéralisme et aux dégâts qu’il provoque sur l’alimentation des populations et l’équilibre social chez les paysans, nous répondons Souveraineté Alimentaire.
- A la concentration des moyens de production, à l’agrandissement et à la spécialisation, nous opposons la déconcentration, la diversification et la relocalisation des productions.
- A l’usage excessif des engrais, nous opposons l’agronomie, la matière organique des sols, la rotation des cultures, la production de légumineuses et protéagineux.
- A l’usage systématisé des pesticides, nous opposons la lutte intégrée, le recours à la biodiversité, la rotation des cultures là aussi, et une recherche tournée vers des variétés et des races plus résistantes aux attaques.
- Aux maladies sanitaires, nous opposons la relocalisation des consommations pour limiter les transferts sur la planète, nous opposons aussi le choix de systèmes d’élevages moins sensibles et moins vecteurs de maladies.
- A la prolifération des gaz à effets de serre, nous répondons agriculture économe en énergie, sols riches en matières organiques, consommation locale.
- Face à des grandes exploitations fondées sur l’investissement coûteux et la main d’œuvre sous payée, nous répondons par des petites et moyennes fermes avec des paysans qui valorisent leur travail.
- Au productivisme en agriculture, nous opposons l’Agriculture Paysanne. L’Agriculture Paysanne non pas en tant que niche, mais bien comme une réponse pour tous les territoires et pour tous les hectares de tous les territoires.

L’agriculture paysanne ne se résume pas aux petites fermes, ni à la vente directe, même si elles convergent en bien des points.
L’agriculture paysanne construit des fermes transmissibles, autonomes, économes. Elle est une réponse aux enjeux sociaux, écologiques, économiques.
La moitié de l’agriculture paysanne est dans la charte et sur les fermes, mais l’autre moitié est dans la tête.

C’est simultanément une réalité de terrain et une direction pour les militants de la Confédération Paysanne. Pour la Confédération Paysanne, il est essentiel que nous soyons aussi identifiés par notre projet.

C’est au regard de ce projet que nous savons quels paysans peuvent nous rejoindre et lesquels nous défendons. Ceux qui peuvent nous rejoindre sont tous ceux qui se retrouvent dans nos engagements.
Ce qui est déterminant, ce n’est pas la ferme que j’ai, mais ce que je voudrais en faire ; c’est le projet que j’ai, si je m’installe. _ Ce qui est déterminant, c’est la volonté d’agir collectivement pour trouver les solutions collectives et individuelles.
Nous ne sommes pas, nous ne devons pas être un syndicat élitiste de paysans parfaits. Sinon nous nous retrouverons à 5, vous vous retrouverez à 5 d’ailleurs.
Mais, nous ne sommes pas un syndicat qui défend tous les agriculteurs. Le mythe de l’unité syndicale des paysans est une arnaque. Quand, par exemple, le mois dernier, des céréaliers d’Ile de France manifestent, avec les terres qu’ils ont, avec les soutiens qu’ils ont, et qu’ils refusent de redistribuer même partiellement les aides, ils choisissent clairement leur propre confort contre la survie de centaines de milliers de paysans.

A ce stade, ce ne sont plus des adversaires, ils deviennent des ennemis, car ils s’opposent objectivement à notre projet. Ce projet, il est d’autant plus nécessaire de le porter, qu’il est un des éléments que nous pouvons apporter à la création collective de l’avenir.
Cette création collective nécessite de multiplier les passerelles avec les paysans. Avec les voisins de nos villages, avec les paysans des autres régions, des autres paysans, des autres continents.
Nous devons participer activement à ECVC [Coordination Européenne Via Campesina], syndicat européen de paysans, et à Via Campésina, dont nous sommes membres.
Ne nous y trompons pas. On ne peut puiser dans ces structures syndicales que si on y apporte. C’est d’ailleurs, la même situation entre les structures départementales et ce qu’on appelle la Conf’ nationale.

Cette création collective nécessite aussi de poser des passerelles avec les acteurs associatifs et syndicaux qui agissent sur la défense des citoyens, sur la précarisation de nos vies, sur l’agriculture, l’alimentation, la santé, l’environnement, les territoires.
Dans le temps qui a suivi les élections Chambres d’Agriculture, c’est un travail qui par l’obligation qui nous était faite d’assumer de manière responsable les évènements, n’a pas eu l’ampleur qu’on aurait pu souhaiter. Nous y revenons progressivement, et pouvons redevenir moteur.
C’est dans ce sens que nous participerons après demain, aux manifestations et regroupements du 1er mai, dans nos départements.
Construire l’alternative et l’agriculture paysanne, construire la Souveraineté Alimentaire, construire des propositions pour une autre politique agricole et alimentaire en Europe, se battre pour un droit au revenu comme on se bat pour un droit au logement ou un droit au travail, doit impérativement s’appuyer sur un combat quotidien. Combat face à la réalité quand bien même celle-ci ne nous convient pas.
Au combat pour le droit au revenu doit se superposer un combat pour le revenu, comme nous l’avons porté collectivement ces derniers mois dans le cadre du bilan de santé de la PAC.
Il est de notre mission de défendre les paysans dans les problèmes qu’ils rencontrent face aux crises, face aux multiples agressions, que le système ou les évènements provoquent.

Nous ne devons pas refaire de remake 2003, là où nous avons décidé que parce que la PAC n’était pas la nôtre, nous ne nous en occuperions pas.
D’ailleurs, ce monde n’est pas celui que nous souhaitons et pourtant tous autant que nous sommes, nous nous en occupons ; que je sache, face au monde nous n’avons pas décidé de devenir ermites, notre présence ici en est la preuve.
De ces dernières années, la PAC telle que conduite, associée aux accords de l’OMC, a été l’une des plus grosses agressions que les paysans ont eu à subir.
Sur le revenu, sur les crises, sur l’organisation des productions, sur l’installation, les droits sociaux, les retraites, nous devons être présents au jour le jour, et nos revendications inscrites dans notre projet où "produire ; maîtriser ; répartir ; employer ; préserver" gardent le même sens depuis 20 ans.

Et pour y parvenir, nous devons nous répartir le travail et échanger entre nous. Nous sommes obligés à une connaissance et une compétence. Seules la formation et l’éducation populaire que j’évoquais plus haut, nous permettrons collectivement d’y parvenir.
Pour y parvenir, nous devons aussi être nombreux.
Dynamique syndicale d’une part, campagne d’adhésion d’autre part, en sont les premiers outils.
Ce n’est pas seulement une nécessité fonctionnelle, pour assurer la continuité d’un syndicat où les plus jeunes prendront notre place prochainement.
C’est aussi, un enjeu politique central, au moment où le libéralisme, mais aussi, le pouvoir politique national tentent d’affaiblir, de brider, d’étouffer les syndicats et tous les espaces d’expression, dans ce contexte où l’esprit démocratique est malmené, voire menacé.

Au moment où la colère gronde de toutes parts, nous devons contribuer à lui donner un sens politique.
Le défi politique majeur est de réussir à opérer une transition vers une société en harmonie avec la planète, plus juste, sans que les pouvoirs financiers et ceux qui en bénéficient, détruisent la démocratie pour maintenir leurs privilèges.

C’est tout l’enjeu de ces prochaines années.

Et je terminerai en citant "le manifeste pour des produits de haute nécessité” signé par des écrivains et des artistes de Guadeloupe, Martinique. C’est dans la responsabilité que se trouvent l’invention, la souplesse, la créativité et la nécessité de trouver des solutions endogènes praticables. 

Je citerai aussi quatre mots d’Hervé Kempf : la solidarité rend heureux.  "

Régis Hochart
Porte-parole