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Chasse aux tziganes, étrangers et français “d’origine étrangère” transformés en boucs-émissaires, déchéance de la nationalité...

Ne marchons pas dans la dérive sécuritaire

L’équipe Sarkozy est prête au pire pour garder le pouvoir.

samedi 7 août 2010, par Roger Dubien

Destruction record d’emplois en France en 2009 : la note de Pôle emploi tombée ce 5 août est vite passée d’actualité. Et pourtant, elle mériterait que les grands médias creusent la question : “l’année 2009 se caractérise par des pertes nettes d’emplois en très forte accélération” : 256 000 emplois salariés ont été détruits en 2009 en France, soit un chiffre “jamais observé depuis l’après-guerre”. L’industrie est le secteur le plus touché (168 200 suppressions).
Et la fin annoncée de la retraite à 60 ans, avec le rendez-vous d’action du 7 septembre avec les syndicats, faut-il encore en parler ? Et les relations entre les gouvernants actuels et l’oligarchie qui se goinfre pendant que des millions de personnes angoissent pour l’avenir de leurs familles ?
Alors que l’élection présidentielle et l’élection législative approchent (c’est dans 20 mois), le pouvoir actuel semble avoir décidé une nouvelle fuite en avant dans la politique sécuritaire, pour essayer de garder la main.

Car ce qu’ont annoncé Sarkozy et Hortefeux ces derniers jours est gravissime. Un coup d’oeil en arrière montre que l’opération est froidement calculée. Evidemment, dans un pays qui va aussi mal que la France, pas difficile ensuite de trouver dans l’actualité des occasions ou des prétextes pour mettre en oeuvre et mettre en scène tout ça.

- Dès début juin, le ministre Lellouche (voir) parle de “plusieurs centaines de milliers” de Rroms en France (énorme mensonge : leur nombre est entre 10 000 et 15 000, et il est bien placé pour le savoir). Il lance le procès.

- Quelques jours après, Sarkozy demande à Hortefeux (ministre toujours en poste bien que récemment condamné pour injure raciale...) de mettre en oeuvre un plan spécifique contre “la délinquance rom”.
(voir Le Figaro : Mobilisation contre la délinquance rom)

- Saisissant ensuite l’occasion des violences de St-Aignan, Sarkozy organise à l’Elysée le 28 juillet une réunion spéciale sur “les gens du voyage et les Roms”. On a affaire à un raisonnement ethnique et à une stigmatisation raciste. Car ce qu’ont en commun les “gens du voyage” (Plus de 400 000 personnes en France, français à plus de 95% dont certains sont français depuis plus de 600 ans !! et dont 1/3 seulement sont des nomades), c’est leur “origine ethnique” : leur origine tzigane. Car Manouches, Gitans, Roms ou Yénisches sont des Tziganes. La chasse aux Tziganes est donc à nouveau ouverte ?
Ils ont en commun aussi, d’avoir été désignés par les nazis, il y a 70 ans, comme un peuple à anéantir au même titre que les juifs. Les Tziganes ont un mot pour désigner leur génocide : le Samaduripen. La connaissance de cette histoire - qui marque profondément la vie actuelle des différentes populations tziganes, la connaissance aussi du rôle peu glorieux de la France dans cette période, devrait suffire à conduire des gens honnêtes et sérieux à faire attention à ce qu’ils disent et à ce qu’ils font vis à vis des Tziganes, en particulier des Rroms.
Bien sûr aujourd’hui, les expulsés et les fichés (car un travail effort de fichage des personnes est fait depuis des années - les forces de police connaissent maintenant parfaitement les personnes, familles etc...) ne sont pas regroupés dans des camps puis mis dans des trains qui mènent à des fosses d’exécution, à des chambres à gaz et à des fours crématoires. Et donc 2010 n’est pas 1940-1945. Mais les mots et les qualificatifs employés par certains aujourd’hui en Europe pour parler des Tziganes ont de tristes résonances. Attention à l’engrenage de la banalité du mal.
Ceux qui en doutent peuvent lire ce qu’a écrit en 2008 le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg après un voyage en Italie : “l’histoire honteuse de l’antitsiganisme en Europe est oubliée - et se répète” .
Voir Thomas Hammarberg
Et lire aussi “La France contre ses Tsiganes” , de l’historien Emmanuel Filhol :
La France contre ses Tsiganes

- Ensuite, à Grenoble,le 30 juillet, un cran de plus : Sarkozy annonce l’installation de 60.000 nouvelles caméras de vidéo-surveillance, le réexamen des règles de naturalisation, et la déchéance de la nationalité française pour des français d’origine étrangère ayant commis certains crimes ou délits (A Grenoble, dans le contexte, on peut considérer que ce sont plutôt les personnes d’origine maghrébine qui étaient dans le viseur), la généralisation des peines planchers, la prolongation du port du bracelet électronique après l’exécution des peines, la “responsabilité pénale” des parents (amende, emprisonnement - c’est quelque chose de très différent de la responsabilité civile, qui est l’obligation de réparer un préjudice commis à autrui) pour des actes de leurs enfants. Et dans la foulée, l’UMP a proposé ouvertement que des parents d’enfants délinquants puissent être emprisonnés...
Un lien direct est cette fois ouvertement affirmé par la présidence de la République française entre immigration et délinquance ! C’est sans précédent depuis 70 ans. Et ce sont des mesures d’exception, contraires à la Déclaration des droits de l’Homme et à la Constitution française qui sont annoncées pour la rentrée.
Au plus haut niveau de l’Etat, le raisonnement est sans doute fait que ce qui a marché hier peut fonctionner demain. A condition d’augmenter la dose et d’aggraver les actes. Les Le Pen aboient. Mais Sarkozy est plus fort qu’eux : il frappe.

Le feuilleton des prochains mois ?

Tout de suite, l’organisation du spectacle de l’évacuation des “camps rroms” a commencé, et il a commencé avec l’expulsion hypermédiatisée du bidonville rrom de St-Etienne (même si c’est la 11ème à St-Etienne cette année - et qu’on en compte déjà probablement une centaine en France en 2010...). Le feuilleton pourrait durer pendant des semaines et couvrir peut-être la suppression de la retraite à 60 ans ? Rien ne sera caché aux télé-spectateurs (sauf la détresse humaine et quelques explications de base qui permettrait d’y comprendre quelque chose) : on saura combien d’expulsés - hommes, femmes, enfants -, combien d’OQTF, combien de policiers mobilisés, etc... La “transparence”, pour mieux banaliser la violence.

Maintenant, on nous explique, sondage du Figaro à l’appui, que les français soutiennent massivement ces décisions de Sarkozy, qui était pourtant quelques jours avant “au plus bas dans les sondages”... Quoi qu’il en soit, les sondages, ça va ça vient, et d’ailleurs les gens répondent vite fait aux questions que les sondeurs leurs posent, et les sondeurs posent les questions que les commanditaires du sondage leur disent de poser, ils ne demandent pas aux gens ce qui leur apparaît prioritaire pour leur vie et leur avenir... Mais de toutes façons, ce ne sont pas les sondages qui font la justesse et la légitimité d’une politique.

Après les Rroms, on va donc essayer de nous enrôler pour la déchéance de la nationalité française de personnes qui sont françaises mais le seraient moins que d’autres, ayant des parents qui ont immigré en France dans les générations précédentes. Qu’ils se tiennent à carreau. Ça promet des débats compliqués pour décider qui est français à 100%, à 75%, à 50%, à 25%, pour savoir s’il faut remonter aux parents, aux grands parents, plus loin encore ? Mais ce genre d’exercice a déjà été fait dans l’histoire, et donc il doit être possible de gagner du temps... (1)

Ce que ces gens-là veulent nous imposer pour se maintenir au pouvoir est une terrible régression.
Bien sûr, cela n’arrangera en rien la situation de toutes celles et tous ceux qui sont frappés aujourd’hui par la crise d’un système dont la seule logique est le profit des financiers et les gaspillages de l’oligarchie. Et attention, ceux qui se réjouiraient de la brutalité d’Etat contre les étrangers doivent s’attendre à ce que leur tour arrive, si ce n’est pas déjà fait. L’expérience risque de réserver des réveils douloureux à ceux qui se laisseront endormir et enfumer.

Attention aussi : des commentateurs, conseilleurs, consultants... expliquent à “la gauche” qu’il faudrait être “réaliste” sur “l’insécurité”, que c’est cette politique là que les français veulent, et que si elle veut gagner les élections, il faut qu’elle s’aligne sur ce genre de discours et de politique.
Mais la réalité c’est que la dérive sécuritaire a déjà trop imprégné les partis et élus de gauche depuis plus de 10 ans : multiplication des caméras de vidéo-surveillance, chasse aux Rroms, etc... Certains élus de gauche sont dans cette logique là, comme à la mairie de St-Etienne, où dans ce domaine M. Vincent poursuit ce que faisait M. Thiollière.
L’expérience montre pourtant que dans cette direction là, en plus de l’honneur, la gauche a à perdre aussi les élections. Le virage sécuritaire du gouvernement de gauche a largement contribué à la défaite de 2002, à provoquer un 2ème tour entre Chirac et Le Pen. 10 ans après, rebelote ?

Pour la gauche, la dérive sécuritaire est un naufrage et un piège. Il y a des moments où il faut avoir le courage d’affronter l’adversaire, de mettre sur la table les questions essentielles pour notre vie et notre avenir à tous, et de faire des actes pour la dignité humaine, la justice sociale et la liberté.

Roger Dubien

(1) Voir par exemple Raoul Hilberg : “La destruction des juifs d’Europe” - trois tomes aux éditions Gallimard - on y trouvera aussi des indications sur la destruction des Rroms)
Lire aussi, après l’annonce par Hortefeux de la déchéance de la nationalité, la déclaration de l’UJFP-Union Juive Française pour la Paix, dès le 15 juin : “Révocation de la nationalité ? Encore un pas vers Vichy !”