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Témoignages de Palestine

Témoignages de Jérôme sur Balata/Naplouse, et de Jocelyne sur Hébron/Al Khalil

mercredi 11 août 2004

Hier à Balata ...

Témoignage de Jérôme, transmis par Guillaume Pasquer (Lyon), qui écrit : "Ce que vous allez lire n’est pas de la théorie, c’est de la réalite. Ca s’est passe réellement dans le camp de réfugies de Balata (près de Naplouse en Palestine) très récemment. Le texte, écrit par Jérôme (que j’ai croisé en Palestine en 2002) date du 18 juillet 2004. Texte terrible... G.P.

"Jérôme, tu vas écrire quelque chose sur ce qui s’est passé à Balata tout à l’heure, n’est-ce pas ?

L’ambulance traverse Naplouse endormie, balayant la route de son gyrophare rouge et silencieux.

Ecrire quoi. Pour qui. Je n’y avais même pas pensé. L’idée de raconter ne m’avait même pas effleuré. L’écriture est trop loin de moi en ce moment. Firaz fixe la route de son regard noir, de son regard perdu dans le souvenir de cette après-midi à Balata, de son regard noyé dans le souvenir de toutes ces après-midi à Balata ou ailleurs. Jérôme, tu vas écrire quelque chose sur ce qui s’est passé à Balata ?

Tu te souviens, c’était la semaine dernière. Nous marchions dans la grande rue de Balata. Deux jeeps bloquaient les deux issues de la grande rue. Autour du camp, la foule turbulente avait laissé place à un désert. Entre les deux jeeps, un tronçon de rue se retrouvait prisonnier. Alors les enfants ont commencé à jeter des pierres. Et les jeeps avaient fait rugir leur moteur. Tu étais resté immobile, fixant la jeep et tu m’avais dit : ’’Quelle vision pour ses enfants, cette jeep avec ses phares menaçants...’’. Puis de la jeep, les soldats avaient tiré une grenade et tu n’avais pas bougé. Je comprends aujourd’hui que ces phares brillant au loin comme des projecteurs de mirador t’effrayaient plus que la grenade. Je crois que tu as raison. Ces yeux jaunes et bruyants doivent hanter toutes les nuits les cauchemars de ces petits des rues, bien plus que tout.

Ces yeux de fer, je les ai revu hier, à Balata. Dans la même rue. Au même endroit où nous nous trouvions tous les deux il y a une semaine. A la même heure. Les moteurs ont rugi de la même façon et de la même façon, les jeunes ont commencé à jeter des pierres. Tu avais senti de la gêne à les regarder lancer leurs grenades pour grenadine, leurs bouts de pastèque et leurs cailloux trop lourds pour leurs petits bras. Tu avais dit, partons, le spectacle est terminé. Tu étais gêné d’être spectateur. Je t’avais dit que pour pouvoir raconter plus tard, il fallait passer par cet état déplaisant de spectateur, de voyeur, que nous n’avions pas le choix. La guerre se joue sous nos yeux, sous nos appareils photos. Les vieux ne jettent même plus un oeil sur la rue et restent accrochés à leur narguilé ou à leur partie de backgammon. Les enfants aux mains pleines de pierres rient et nous leur rendons leurs sourires un peu gênés. Reste là petit, ne t’approche pas du monstre aux yeux de feu, reste à côté de moi et pose tes pierres, reste avec moi je t’en supplie.

L’ambulance fonce dans les rues de Naplouse silencieuse. Des chats jaillissent des poubelles à notre passage. Je vais écrire Firaz, mais comment dire ce que personne ne veut entendre. Toi, tu te moques maintenant que l’on t’entende ou pas. Ce qui est important, c’est de parler, et de parler encore et de raconter inlassablement les corps que tu as transportés dans ton ambulance, jusqu’à ce que les mots ne te viennent plus. Même quand je ne t’écoute plus, Firaz, tu continues à me raconter. Parce qu’il n’y a aucune raison pour que tu me racontes la mort de Taher, sans me parler de celle de Marwan, ni de me parler de la mort de Ghassan sans me raconter celle de Mohammad. Quand tu as fini de raconter, tu ne dis plus rien, pendant un long moment. Parler te vide, je le sens bien. Mais comment reprendre le volant tous les jours sans s’être vidé jusqu’a l’épuisement. Comment continuer à charrier des cadavres en les portant tous sur ses épaules.

Je vais écrire, Firaz, je vais écrire.

C’était dans la même rue que celle où nous étions la semaine dernière. Les mêmes jeeps, les mêmes pierres, les mêmes enfants.

Et Yasser.

Une première rafale de mitraillette dans les jambes le jette à terre. De ses mains ouvertes, les pierres roulent sur le sol. Firaz, tu es à trois mètres du jeune homme blessé, les portes de ton ambulance sont grande ouvertes. Le jeune médecin suédois hurle ne tirez plus, ne tirez plus. Les soldats vous ordonnent de reculer. Puis l’un d’entre eux sort de la jeep verte aux yeux jaunes et pointe son fusil sur le blessé à terre. Il tire à quinze reprises. La poitrine est transpercée, la tête vole en éclat. Yasser avait vingt ans."

Jérôme.

Témoignage de Jocelyne, à Hébron*

89ème mission civile CCIPPP, 3 août 2004, transmis par Patrick Feldstein sur la liste Assawra

"De retour de Palestine ( 89ème mission), voici quelques exemples de la tyrannie israélienne à Hébron...

400 colons occupent la ville et sont protégés par 1 600 soldats. Toutes les entrées de la vieille ville sont fermées par des gros cubes ( 1mètre x 1 mètre) de béton + jeeps + soldats en armes + caméras. Les colons veulent toute la vieille ville, et donc tyrannisent les derniers habitants de la vieille ville.

Exemples :
- frapper toutes les nuits dans la porte d’entrée (qui est souvent en fer), imaginez le bruit !
- diffuser par haut parleur des bruits de relations sexuelles. (!)
- entrer dans les maisons (sans frapper évidemment) et s’y installer, s’asseoir, jouer aux cartes ...
- ce qui est arrivé à une famille (voir aussi le témoignage de Manu du Morvan sur le site CCIPPP) que nous avons rencontrée : porte d’entrée fermée pendant 5 jours, famille enfermée dans le salon 3 jours (avec une poubelle pour faire ses besoins), réveil en pleine nuit avec obligation de regarder un film porno. On leur a proposé 1 million de dollars pour partir. Ils restent.
- ce qui est arrivé à notre jeune guide qui habite dans la vieille ville : il doit présenter ses papiers pour aller et sortir de chez lui, et le matin où nous avions rendez-vous à 9h, il n’est arrivé qu’à 10h30 : le soldat l’a fait attendre une heure et demie avant de l’autoriser à sortir de la vieille ville après lui avoir fait éteindre son portable (nous ne pouvions le joindre).

A quoi ressemble la vieille ville ?
à une ville fantôme. Des enchevêtrements de ruelles avec de chaque côté des portes de magasins (en fer vert, style porte de garage chez nous) fermées et surtout : nous seuls à déambuler ... pas âme qui vive ! rien, le soleil et nous ! sur des mètres et des mètres... D’autres rues barrées avec du barbelé jusqu’en haut, dans d’autres rues du grillage au-dessus de nos têtes : là habitent des colons dans les étages et ils ont l’habitude de jeter n’importe quoi par la fenêtre.

La ville nouvelle :
la vie grouille, une ville avec ses embouteillages, son marché, ses hôtels, ses restaurants, les commerces qui se suivent, les gens qui nous interpellent pour nous dire bonjour, merci ... (et vive Chirac ! ) il y a une université mais les étudiants qui habitent dans les villages autour d’Hébron ne peuvent pas toujours s’y rendre, c’est difficile surtout les jours d’examens qui sont reportés ou organisés dans les villages... partout, on nous l’a dit et re-dit, l’accent est mis sur l’éducation des enfants.

Visite chez une agricultrice
Un comité (dont j’ai oublié le nom et mes notes voyagent en ce moment entre Israël et la France par la poste) aide les agriculteurs à rester sur leurs terres et à se défendre contre les colons. Nous avons vu une femme (40/45 ans, un mari qui a un autre travail, 10 enfants) dont la maison et la terre sont coincées entre une colonie et la route qui mène à la colonie. Sur sa terre, entre 1/2 et 1 hectare pas plus, des tomates, de la vigne avec de grosses grappes de raisins et quelques oliviers et aussi une grande parcelle non cultivée avec plein de tuyaux dessus : c’est le système d’irrigation que les colons sont venus arracher. Il manquait aussi quelques pieds de tomates que les colons avaient arrachés, quelques oliviers sont couchés par terre. Les raisins sont encore là mais tôt ou tard les colons (surtout les femmes et les jeunes filles, les hommes palestiniens n’osent rien leur dire) viendront couper les grappes et les piétiner ..

Ces tracas ne sont rien au vu de la maison : toutes les vitres cassées par les colons (et l’hiver : il fait froid, il neige parfois). La maison a 3 pièces (peut-être 4) : une petite cuisine que nous n’avons pas vue, un petit salon avec un modeste canapé et des chaises en plastique et une grande pièce vide très propre : des matelas empilés dans un coin et des couvertures dans un autre, ce doit être la chambre commune, pas un meuble : ils ont tous été volés par les colons !

Cette famille n’a pas le droit d’avoir une voiture, les enfants doivent aller à l’école à pied (4km), pas le droit de prendre le bus... et ils s’accrochent à cette terre, nous offrent un jus de fruit...

Visite chez d’autres agriculteurs ( 2 frères), toujours avec le comité.
Ils produisent des fruits : prunes, raisins, olives, noix, un grand verger de plusieurs hectares (4 si je me souviens bien). Ils ont aussi une parcelle avec des amandiers mais depuis peu, ils n’ont plus le droit d’y aller ! mais le tout est traversé par la route ! 1/3 avec la maison, 2/3 de l’autre côté de la route. Il faut traverser la route à pied ou faire un grand détour avec le tracteur. Tracteur que les Israéliens ont déjà confisqué 4 mois et cassé 2 fois. Ils ont aussi cassé la voiture. Ils ont aussi une parcelle avec des amandiers mais depuis peu, ils n’ont plus le droit d’y aller !

Là aussi, nous sommes reçus comme des hôtes de marque : de l’eau fraîche, des fruits, du thé à la menthe.

Nous repartons, admiratifs de leur patience, peut-être honteux de notre impuissance...

Jocelyne, de Vendée...

Pardon d’avoir été aussi longue, et il y a autant à dire sur Qalqilya, Naplouse où l’on tire puis achève de 15 balles les jeunes de 17 ans ....


*(Hébron (Cisjordanie, Palestine occupée), c’est l’autre nom d’Al-Khalil, la ville où vivent Amjad Najjar et Jihad Abu-Rasmi Khatib, responsables du Club des prisonniers Palestiniens Nadi Al-Asir al-Filistini venus à St-Etienne le 30 juin)

Lire de nombreux témoignages des missions civiles sur le site web de la CCIPPP