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Au-delà du Non

vendredi 25 mars 2005, par Raymond Vasselon

Les sondages, les discussions, les débats montrent que nous sommes nombreux, citoyens de France et d’Europe à avoir décrypté l’objectif du projet de constitution avec beaucoup de lucidité.
Nous savons qu’il s’agit, pour ses initiateurs, de parachever un niveau d’intendance politique et bureaucratique qui soit un outil global de domination efficace, bien verrouillé.
Sa fonction est la mise en œuvre légale et institutionnelle, sur les territoires européens, des vastes projets élaborées par les pouvoirs économiques et financiers qui opèrent à l’échelle de la planète. Son objectif est d’avoir les coudées franches pour faire circuler sans entraves capitaux, marchandises et main d’œuvre.

Nous comprenons que l’énorme déficit démocratique que révèlent les analyses approfondies du texte provient du fait que le perfectionnement des processus démocratiques ne peut pas faire partie des objectifs de ses rédacteurs.
Ils sont au service de forces pour qui l’Europe, n’est qu’un territoire à exploiter parmi d’autres. Si nécessaire, nous l’avons vu, nous le voyons, ces forces ont, sans état d’âmes, recours à la guerre comme outil de transformation des territoires.

Les partisans du oui mettent la pression sur la nécessité de bâtir une " Europe politiquement cohérente, capable d’efficacité " face au géant américain " qui connaît mal le monde " et que sa puissante solitude rend dangereux.
Ils mettent le doigt sur les faiblesses du non : l’absence d’alternative. Selon eux, le non est sans projet, c’est un chaudron ou mitonnent peurs de l’avenir et du monde, replis identitaires, corporatismes diverses, nostalgie, nationalisme et souverainisme de droite ou de gauche, etc. .
Leur argumentaire est connu, il ne faut pas en sous-estimer l’efficacité. Car il est vrai que si les " non de gauche " existent et s’expriment avec souvent beaucoup d’intelligence et de charisme, ils côtoient des " non " dont la motivation profonde est d’une toute autre nature, nous le savons toutes et tous. Nous voyons aussi des " non " qui se proclament de gauche portés par des gens qui, arc-boutés sur une conception autoritaire de la République, stigmatisent toute une partie de notre jeunesse, ne craignent pas d’évoquer son caractère " sauvageon ", et accusent les partisans du dialogue entre cultures et civilisations de rouler pour ceux " dont l’ambition est d’islamiser l’occident dans une perspective fondamentaliste ".

Nous ne pouvons pas faire comme si l ‘ensemble des " non " étaient harmonieusement rassemblés derrière le drapeau de la transformation progressiste du monde. Cette campagne ne doit pas nous aveugler sur la gravité des questions qui tourmentent notre société : les conséquences du racisme moderne, les dérives populistes de la télévision, l’élargissement du traitement sécuritaire des problèmes de la pauvreté tissent la toile de fond des débats.

Il importe de se hisser au bon niveau des enjeux et donc, dans la campagne pour le non de gauche, sans perdre de vue la nécessité du rassemblement large, d’inviter les citoyens à entrer en réflexion à partir de leur vécu sur la question de l’Europe, de son devenir, de son rôle dans le monde. Nous devons nous y employer, malgré la pression simplificatrice et malveillante des médias et malgré les inconvénients de l’ambiance binaire.

Les raisons du " Non de gauche " seront d’autant plus profondes, porteuses de perspectives et de progrès humains si elles sont nourries par un mouvement donnant corps à quelque chose d’autre qui correspond à nos aspirations.
Les raisons du " Non de gauche " seront d’autant plus profondes si elles sont créées par celles et ceux qui travaillent à impulser des pratiques nouvelles à tous les niveaux de la société.

Les partisans du oui de droite et de gauche argumente aussi sur le fait qu’une victoire du non isolerait la France.
" Comment peut-on être pour l’Europe et, en même temps, détruire la base de l’Europe du futur ? La Constitution est plus sociale et plus démocratique que le traité de Nice et va permettre à l’Europe d’exister sur la scène internationale.
Cela me sidère que l’on puisse faire croire qu’il sera possible de négocier une meilleure Constitution. Avec qui ?Avec les gouvernements de droite qui ont refusé d’aller plus loin ? Les tenants du non se croient à Eurodisney ! "
s’écrit Martin Schulz, président du Parti socialiste européen.

Mais justement, il est impératif de rejeter cette vision de la " négociation " de l’avenir des peuples uniquement au niveau et à partir des pouvoirs institutionnels et bureaucratiques centralisés.

 Ce que le " non de gauche" met en cause, ce n’est pas l’Europe mais cette conception dépassée et dangereuse de la politique qui confisque les décisions qui engagent l’avenir de l’humanité.  

L’ancienne logique qui fait de l’arène politique le lieu clos et unique des débats est non seulement révolue, elle est inefficace : c’est dans toute la société civile que doit avoir lieu le débat, car c’est la société qui résiste, qui crée, qui élabore les alternatives.

L’expérience nous a montré que dans les pays d’Europe (dont le nôtre en particulier) où la gauche a été portée " aux affaires " (comme on dit si bien) avec uniquement cette vision du pouvoir central à partir duquel on va tout changer, ça n’a pas fonctionné. Parfois même ils sont devenus les pays qui ont été les plus ardents pour mettre en place la globalisation, parce que la possibilité d’un contre-pouvoir créateur, permanent et nécessaire y a été terriblement amoindrie par la délégation et son tragique cortège de désillusions.

Les " bases " du projet politique d’Europe sociale, écologique et citoyenne se fixant comme but le dialogue et non pas le clash entre les civilisations et les cultures, le co-développement et non pas le pillage des pays du sud, le multiculturalisme et non pas l’exaltation de la pulsion de puissance existent.

- De très nombreux collectifs et mouvements européens portent des solutions alternatives à la guerre (nous l’avons vu ces jours), des solutions de lutte contre la pauvreté, des solutions de coopérations, de co-développement. Ils aspirent, comme nous à une Europe qui propose au monde de rejeter la guerre comme méthode de règlement des différents entre les peuples, entre les différentes cultures. Certains de leurs militants peuvent se décider à jouer un rôle politique de premier plan dans un avenir proche.

- Beaucoup travaillent sur la question du maintient et surtout du développement des services publics conçus comme éléments fondateurs d’une société de partage, de solidarité, d’élargissement des droits humains fondamentaux à l’échelle mondiale. Beaucoup réfléchissent à la construction de mécanismes d’appropriation sociale pour développer le contrôle citoyen de leurs missions et objectifs à tous niveaux.

- Beaucoup luttent pour une Europe qui fixe les règles des droits du travail, des salaires, selon les normes les plus favorables et les plus exigeantes, qui garantira le droit à un emploi pour toutes et pour tous. Une Europe garantissant les droits des femmes à disposer d’elles-mêmes, qui adoptera une loi contre les violences qui leur sont faites, et exigera de tous les Etats membres le respect du droit à l’IVG.

- Beaucoup de travail a été fait pour repenser et moderniser la démocratie de délégation, pour développer des formes de démocratie participative à tous les niveaux et notamment le contrôle des budgets publics. Dans de nombreuses régions d’Europe (Italie, Espagne, Allemagne) on débat pour décentraliser les institutions dans le sens d’un partage des pouvoirs pour aller vers une maîtrise de la globalisation. On discute pour inventer une notion de citoyenneté universelle avec libre circulation, droit de vote des étrangers etc. ...

- On trouve aussi beaucoup de militants qui travaillent sur l’autonomie alimentaire, les nouveaux rapports nord-sud ou sud-sud, les nouveaux rapports ville-campagne, les processus citoyens participatifs, sur la sortie du modèle capitaliste-productiviste-néo-colonial, la différenciation entre croissance et développement territorial...

- Il y a bien sûr aussi les combats contre les marques à l’école, la lutte contre l’échec scolaire et l’exclusion, la définition du travail, la citoyenneté mondiale concrète...

Nous apprenons par ICPPC (International Coalition to Protect the Polish Countryside) que la moitié de la Pologne s’est déclarée "zone sans OGM" et que de surcroît, de fortes déclarations à l’encontre des OGM ont été faites par la principale organisation des agriculteurs en Donaslakie.

Donc, dans l’univers libéral commence de scintiller une multitude de petites et moyennes planètes alternatives.

Leur rassemblement, et si nous y travaillons, leur convergence, permettra non seulement de rejeter le projet de traité actuel, mais aussi de proposer et de multiplier de véritables alternatives, de se réapproprier en Europe tous les lieux de démocratie et d’en créer de nouveaux.

Raymond Vasselon