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Khaled Kelkal : 10 ans après

dimanche 9 octobre 2005, par Abdelaziz Chaambi

En 1995 Khaled Kelkal un jeune lyonnais soupçonné d’activités terroristes
était poursuivi (à la manière d’une chasse à cour) par 800 gendarmes et
abattu délibérément dans les monts du Lyonnais alors qu’il aurait pu être
arrêté et jugé. Nous avons tous en mémoire les propos de l’officier de
gendarmerie qui criait à ses hommes : « finis-le ».

Nous ne saurons donc jamais à quel degré Khaled Kelkal aurait-été impliqué
dans la vague d’attentats de 1995, et s’il « roulait » pour lui et ses
copains ou s’il était manipulé par certains services français ou étrangers,
et la phrase de l’officier de gendarmerie ne fait que renforcer les doutes
et les interrogations là-dessus.

Ce qui nous semble important de relever à partir de ces évènements
dramatiques, c’est qu’un phénomène nouveau , mais prévisible, venait
d’apparaître sur le territoire national, et ne fera que s’amplifier durant
la décennie 1995-2005 pour s’étendre ensuite à l’Europe : les attentats du
07 Juillet 2005 à Londres, ne feront que le confirmer. De jeunes citoyens,
élevés par les institutions de la République et fruits du modèle
d’intégration français, allaient passer à l’action terroriste. La région
Lyonnaise défraiera la chronique à plusieurs reprises dans ce domaine :
rappelons nous l’affaire de Djerba en Tunisie, les prisonniers de
Guantanamo, ou les convertis partis faire le Djihad en Afghanistan.

Déjà en 1990 lors de la première guerre du Golfe, nous avions eu des signes
précurseurs de ce phénomène : l’identification des jeunes maghrébins de
France à Saddam Hussein dont ils ne connaissaient pas grand-chose, si ce
n’est que la France et l’Occident entraient en guerre contre lui. En tant
qu’acteurs associatifs dans les banlieues lyonnaises, nous avions alors
alerté les institutions, et autres journalistes, politiques , sociologues,
psychologues, travailleurs sociaux, religieux etc... pour entamer une réflexion
sur ces phénomènes de radicalisation et sur le fait que ces jeunes ne
s’identifiaient pas à la France ni à des hommes et des femmes de leur
connaissance, mais à un dictateur arabe ou aujourd’hui à un « illuminé »
musulman qui veut précipiter la guerre des civilisations.

Nos incessants appels n’ont pas trouvé d’écho en France mais en Allemagne,
ou un sociologue dénommé Dietmar LOCH avait pris la peine de venir dans la
banlieue lyonnaise rencontrer Khaled Kelkal et des acteurs associatifs
musulmans durant de longs mois pour tenter de comprendre le malaise que nous
vivions et ses sources. Par contre nous n’avions pas vu le moindre
spécialiste de l’islam, de la banlieue ou du monde arabe, qui pourtant vont
se bousculer sur les plateaux de télévision et dans les médias pour donner
leurs avis à chaque évènement touchant le monde arabo-musulman, et y compris
sur nous-mêmes. On verra même une profusion de publications sur l’islam et
les jeunes de France dont certains auteurs n’ont jamais mis les pieds dans
une banlieue et n’ont jamais rencontré l’objet de leurs études.

C’est ainsi , dans l’ignorance et la diabolisation de faits sociaux et
culturels importants que nous cheminons en France depuis une vingtaine
d’années, laissant ainsi la place à l’émergence de la violence et du
salafisme d’un coté et à la déchéance et l’économie parallèle d’un autre.

L’action que nous avons mené au sein de l’UJM (Union des Jeunes Musulmans)
sur la région lyonnaise depuis 1987 avait consisté à concilier l’identité
musulmane et la citoyenneté dans la tête de jeunes en manque de repères et à
qui on offrait la possibilité de s’engager socialement et politiquement tout
en préservant leur spiritualité et leur islamité, et ce, en évitant les
écueils de la violence et du terrorisme. Ce travail avait pourtant reçu
l’éloge (en coulisse) de plusieurs élus et personnalités lyonnaises dont le
Père Christian Delorme celui qu’on a nommé le curé des Minguettes). Mais
cette perspective éducative et cette identité nouvelle ne convenaient guère
à nos décideurs et à leurs interprètes venus du Maghreb nous polluer avec
leur contentieux avec l’islam et les islamistes de là-bas. Et comme la
France avait fabriqué des supplétifs à l’armée française pendant les
colonies, elle allait nous créer des supplétifs culturels et politiques au
service du modèle d’intégration français, hégémonique et nèo-colonial. Leur
basse besogne consistera alors à entretenir un amalgame pervers entre
l’islam de France et ce qui se passait alors en Iran, en Afghanistan, en
Algérie ou en Arabie Saoudite, au point que de 1990 à 2000 dès que nous
apparaissions sur la scène publique nous étions sommés de nous expliquer et
de nous justifier par rapport à ce qui se passait sous d’autres cieux ; et
bien qu’ayant montré patte blanche à chaque fois, nous étions exclus du
débat public et mis au banc de la société. La déclaration de Charles Pasqua
en 1996 sur l’islam DE France et non plus EN France n’y changera rien. Nous
avions alors continué notre travail d’intérêt public dans les quartiers à
travers des actions socio-éducatives qui prenaient en compte les
spécificités culturelles des jeunes, tout en étant privé évidemment des
subventions publiques qui étaient par ailleurs attribuées au Secours
Catholique, à Notre Dame des Sans Abris ou au Fonds Social Juif. Nous avions
alors sacrifié de notre temps et de notre argent car nous pensions que le
jeu en valait la chandelle : il s’agissait de montrer à nos petits frères et
soeurs qu’on pouvait être français et musulman sans renier l’une de ces
dimensions et nous en étions un exemple vivant.

Le choc de la réalité

Pendant que nous cheminions avec notre identité multiple et assumée, les
jeunes de banlieue s’intéressaient ou découvraient l’islam à travers nos
réseaux, et en faisaient une approche progressiste en s’engageant dans la
vie sociale politique et culturelle ; ils avaient tendance à devenir des
citoyens conscients et responsables. Pour la première fois les jeunes
maghrébins de France revendiquaient tout à la fois : le respect de leur
islamité et un traitement égalitaire de la part de la République. Mais
c’était sans compter avec les pratiques, les mentalités et les
représentations racistes et néo-coloniales en cours dans les institutions de
notre cher pays. Face aux aspirations et revendications légitimes, ces
jeunes ne rencontraient la plupart du temps que du racisme institutionnalisé
face à l’emploi, au logement, à l’école, à la santé aux loisirs. Les trois
dernières décennies ont été jalonnées de crimes racistes, de bavures
policières et de justice complice, d’exclusions sociales, de
discriminations et d’injustice de toutes sortes couronnées aujourd’hui par
une islamophobie dont les sources plongent dans les Croisades en passant
par la Reconquista et la période coloniale. Les affaires du foulard depuis
1989, et leur traitement médiatico-politique ; la Loi du 15 Mars 2004 sur
l’interdiction des signes ostensibles à l’école, dont on connaît le
véritable objectif, la Loi du 23 Février 2005 qui veut faire enseigner à
l’école le rôle positif de la coloniosation,

les amalgames savamment entretenus entre musulmans - islamistes - terroristes,
les dizaines d’expulsion d’Imams, les différents dispositifs et cellules
anti-terroristes avec leur fameux juge Bruguière Cow-Boy qui tire dans le
tas et va chercher le potentiel coupable par la suite, les récentes
déclarations de Nicolas Sarkosy qui parle même de déchoir de leur
nationalité française les coupables etc.. tout ceci ne vise en réalité
qu’une catégorie de la population : les français de confession musulmane qui
résistent à l’oppression et à l’injustice en France et ailleurs. Et pour
mieux distinguer le bon grain de l’ivraie on va nous sortir du chapeau des
musulmans de service comme on a eu droit aux arabes de service (qui font
encore des heures supplémentaires) pour servir la cause et cracher sur leurs
semblables qu’ils accuseront d’être des radicaux, des gens adeptes du
double langage, ou des gens qui prônent un islam de rupture avec les parents
ou des idéologues de la violence.

La réalité c’est aussi la responsabilité de l’Etat français dans l’émergence
de pratiques radicales ou terroristes chez certains musulmans. Pendant que
nous prônions durant deux décennies un engagement citoyen auprès des jeunes
des quartiers en leur faisant croire à un changement possible grâce à leur
persévérance, la société nous refusait les moyens pour pérenniser nos
actions et ne leur proposait que rejet et frustration comme elle l’avait
fait à leurs grands frères de la Marche de 1983, ce qui jeta au fur et
mesure du discrédit sur notre discours et sur le modèle que nous proposions...
L’armada de centres sociaux de MJC et d’Associations satellites et
khobzistes (les gameleurs ceux qui cherchent leur pain) n’y changera rien,
et malgré leurs moyens colossaux ne proposeront que de l’assistanat ou de
l’occupationnel.

C‚est alors que nous voyons arriver sur la scène, depuis une dizaine
d’années, et comme par enchantement les Salafistes et autres Djihadistes qui
eux vont prôner un discours et des pratiques de rupture avec le reste de la
société et vont offrir une reconnaissance et une valorisation démagogiques à
ces jeunes qui ne croient plus en la France et ça marche !!! Ceci marchera
d’autant mieux que la France a soutenu la junte militaire en Algérie qu’elle
a participé à la première guerre du Golfe qu’elle se trouve en Afghanistan
et que la question palestinienne symbolise l’injustice et la Hagra, et que
dans le même temps certains jeunes sont traités d’anti-sémites et de
terroristes potentiels, de sauvageons etc... ce qui les amènera encore plus
loin en tombant dans la violence et le terrorisme. Nous savons depuis
Goffman que le stigmate finit par être intégré et revendiqué par ceux dont
on les affuble.

Quelle issue

Depuis les attentats du 7 Juillet à Londres, les premiers du genre, le
gouvernement britannique semble avoir pris conscience qu’il y avait urgence
à réfléchir sur les causes qui ont entraîné de jeunes musulmans britanniques
à devenir des kamikazes et à commettre des crimes odieux. Une cellule a donc
été créée pour proposer des solutions à l’attention du gouvernement
britannique. On peut douter de l’efficacité des solutions qui seront
proposées tant que la société anglaise restera une société où le
communautarisme structure les rapports humains et définit la place de
l’individu, mais l’intention, et la volonté sont là et ceci constitue une
différence fondamentale avec la France. En effet, depuis 1996 et la vague
d’attentats qui a touché la France, nous avons assisté à une gestion de
l’Islam de plus en plus policière et criminalisée pour aboutir à une
instrumentalisation politicienne avec la création du CFCM (Conseil français
du Culte Musulman).

L’Islam et les musulmans sont traités chez nous comme s’ils étaient
étrangers et condamnés à le rester à vie. Le fameux deuxième, troisième
et quatrième génération ressassé à ce jour et l’attitude de nos politiques
vis-à-vis de l’entrée de la Turquie en Europe suffisent à nous le rappeler...

Il est impératif, si nous voulons éviter d’avoir des kamikazes bien de chez
nous, de considérer l’Islam et les musulmans comme une partie constituante
de l’identité et de la réalité françaises, d’aujourd‚hui et même d’hier et de
permettre leur expression et leur contribution au même titre que les autres
composantes du pays. Nos ancêtres n’ont-ils pas contribué à la rationalité
occidentale elle-même ancêtre de la Laïcité, n’ont-ils pas contribué à la
libération de la France du joug fasciste, n’ont-ils pas contribué de manière
importante au développement économique de ce pays durant les trente
glorieuses ?

Nous devons mettre un terme à ces réflexes politiques populistes et racistes
qui consistent à nous présenter à chaque élection le bouc émissaire à
travers l’immigré, les jeunes de banlieue, le musulman et l’islam pour mieux
camoufler les incapacité de nos politiques à proposer de véritables
solutions aux problèmes sociaux et économiques qui rongent le pays.

Il faut cesser de nous faire peur pour mieux nous priver de nos libertés.

Il faut cesser d’immiscer les pays d’origine dans la gestion de l’Islam de
France.

Il faut cesser de considérer les citoyens français de confession musulmane
comme un vivier électoral et comme des mineurs politiques mis sous tutelle.

Il faut revisiter et re-écrire l’histoire coloniale et cesser le
révisionnisme en ce qui concerne la guerre d’Algérie et l’Esclavage en
particulier.

Il faut cesser de traiter la question palestinienne et tchétchène, entre
autres, en nous présentant les bourreaux et les victimes sur le même plan.

Il faut rappeler les médias à leur déontologie et les inciter à
l’objectivité lorsqu’ils traitent de la question de l’Islam et du monde
arabo-musulman.

Il faut encourager les lieux de dialogue et de connaissance mutuels entre
les différentes composantes de la société et mieux faire connaître l’islam
afin de lui donner la même place que les autres religions et courants de
pensée.

Il faut arrêter de nous leurrer avec le modèle d’intégration français dont
on voit les résultats catastrophiques.

Il faut cesser de nous amuser avec les arabes et les musulmans gadget : un
ministre arabe par ci, un préfet musulman par là.

Il faut mettre un terme à l’hégémonie des laïcards qui s’acharnent sur
l’islam et les musulmans et qui en définitive desservent la France et la
Laïcité en préparant le terreau d’une guerre civile.

Il faut enfin se rappeler que l’histoire ne pardonne rien et que la vérité
finit toujours par émerger.

Abdelaziz CHAAMBI
Membre fondateur de l’UJM et de DiverCité

6 octobre 2005