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La Cinq, télé publique

mercredi 20 septembre 2006, par Mohamed Chouieb

Dimanche 10 septembre 2006, 18h30. Kamel tomba par hasard sur l’émission " Ripostes " sur la chaîne " Cinq " de la télé publique qui , veille du 5ème anniversaire des attentats de New York oblige, avait arboré un titre de circonstance, alarmiste, bushien à souhait, : " 11 septembre 2001, début de la 3ème guerre mondiale ? ".

Même si, en découvrant les invités, il n’attendait pas grand chose du débat, il espérait au fond de lui-même, face à cette terrible interrogation, recueillir quelques informations qui, ajoutées aux éléments qu’il maîtrise déjà sur la question, lui permettraient de se faire une idée sur l’avenir. Faudra-il s’inquiéter ou non, faudra-il aménager un abri anti-atomique pour lui et sa famille, stocker des provisions ou continuer à vivre comme si de rien n’était ?
Comme invités, il y avait, par ordre de notoriété médiatique :
- Jack Lang, candidat à la candidature, qui trouvait là l’occasion de s’expliquer devant le plus grand nombre sur les raisons qui l’ont amené en Syrie et en Iran ;
- Edouard Balladur, président de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale, sérieux comme un pape, à faire regretter le temps où, même à droite, les politiques n’étaient pas des diablotins agités ou des mannequins sortant de l’eau ;
- Jean-Louis Bruguière, juge antiterroriste de légende, le regard glacial que tout musulman devrait éviter de croiser sous peine de se retrouver à Guantanamo, capable de flairer le terroriste à 10 km à la ronde ;
- Pierre Servant, expert militaire dont le déguisement civil n’arrivait pas à masquer l’envie folle de partir illico pour une troisième guerre du golfe ;
- Pierre Bahout, arabe libanais, allure grande classe, présent pour le fun.
Afin de veiller à... l’objectivité du débat, il y avait aussi Daniel Shek, l’ambassadeur d’Israël en France en personne. La lippe boudeuse, le regard hautain, il jetait de temps à autre un regard dédaigneux aux intervenants comme s’il n’avait rien à cirer de ce qui se disait car la vérité, il n’y avait que lui qui la connaissait, les certitudes, il n’y avait que lui qui en possédait. L’attitude d’un suzerain sur le plateau d’une télé publique d’un pays vassal et dont même les mensonges les plus éhontés, (il s’est permis de déclarer qu’Israël n’occupait plus un cm2 du territoire libanais ... alors qu’il occupe les fermes de Chaba qui font plus de 20 km2) sont acceptées comme vérité absolue.
Dans un premier temps, Kamel se demanda pourquoi avoir invité ce personnage à un tel débat. Pourquoi l’ambassadeur d’Israël et pas l’ambassadeur de Moldavie ou du Vanuatu se dit-il, avant de réaliser que personne ne peut mieux qu’Israël, parler de la troisième guerre mondiale, lui qui est en train de l’appeler de ses vœux et de ses actes depuis un demi-siècle.

Et Serge Moati qui officiait. La mine grave, le front barré de rides de circonstance, il agitait les bras tel un sémaphore détraqué, ivre de sa puissance de maître de cérémonie, piétinant les règles de l’équité, octroyant puis confisquant la parole selon son bon vouloir, ignorant certains propos et privilégiant d’autres, distribuant des rallonges à certains et muselant d’autres d’une poigne impitoyable.
- Ils sont en train de parler de la 3ème guerre mondiale, pardi ! c’est qu’il a dû se passer quelque chose de très grave dont il n’était pas au courant, se dit Kamel !
Au fil des interventions, il se rendit compte qu’en fait, toute la question tournait autour de sa pomme, lui, l’arabe, le musulman. Lui qui, malgré sa nationalité française que lui confère le double droit du sang et du sol, malgré le fait qu’il ait toujours préféré le stade à la mosquée, il sait qu’il restera Arabe et Musulman, donc terroriste potentiel, ennemi juré de l’Occident chrétien et, par là même, de son propre pays. Lui qui fait semblant d’être tranquillement assis, là, devant sa télé alors que tout le monde est en train d’apprendre qu’en réalité, il est un soldat engagé dans la 3ème guerre mondiale que les méchants ont déclaré au monde libre, au monde civilisé.
A un moment, il prit peur avant de se rassurer devant l’inconsistance et le manque de sérieux du débat.

En fait, il comprit vite qu’il n’y avait pas plus de 3ème guerre mondiale que de beurre au Sahara et que les gens étaient là pour tout autre chose. Il s’agissait surtout, après la débâcle libanaise, de réhabiliter l’image d’Israël aux yeux des Français en mettant en exergue son rôle et le travail qu’il fait pour leur sécurité en sa qualité d’avant-garde du système de défense occidental face aux menaces des Autres. Et en même temps aussi, permettre au lobby pro-israélien en France de réaffirmer son soutien indéfectible à Israël malgré la barbarie de ses agressions au Liban et en Palestine.

Par ses efforts pitoyables pour lever toute équivoque quant à sa loyauté envers l’état sioniste, Jack Lang fut le plus pathétique de tous les participants. Malmené, harcelé, acculé dans les cordes, sommé de s’expliquer sur ses voyages en Syrie et en Iran, pays de l’axe du mal s’il en fut, et qu’il a honorés de sa présence, eux, les états déclarés terroristes par l’Occident chrétien et ses valets. Présidentiable potentiel, ne voulant s’aliéner la sympathie de personne afin de ratisser au plus large, il a commencé chacune de ses phrases par des déclarations d’amour éploré envers Israël - ce dont n’avaient cure les procureurs improvisés - tout en essayant quand même de faire passer un message subliminal en faveur des droits des Palestiniens. En faisant cela, il a tout simplement démontré qu’il était plus à l’aise dans une techno parade ou à la première du festival de Cannes que dans les arcanes de la politique du Moyen-Orient.
Le plus digne, le plus " homme ", se dira Kamel, c’était Balladur qui a asséné quelques vérités pas piquées des vers, affirmant avec force le droit des Palestiniens à disposer d’une patrie. Il est vrai qu’il n’est pas candidat...
Mis à part Pierre Bahout dans le rôle de l’Arabe de service qui n’a pas eu le droit d’ouvrir sa bouche plus d’une fois, a qui même Jack Lang a refusé de prêter l’oreille quand il a essayé de lui parler en aparté, tous les autres participants ont entonné le chant bushien du choc des civilisations, signant un chèque en blanc à l’ambassadeur d’Israël qui, en retour, les rassura en affirmant, à propos de l’agression contre le Liban, que si c’était à refaire, son pays referait exactement la même chose. A noter quand même que ses interlocuteurs ne sont pas allés jusqu’à l’applaudir...
Dire que les contribuables français paient une taxe télé pour que la télé publique, leur télé, serve de plate-forme de propagande pour le dernier état colonialiste de la planète !
A quand une grève de la redevance télé ?

Mohamed Chouieb