Mon site SPIP

Accueil > Collectif Liberté Justice Palestine > Eric Hazan à St-Etienne : sortir du schéma de la séparation

Palestine-Israël

Eric Hazan à St-Etienne : sortir du schéma de la séparation

Aller sur le chemin d’un Etat unique entre la Méditerranée et le Jourdain ?

mercredi 4 avril 2007, par Roger Dubien

Merci Eric Hazan. Pour cette rencontre passionnante ce samedi 31 mars au Centre Coligny. L’auteur de “Notes sur l’occupation” et éditeur à La Fabrique de nombreux livres qui concernent Israël et la Palestine a raconté son dernier voyage de 2006 en Cisjordanie occupée et discuté avec la quarantaine de personnes présentes.
Ce qui suit n’a rien d’un compte-rendu exhaustif de cette rencontre, ce sont seulement quelques notes sur ce qui a été dit... Et vers la fin, mon avis personnel aussi..

“C’est pour comprendre mieux que j’ai entrepris ce voyage, pour comprendre la machine bureaucratico-militaire qu’on appelle occupation...”

3 villes : Naplouse, Kalkiliya, Hébron

Naplouse
"Tous les sommets des collines sont occupés par des camps militaires israéliens avec une zone de no man’s land en dessous. On ne sort pas de Naplouse par les collines...
Naplouse est en état de siège. On n’en sort que par les checkpoints. Le fait qu’aux checkpoints les règlements n’ont aucun sens fait partie de l’humiliation.
Si j’avais à vivre dans une de ces 3 villes, je choisirais Naplouse. Car c’est une ville ou l’esprit de résistance est très vif. déjà en 1936-1939... De jour, l’armée israélienne ne rentre pas dans Naplouse. Sauf avec des chars. Mais ils viennent toutes les nuits : on tire tous les soirs dans Naplouse. L’armée vient chercher des gens dans la vieille ville ou dans le camp de Balata. Tous les soirs des tirs, des blessés, et 2 ou 3 morts par semaine...
Mais ce n’est pas une ville sinistre.
Comment les habitants survivent-ils économiquement ? Mystérieux. Mais ce qui est certain, c’est le rôle de la diaspora palestinienne. Exemple : ce propriétaire d’une scierie qui tourne à 20% et paie pourtant les salaires de 32 personnes. C’est sa famille qui envoie l’argent d’un des pays du golfe pour pouvoir tenir...
Mais vivre dans le camp Balata est un cauchemar."

Dans la discussion, Denise qui est allée à Naplouse fin 2006 témoigne que la pauvreté s’est beaucoup aggravée durant l’année 2006 (les effets du blocus économique mis en place en début d’année par les USA et l’Europe suite à l’élection d’un gouvernement Hamas)...

Kalkilyia
"30 à 40 000 habitants. Entourée par le mur sur 340°. Sauf une porte, que Sharon a fait rouvrir en disant que quand même ça rappelait trop quelque chose d’autre, on ne pouvait pas se permettre...
80% de chômeurs. C’est une ville ruinée. C’était une ville de maraîchers, dont les principaux clients étaient des israéliens. Le mur a coupé les maraîchers de la terre et de leurs clients. C’est une ville sinistrée.
De Kalkilyia, on voit les immeubles de Tel Aviv... Tout ça (Israël, la Palestine) est dans un mouchoir de poche.
Municipalité Hamas... Comme Naplouse.
A Kalkilyia, il ne peut pas y avoir de résistance (matériellement) sauf dans les têtes..."

Hébron
"400 colons extrémistes rendent la vie infernale à 140 000 personnes. La ville est divisée en deux. C’est une annexe des accords d’Oslo, qui sont à la base de l’essentiel des malheurs depuis 1993.
6 colonies israéliennes dans H2. Plus une grande colonie à côté. Des colons extrémistes fous furieux...
Les 20 000 palestiniens qui sont dans H2 y restent dans un esprit de résistance.

Eric Hazan a visité la rue commerçante avec l’employé de la mairie qui relève les compteurs. “je ne m’en irai jamais” a dit un commerçant qui n’a presque plus de clients..."
Eric Hazan a été hébergé dans une famille FPLP. Tous les soirs l’armée vient arrêter des gens sur dénonciation. Il existe tout un réseau de collaborateurs - délateurs mis en place par les israéliens.
Les hébronistes sont très tristes.

3 villes, 3 systèmes d’oppression différents...

Ceux qui sont les plus malheureux, estime Eric Hazan, ce sont

- Les habitants des camps : réfugiés et fils de réfugiés de 1948. Ce sont des quartiers en dur, un peu plus pauvres et plus sales que les derniers quartiers de la ville... Les réfugiés ne dépendent pas de la municipalité de la ville à laquelle ils sont accolés. Mais de l’UNWRA, depuis 1948 ou plutôt 1949. Pendant tout un temps, l’UNWRA a fait du bon boulot : c’était une institution de l’ONU bien dotée. Mais le principal bailleur était les USA, donc...
La relation entre les réfugiés des camps et les municipalités n’est pas très bonne.

- Les familles de prisonniers, surtout depuis le boycott. Elles recevaient de l’Autorité palestinienne un “salaire”, une sorte de petit RMI qui permettait à la famille de vivre (surtout que c’est souvent le chef de famille qui est en prison en Israël), et aux prisonniers de manger dans les prisons israéliennes (il doivent acheter de la nourriture), et de téléphoner.
Les conditions des visites sont terribles : prendre des cars de la croix-rouge qui traversent Israël de nuit (les prisons sont en Israël), souvent ce sont les enfants tout seuls qui y vont (c’est interdit à beaucoup d’adultes). Ils voient un moment leurs parents derrière une vitre, menottés...

- Les paysans des villages, surtout ceux dont les terres sont de l’autre côté du mur de séparation. Ils chargent leurs produits dans une camionnette, par exemple des tomates... Jusqu’au check point. Là, ils passent ou pas, selon le jour. Mais de toutes toutes façons, ils doivent décharger et changer de camionnette. Et ainsi de suite de checkpoint en checkpoint. Pas de train, pas d’autre solution que la route. Les paysans ont beaucoup de mal à écouler leurs produits...

“En quoi ce voyage a-t-il changé ma manière de voir...

... la manière de voir de quelqu’un qui était quand même bien au courant ? Ce voyage m’a permis un démontage de la propagande israélienne”.
Par exemple :

- “La notion de mur est très trompeuse...
* Ce n’est pas un mur de sécurité, c’est évident. Si c’était cela, il ferait 200 kms à l’ouest de la Cisjordanie, et non 700. Les méandres du mur sont faits pour accaparer les terres.
* Le mur ne sépare pas deux espaces. Ce n’est qu’un élément, un mât d’un grand réseau jeté sur la totalité de la Cisjordanie (routes de contournement, colonies, zones militaires interdites, checkpoints...). C’est un quadrillage. Les palestiniens vivent dans les mailles de ce réseau.
* “Eux chez eux et nous chez nous” (leitmotiv de la gauche israélienne) ? Ça n’a pas de sens. Il n’y a pas de chez eux. Le mur est un réseau.”

- La notion d’occupation :
* Implicitement une occupation est quelque chose de temporaire. Là ça fait 40 ans qu’elle dure. C’est une des plus longues occupations que le monde ait connues.
* Implicitement ça veut dire occupation militaire. Ici l’occupation ce n’est pas d’abord l’armée, c’est les colonies. L’armée est là pour défendre les colons. Tous les dispositifs militaires sont pour appuyer les colonies.
Le vrai problème de la présence en Cisjordanie, c’est les colonies.
Sharon a démantelé les colonies de Gaza et dit “nous renonçons au grand Israël”, “nous allons évacuer toutes les colonies sauf les grands blocs de colonies le long de la ligne verte, et on donnera des terres en échange”. Si on n’a pas vu les choses sur place, on peut gober ça et se dire : pourquoi pas ? Mais c’est un bluff, un mensonge incroyable.”

Et Eric Hazan dessine la carte de la Cisjordanie coupée en 3 morceaux par les grands blocs de colonies :
Le bloc d’Ariel (qui avance jusqu’au milieu de la Cisjordanie), et Maale Adoumim à la hauteur de Jérusalem. On va donc vers 4 “cantons”, “4 morceaux de Palestine (3 en Cisjordanie + Gaza). Sans communication les uns avec les autres. Sans frontières avec l’extérieur. Appeler ça un Etat ?! Ceux qui refusent aujourd’hui l’Etat d’Israël tant qu’il n’a pas rapatrié dans les frontières de 1967 ses colons et ses soldats ont raison. Accepter, c’est capituler.”

Que faire pour l’avenir ?
On peut synthétiser les axes de solutions dans 3 voies.

1 - “celle qui continue la politique israélienne depuis 1967 : grappiller tous les jours de la terre palestinienne. Rendre impossible la vie des palestiniens avec l’espoir jamais formulé qu’un jour ils seront si fatigués et si malheureux qu’ils partiront ou imposeront à leurs dirigeants d’accepter des bantoustans.”
Cette façon de perpétuer le statu quo peut se faire de différentes façons :
- Cynisme : ne font rien, et USA soutiennent, et Europe est complice...
- Feuille de route, quartet, Genève, plan des 22 pays arabes...Tout ça c’est du pipeau. Le statu quo peut être maintenu avec ou sans masque. Tout ça c’est des masques.
L’idée des israéliens que la majorité des palestiniens finira par céder est une erreur. Les palestiniens sont des paysans, accrochés à leur terre.

2 - “Celle qui espère l’arrivée au pouvoir en Israël d’un gouvernement qui déciderait le retrait.”
Peu de chances de se réaliser. Cf les problèmes pour évacuer les 8 000 colons de Gaza ! Ici c’est 400 000 colons en Cisjordanie !! Guerre civile possible. Aucun pouvoir israélien ne prendra une telle décision.
Est-ce que ça veut dire que rien n’est possible ?

3 - “Remplacer la loi du sang par la loi du sol : tous les gens qui sont entre le Jourdain et la mer Méditerranée sont citoyens d’un état unique avec une égalité absolue des droits civils et politiques, sans tenir compte de la religion.”
Utopique ? Mais est-ce qu’on veut garder la guerre permanente, à long terme ?
Eric Hazan pense qu’il faut différencier deux choses : la présence juive en Palestine, qui est un fait, et qui doit continuer. Et un Etat juif, dans lequel seuls les juifs sont citoyens à part entière.
“Des penseurs juifs ont mis en garde contre la souveraineté juive en Palestine.”
Il dit que d’ailleurs le plan de partage de l’ONU en 1947 établissait un Etat binational (monnaie unique, ports communs, Jérusalem capitale internationale...).

“Dans notre propre tête, il faut arriver à faire le ménage et à sortir de la tête le schéma de la séparation.
On laisse les gens où ils sont. Et ça résout le droit au retour. Jérusalem capitale de l’état unique...”

“Ce n’est pas à nous de dire l’état final, c’est trop tôt. Mais déjà sortir de nos têtes l’idée de la séparation”...

Discussion...

On se doute bien que cette idée suscite chez chacun de nous (et chez les présents) des réactions vives. Pour plein de raisons. Notamment, l’exigence que justice soit vraiment rendue aux Palestiniens, dont la terre a été confisquée par la guerre. Et puis aussi ce sentiment que jamais Israël n’acceptera un Etat unique dans lequel tous les êtres humains vivraient dans une égalité de droits civils et politiques.
C’est ce que dit Amjad, palestinien : “les israéliens nous refusent un Etat sur 22% de la Palestine, vous croyiez qu’ils vont accepter un Etat avec nous sur 100% ?” Il souhaite la solution à un Etat unique, mais n’y croit pas. Surtout qu’il y a aussi la question des réfugiés, dont Israël ne veut pas entendre parler, et les discriminations contre les palestiniens qui sont aujourd’hui israéliens...

Et pourtant...
Ce qui est vrai, c’est que cette marche vers un Etat unique est la plus opposée au sionisme, à l’instauration sur la terre des Palestiniens d’un Etat dans lequel seuls les Juifs sont pleinement citoyens, en chassant continuellement les Palestiniens (“More land, less arabs”).
Est-ce que c’est normal que tout juif de la planète ait le droit de s’installer en Israël mais que les Palestiniens qui ont été un jour chassés par la guerre ne puissent pas revenir chez eux ?
Peut-on arriver à faire comprendre aux Israéliens qu’il y a deux choses différentes : la présence juive en Palestine, qui ne sera pas remise en cause. Et un “Etat juif et démocratique” (“démocratique pour les juifs, et juif pour les arabes”, comme dit Azmi Bishara) ?

Pour le moment, reconnaît Eric Hazan, “si un meeting national était organisé en Israël pour un Etat unique, cette salle serait trop grande”. Mais... “Il faut faire la différence entre la présence juive là-bas et l’Etat d’Israël...” L’Etat en tant qu’”Etat juif” ne serait pas le premier Etat à disparaître. Ça ne remet pas en cause la présence de ce qui s’est constitué au cours des 100 dernières années : un peuple israélien...

Question : “et du côté Palestinien, que pensent-ils de cette solution “Etat unique” ? Eric Hazan pense que, au point où l’on en est arrivé, beaucoup de palestiniens ne croient plus à l’Etat palestinien, tellement tout est imbriqué. Que certains sont d’ailleurs même assez épatés par Israël...
Ce n’est pas du côté palestinien que la solution Etat unique pour tous serait le plus combattue.
Oui, dit Loubna : “se mettre d’accord sur : un pays unique pour vivre ensemble. La solution : on va pas chasser ceux qui sont là. Et il faut que ceux qui veulent revenir (les réfugiés) le puissent”.

Utopique ? La fin de l’apartheid en Afrique du Sud l’était aussi. Et le régime sud-africain très puissant...
Dans quels délais ? Il y aurait forcément des étapes. La fin de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, le démantèlement des colonies en est une, indispensable.

De toutes façons, “tout ça est dans un mouchoir de poche : c’est tout petit en superficie, La Palestine, Israël”, dit Eric Hazan (1).

Autre question : “pourquoi ce silence en France et en Europe sur la souffrance des palestiniens ?” Plusieurs raisons s’ajoutent sans doute : le sentiment de culpabilité par rapport au génocide des juifs, qui a été réalisé en Europe avec la participation de beaucoup de monde ; le fait que les médias sont très soumis à la propagande israélienne ; le fait, estime Mohamed, que les Palestiniens ont aussi la “tare” d’être un peuple arabe (et il y a l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie etc...).

Signe de la soif de comprendre, de réfléchir, de discuter pour sortir de la situation actuelle, une trentaine de livres ont été achetés lors de cette rencontre. Il y aura donc d’autres rendez-vous pour continuer à en parler ensemble.
Les éditions La Fabrique font un travail unique pour aider à comprendre et à inventer l’avenir en Israël/Palestine. De nouveaux livres viennent d’ailleurs de paraître. Nous en reparlerons bientôt (voir aussi)

(1) “un mouchoir de poche”.

La Cisjordanie, c’est 5 879 km2 (et environ 2,4 millions d’habitants)
Gaza 360 km2 (et 1,4 millions d’habitants)
Soit un total de 6 239 km2 pour les “Territoires occupés” par l’armée israélienne depuis 1967.

Comparaison : le département de la Loire fait 4 781 km², celui du Rhône 3 249 km².
La Cisjordanie et Gaza c’est donc seulement 1,3 fois la superficie du département de la Loire (mais 3,8 millions d’habitants au lieu de 730 000 !). Et Israël est en train d’annexer encore la moitié de la Cisjordanie (mur, colonies...) !!

Israël, c’est 20 770 km² seulement, et 7 millions d’habitants (dont 20% de Palestiniens)

Israël + Cisjordanie + Gaza = 27 009 km2
Pour comparaison, la région Rhône-Alpes c’est 43 698 km² (et 6 millions d’habitants)
Donc, Israël + territoires occupés, c’est plus petit en superficie que la région Rhône-Alpes, cela représente un peu moins des deux tiers de la superficie de Rhône-Alpes. C’est en gros équivalent à Loire + Rhône + Isère + Drôme + Ardèche. C’est bien un mouchoir de poche...
Assez grand et assez riche pour que les juifs qui le souhaitent puissent y vivre. Et pour que les Palestiniens dont c’est la terre puissent y vivre avec des droits égaux, qui sont au fond les droits de tout être humain.
Est-ce que ça dérange quelqu’un ? Et si oui, au nom de quels principes et de quelles valeurs ?

Le site des Editions La Fabrique
A St-Etienne, on peut trouver les livres des Editions La Fabrique notamment à la Librairie Quartier Latin, 6 rue Georges Teissier.

“Notes sur l’occupation” - 128 pages - 7 euros - ISBN : 2-913372-57-0 - Paru en oct. 2006