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4ème café citoyen

Réflexion autour du livre de Patrick Coupechoux : “Un monde de fous”...

lundi 28 avril 2008, par Sophie Darneix

Le 4ème café citoyen qui se déroulera au Remue-méninges le mercredi 7 mai à 19h aura lieu autour de ce livre et des questions qu’il pose. Contact pour préparer cette soirée : Sophie Darneix : tcho@no-log.org et Marie Reynier marie.reynier@orange.fr ...


Dans notre époque de normalisation intensive il me semble fondamental de réfléchir à cette frontière virtuelle qui distingue le normal et le pathologique.
Patrick Coupechoux retranscrit dans son ouvrage les évolutions de la psychiatrie en France, pour en arriver à notre époque, tellement « archaïque », qui criminalise et exclut la folie.
On n’entend souvent que la modernité entraîne le progrès... Le traitement de la folie aujourd’hui est pourtant proche du « grand enfermement » du XVIIe siècle. L’asile est remplacé par la prison et la rue. Il est plus simple d’enfermer les fous en prison, sans leur apporter de soin, pour les retirer de cette société libérale ou chacun est responsable de ses actes, même lorsque ceux-ci sont délirants. La camisole chimique est alors la seule solution pour calmer les angoisses pour faire taire les symptômes.
Le résultat de cette politique est l’incarcération massive et l’absence de lieux de vie pour des personnes qui ont besoin qu’on prenne le temps de les écouter, de leur apporter des soins, de travailler avec elles pour trouver des traitements adaptés, ou un cadre rassurant qui fait d’eux des sujets à part entière.
Seulement, il faut faire des choix politiques qui engagent un coût financier, que visiblement, ces étrangers fondamentaux, ces Fous, ne valent pas...

L’intérêt de cet ouvrage est qu’il ne s’arrête pas sur ce triste constat. Il creuse, en profondeur une question sous jacente, purement idéologique.
En effet, les thérapies cognitivo-comportementales deviennent la référence scientifique essentielle du pouvoir politique. Leur conception de l’individu engendre des rapports comme celui de l’INSERM, qui définit la délinquance comme un problème psychique, qui se détecterait dès l’âge de trois ans. On s’attache aux comportements en inventant des cases dans lesquelles on classe des symptômes. On publie les DSM dans lequel ces symptômes seront associés à un traitement. Mais à quel moment introduit-on l’écoute et l’attention dans ce protocole de soin mécanique ?
On assimile la santé mentale à la souffrance psychique. Cette dernière est une conséquence directe du système socio-économique, et devient de nos jours un phénomène massif. Qui n’a pas entendu les propagandes gouvernementales sur « la dépression, parlons-en », qui n’est en fait qu’un message publicitaire des lobbies pharmaceutiques.
Oui, effectivement, parlons-en de la dépression !
Le travail, qui brise des milliers de personnes, qui se sentent responsables de leur échec.
L’école, une fabrique du savoir qui n’a pas le temps d’écouter et d’accepter que nos adolescents ne soient pas des robots capables de s’adapter à une commande sociale de réussite. Combien de tentatives de suicide chez les adolescents à qui on demande toujours plus, sans soutien, sans parole, sans écoute ?
La société sécuritaire qui créée des groupes dangereux, des espèces de sauvages, que l’on prive de vision d’avenir, de rêve, que l’on nourrit de consommation massive, rapide et à qui l’on reproche un manque de tout. La société a les adolescents qu’elle fabrique.
Le renfermement des individus et le délitement du lien social, conséquence directe de ce système de « winner ».
La société du marche ou crève, du darwinisme social, marque au fer rouge les individus. Alors oui, parlons-en de la dépression, mais que ce dialogue ne soit pas ouvert uniquement entre l’Etat et les laboratoires pharmaceutiques !

La souffrance psychique n’est pas la maladie mentale. On mélange tout, on médicalise tout. Les prisons sont peuplées de sujets qui auraient besoin de soins, les centres d’hébergement d’urgence accueillent de plus en plus de personnes qu’il est impossible de prendre en compte dans ce genre d’établissement. Une fois sortis ils errent dans les rues, sans protection et livrés à eux-mêmes.
« La psychiatrie ne peut-être considérée comme une discipline médicale comme une autre ».
La psychose n’est pas un virus, c’est le langage que le sujet s’est bricolé pour exister et ce langage est ce qui le constitue fondamentalement.
Ne pas l’entendre, ne pas l’écouter est un déni de fraternité.

Pour finir, petite considération personnelle...
Eux, « les normaux », ne participent-ils pas à un vaste délire collectif ? L’idéologie libérale, qui nous amène tranquillement dans le mur n’est-elle pas une folie ? Elle détruit la planète, elle génère de la violence, de la souffrance, de la surveillance. A la fois sadique, masochiste, voyeuriste, elle est un détonnant cocktail de perversions. La folie de quelques-uns détruit et soumet chaque jours des milliards de personnes à leur norme, leur délire.

C’est pas dingue ça ?

Sophie Darneix.

Messages

  • Voici quelques points discutés lors de ce café citoyen autour du livre de Patrick Coupechoux, “Un monde de fous”, discussion à laquelle ont participé 25 à 30 personnes...

    - Tout d’abord le manque de prise en compte des sujets fortement limités
    dans la vie sociale par leur souffrance psychique. Une infirmière
    psychiatrique a pointé l’absence de moyens et de lits pour accueillir les
    malades. Ce sont "les moins pires" qui laissent leur place aux plus
    délirants car il faut faire de la place. Le soin thérapeutique est donc un
    soin dans l’urgence. Or, il est clair que lorsque l’on travaille avec des
    personnes malades psychiquement, il est impossible d’apporter une réponse
    immédiate appropriée. Le temps et l’écoute sont fondamentaux.
    - Alors, pour pallier à ce manque de reconnaissance des sujets, on use et
    abuse de médicaments. Beaucoup sortent avec une ordonnance pour seul
    soutien.
    - Ce qui entraine 3 problèmes : l’abandon des familles qui doivent seules
    faire face à cette situation difficile, et très souvent, l’abandon total
    des sujets à la rue (forcément violente pour eux) ainsi qu’à l’enfermement
    carcéral (qui n’apporte aucune réponse à la situation des détenus en
    général et encore moins à celle des personnes souffrant de graves troubles
    psychiques).
    - La folie devient un danger. La société sécuritaire a pour habitude
    d’exclure ceux qui subissent le système économique et la violence sociale.
    Elle s’attaque à ce qu’elle provoque, comme pour effacer les marques de
    son insuffisance.
    - Un point a été aussi développé sur l’augmentation des mesures
    d’Hospitalisation d’Office et d’Hospitalisation à la Demande d’un Tiers.
    Ces deux modes d’enfermement psychiatrique ne nécessitent pas la volonté des
    malades qui très souvent sont démunis face à la dépossession de leur
    propre existence.
    - Finalement, nous revenons au grand enfermement des siècles passés. Soit
    parce que les seules perspectives sont l’abandon, soit parce que
    l’enfermement psychiatrique ou carcéral est abusif...
    - Il a aussi beaucoup été question de ce que l’on pourrait nommer la
    souffrance psychosociale. De plus en plus de personnes y sont confrontées
    car c’est une conséquence directe du fonctionnement de nos sociétés.
    Le culte de la performance, qui dès notre plus jeune âge nous interdit les
    faux pas est destructeur. L’être humain se constitue sur ses failles et
    chacun de nous peut un jour se retrouver en souffrance. Si nous ne
    possédons pas des bases solides pour se maintenir la situation peut
    devenir dramatique.
    - Les relations sociales sont telles que pour une grande part de la
    société il est plus évident de trouver refuge au sein de traitements
    médicamenteux. Nous sommes les premiers consommateurs d’antidépresseurs.
    - La conception comportementaliste qui est prédominante dans la prise en
    compte de l’humain fait de nous des machines. Nos comportements doivent
    répondre à la commande sociale. Sinon, nous sommes déviants, et là nous
    n’avons plus le choix de notre avenir.
    - L’exemple de la commune de Nanterre développé dans l’ouvrage, montre que
    pour une grande part, la question de la souffrance psychosociale, qui
    touche en majorité les populations touchées par la misère, est avant tout
    un problème politique. Cette ville a mis en place tout un dispositif de
    soins, avec des structures diversifiées et du personnel qualifié pour
    travailler avec les sujets cassés par leur existence. Il ne s’agit donc
    pas de psychiatriser la misère, mais de prendre en compte politiquement
    les ravages de la violence du système.

    Prochain café citoyen le 7 juin au Remue méninges avec Miguel Benasayag.

    Sophie Darneix.