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Rencontre avec Guy Kastler à St-Genest Lerpt

Semer et ressemer, c’est résister.

“OGM : on a remporté une victoire, mais il faut préparer les batailles suivantes...”

mercredi 18 juin 2008, par Roger Dubien

Très riche journée que celle du 26 mai avec Guy Kastler ! L’après-midi, a eu lieu une première rencontre au GAEC de La Révolanche, à St-Paul en Jarez, chez Sylviane et Raymond Pïtiot, à l’invitation de l’ADDEAR et de la Confédération Paysanne.
Voir le compte-rendu
Voir aussi le site internet du Réseau Semences Paysannes, et en particulier le texte : Evolution du paysage semencier européen, car beaucoup de décisions en préparation sont renvoyées au niveau de l’Europe, et c’est d’ailleurs ce que prévoit la loi OGM votée en France...

En soirée, Guy Kastler a animé une conférence-débat à la salle des fêtes de Saint-Genest Lerpt, à l’invitation des Réseaux citoyens de St-Etienne, de la Confédération Paysanne, du collectif Zérogm42, d’Alliance PEC Loire, de Lerpt-Environnement. Environ 120 personnes étaient présentes...
Le thème en était “L’enjeu des semences pour nourrir l’humanité et pour la bio-diversité”. Le compte-rendu ci-dessous est partiel et pointe aussi vers des liens indiqués par Guy Kastler (par exemple le travail d’ETC Group, qu’il faudrait faire connaître...).

Evidemment, Guy Kastler a commencé par faire le point de la situation sur les OGM, quelques jours après le vote au forcing de la loi par les députés. “On a remporté une victoire, mais il faut préparer les bagarres suivantes” : voilà son impression. La loi est votée et elle n’est pas bonne. Mais même ça n’est pas terminé, puisqu’un recours est déposé devant le Conseil Constitutionnel, et au vu les problèmes de constitutionnalité, elle devrait encore évoluer. D’ailleurs, de toutes façons, elle paraît difficilement applicable...
Avec le moratoire sur le maïs pesticide Monsanto 810, c’est une décision politique qui a été prise. C’est une victoire, mais ils ont d’autres objectifs, à plus vaste échelle. Et l’intérêt de cette soirée est justement de nous avoir permis d’élargir l’horizon et de mieux voir de quelle stratégie globale font partie les OGM : la main-mise sur toutes les semences, la mise sous dépendance des paysans, le contrôle de l’alimentation mondiale.
De quoi mieux affronter les prochaines situations...

La question des OGM pesticides...

“Une loi est une photo de ce qui se passe dans une société, une photo des rapports de forces”... Comment donc expliquer ce qui s’est passé ces derniers mois : Grenelle de l’environnement, moratoire sur le maïs Monsanto 810, loi de coexistence OGM-non OGM... ?

Au niveau mondial, on a actuellement surtout 4 cultures OGM, et ce sont 4 OGM pesticides : coton, soja, maïs, colza. Quelle est la situation de l’Europe ? Elle ne produit pas de coton. Elle n’a pas eu intérêt à développer le colza OGM, à cause d’accords internationaux de répartition des cultures (OMC) et aussi à cause des effets négatifs avérés et reconnus. D’où l’abandon du colza (rappelons que le 1er fauchage d’une culture OGM a eu lieu à St-Georges d’Espéranche dans l’Isère, en 1997, à l’initiative de la Confédération Paysanne, et qu’il s’agissait justement de colza).
Le soja ? Il existe des accords de partage entre pays (et grands groupes) à OMC, qui prévoient que l’Europe importera ses protéagineux d’Amérique. Aucune firme semencière n’a donc fait pression pour cultiver du soja en Europe...
Reste le maïs. Très cultivé en Europe et particulièrement en France (3 millions d’hectares, soit 25% du maïs européen). C’est pourquoi nous avons eu cette offensive sur le maïs. C’est bien sûr lié à l’agriculture et à l’élevage industriels. En effet, pour développer l’élevage hors-sol, il faut des protéines (donc par exemple du soja) mais il faut aussi de l’énergie, du sucre, et on en trouve dans le maïs.
Dès 1998 ont été accordées les premières autorisations de maïs Bt, OGM : le T25 et le Monsanto 810. Mais 10 ans après, et suite à une résistance farouche (Greenpeace, faucheurs volontaires etc...), et au refus persistant des OGM par les consommateurs européens, les cultures de maïs OGM sont peu développées en Europe : à part en Espagne (75 000 hectares en 2007) et un forcing en France : 22 000 hectares en 2007...
C’est à un lobby que l’on a affaire. Car le maïs OGM ne vise pas à combattre la pyrale. Et il n’y a pas d’intérêt économique, les avantages annoncés n’existent pas. Mais les entreprises qui vendent les semences et achètent les récoltes ont intérêt à développer les productions OGM. Pour rendre les paysans dépendants, pour les “intégrer”, en faire des sortes d’ouvriers des coopératives.

Vers une nouvelle régulation de l’économie mondiale...

Seulement, la société résiste. C’est dans ces conditions que quelque chose s’est passé du côté politique. Aux élections présidentielles a été affichée “une volonté politique de relancer la croissance en parlant d’environnement.”
Compte tenu de la bataille, le Monsanto 810, qui est en fin de brevet, a dans ces conditions été abandonné : est-ce que ça valait le coup de prendre un risque énorme pour un brevet US en fin de carrière ? Une décision politique a donc été prise : le moratoire. Car il faut savoir que les études de dangerosité mises sur la table par la Haute autorité provisoire sur le Mon 810 étaient connues depuis longtemps. L’étude sur la pollinisation incontrôlable date par exemple de 1999 !
“Derrière la relance de la croissance par l’écologie, une nouvelle régulation de l’économie mondiale est en train de se mettre en place” estime Guy Kastler.
Les moratoires pris en Europe sont tous des décisions politiques. Décision a été prise de sacrifier le maïs Bt Monsanto 810. Bien sûr c’est une victoire, puisque 100 000 hectares étaient prévus en 2008, de l’aveu même des transgéniculteurs dans le recours déposé pour essayer de faire annuler le moratoire.

Relancer la croissance capitaliste en parlant d’environnement, ça paraît un bon plan pour re-légitimer le business. Car par quoi remplacer les barrières tarifaires, que le néolibéralisme a besoin de détruire sur toute la planète ? En mettant en place des barrières normatives : des normes sanitaires et des normes environnementales.
Le pays qui ne respecte pas les normes ne pourra pas entrer sur le marché. Avec ça, les paysans du Sud n’auront pas accès ! C’est du protectionnisme au nom de l’environnement. (D’ailleurs on a déjà affaire à cette tactique ici par exemple pour inciter à céder la restauration collective aux grands groupes, bien des responsables d’associations en savent quelque chose...)

On va donc nous abreuver de discours sur l’environnement. L’environnement ici, chez nous. Parce que dans le même temps, ils sont en train par exemple de multiplier la production de semences OGM au Chili.
Et ils vont renforcer les contrôles sur l’environnement ici (ce sera par exemple le rôle de l’AESA - Agence européenne pour la sécurité alimentaire) mais pas sur la santé : car alors il serait logique d’interdire les importations d’OGM. Or, pas du tout, au contraire : ils vont simplifier les procédures d’autorisation pour l’importation des OGM (business !).
Guy Kastler estime que l’agenda de Borloo à la prochaine présidence française de l’Europe est écrit par les USA. Faire interdire les OGM qui sont en fin de brevet (dont le Monsanto810). Mais ce sera pour mettre d’autres OGM sur le marché, les OGM insecticides et herbicides n’étant prolongés que de quelques années.

Attention : des OGM peuvent en cacher d’autres !

C’est sans doute pour beaucoup des présents une découverte de cette soirée : il n’y a pas que les OGM pesticides ! Leur objectif est de continuer à développer les OGM, de nouvelles générations d’OGM. Ils travaillent par exemple sur des "OGM sécurisés”, dont le gène transféré quittera la plante avant la floraison. Ils travaillent aussi sur des OGM qui ne pousseront qu’en association avec certains produits chimiques. Ça tombe bien : ce sont les mêmes groupes qui les vendent...

Tout cela, c’est ce que prévoit le programme européen “Transcontainer” révélé par ETC group, une association US-canadienne, une des premières à avoir vu clair dans cette politique, et qui a forgé le concept de bio-piratage.
Voir http://www.etcgroup.org
Ils vont donc chercher à nous imposer des “semences-zombies” (morts-vivants), une nouvelle génération de semences-suicide.
“Terminator” n’était qu’un brouillon, et un brouillon trop limpide sur les objectifs poursuivis. Ils sont en train d’améliorer : cf ETC Group :
“Conçue par l’industrie agrochimique et semencière et le gouvernement des É.-U., la technologie Terminator - la stérilisation génétique des semences - avait pour but de maximiser les profits de l’industrie en empêchant les agriculteurs de ressemer les graines récoltées. Des chercheurs développent maintenant de nouvelles techniques pour exciser les transgènes de plantes GM à un stade précis du développement de la plante, et des méthodes pour tuer la plante grâce à des gènes de létalité conditionnelle.” (http://www.etcgroup.org)

Une autre voie de fabrication d’OGM est de produire des mutations génétiques des organismes vivants (sans “transgénèse”, transfert de gène d’une espèce à une autre), des mutations qui sont toujours des manipulations. Ceci est rendu possible depuis qu’avec la transgénèse a été découverte la “sélection assistée par marqueurs”. Qui rend maintenant facile la “mutagénèse”, les plantes (et les animaux) muté-e-s.
Ainsi par exemple tout le programme de Limagrain - Vilmorin (qui contrôle aussi Tézier...) est sur les plantes mutées.

Une vaste offensive est en cours en Afrique, au moyen d’AGRA - “Alliance for a Green Revolution in Africa”, un organisme chargé de “faire la révolution verte” au nom de la lutte contre la faim, bien sûr. L’affaire est menée par le MCC (une agence du gouvernement US) et Kofi Annan, l’ex secrétaire général de l’ONU, avec le soutien (financier) de la Fondation Rockefeller et de la Fondation Bill Gates (Voir : http://www.agra-alliance.org)
BASF vend déjà en Afrique du maïs muté par mutagénèse. Il existe un brevet sur ce maïs, bien sûr !

Semer et ressemer, faire vivre la bio-diversité, c’est résister

Si donc on a remporté une victoire avec le moratoire et l’interdiction du Monsanto 810, il faut préparer les bagarres suivantes. Car si on en restait là, on ouvrirait un boulevard pour les OGM de 2ème génération, des OGM aujourd’hui clandestins mais bel et bien en cours de dissémination.
Et on accepterait la perte de la possibilité même de souveraineté alimentaire.

Leur objectif de fond est de contrôler l’alimentation mondiale, de faire disparaître les paysans, de les intégrer dans une machinerie que les multinationales contrôlent en contrôlant les semences et en éradiquant la biodiversité.
Car l’éradication de la bio-diversité fait partie de ce schéma. Par exemple, le bilan de 10 ans de culture de colza transgénique au Canada est qu’on ne peut plus y cultiver autre chose. Ils ont fait disparaître le concurrent : le paysan.
La création de l’arche de Noé végétale en Norvège relève de ce même objectif, c’est un véritable hold-up sur la biodiversité. Dans un frigo, la biodiversité dépérit. Elle a besoin pour se maintenir de se renouveler en permanence dans les champs des paysans, sur toute la Terre. D’autant plus pour affronter les changements climatiques en cours : c’est dans la biodiversité qui se renouvelle que l’on trouvera les solutions.

Les OGM doivent donc être resitués dans une stratégie de long terme des grands groupes pour éliminer les paysans et contrôler l’alimentation mondiale.
Avant les OGM, nous avons eu un arsenal législatif pour interdire aux paysans de re-cultiver leurs semences. Notamment avec l’inscription obligatoire des variétés au catalogue et avec l’instauration du COV-certificat d’obtention végétale. Parallèlement, était menée une uniformisation des terroirs, avec engrais chimiques, pesticides, irrigation, et mécanisation qui détruit les sols.
Aujourd’hui, le projet existe même de fabriquer des organismes avec des gènes synthétiques (c’est déjà réglé pour des bactéries). Des milliards de dollars sont investis. La biologie synthétique, avec des plantes mortes, est déjà une réalité. C’est l’arme alimentaire pour demain. L’Arche de Noé végétale du Spitzberg est faite pour ça aussi.

Conclusion donc : nous avons remporté une belle victoire avec l’interdiction du maïs pesticide Monsanto 810, mais de nombreuses autres batailles sont à mener...

LA DISCUSSION...

La discussion a permis ensuite d’apporter des précisions...

- l’action du Réseau Semences Paysannes : cultiver la bio-diversité.
En général, les paysans n’obéissent pas facilement... Mais ils ont a été victimes de la 1ère révolution verte (Marshall), et de l’imposition des hybrides.
Ainsi pour le maïs, avec l’invention du “maïs mule”, hybride. Les paysans ont alors abandonné leurs variétés. Mais ensuite il n’est plus possible de faire marche arrière, d’autant que la collection publique de semences de maïs en France est gérée par les semenciers !...
Et puis la mise en place du “catalogue des espèces et variétés”, avec des critères conçus pour éliminer les semences paysannes et un coût très élevé pour inscrire une variété.
Au bout du processus, la semence de ferme est devenue aujourd’hui aux yeux de la loi une contrefaçon. Pour le moment, ce n’est pas appliqué, mais la loi est votée. Ce qui est interdit par la loi sur les semences, c’est l’échange, même à titre gratuit. Mais en même temps, depuis mi-2006, la France a ratifié un traité international qui reconnaît aux agriculteurs le droit de ressemer. Contradiction...
En défendant les semences paysannes, le RSP défend la biodiversité. Car il faut échanger des semences pour renouveler la biodiversité ! Voir :
http://www.semencespaysannes.org

Le Réseau Semences Paysannes appelle les paysans à ressemer leurs semences de ferme ! “Ils ne pourront pas nous mettre tous en taule !. Et développe ce qu’il appelle la sélection participative : une sélection par un travail commun associant des chercheurs et des paysans.

A noter que, à côté du “catalogue des espèces et variétés”, existe depuis 1997 un “catalogue amateur”, qui est très restrictif (possibilité de ne vendre des semences qu’aux amateurs - mais les produits récoltés sont librement vendables...). Ce catalogue est contesté par l’Europe. Une discussion est cependant en cours sur la possibilité d’un catalogue amateur européen. Mais il est possible que l’Europe refuse, et n’accepte que des “variétés de conservation” (avec possibilité de ressemer uniquement dans les régions d’origine, ou bien dans des zones similaires...)
C’est donc un bras de fer qui est en cours sur la question des semences. L’enjeu au plan mondial est énorme : si les agriculteurs ne peuvent plus produire leurs semences, il est impossible de répondre à la crise alimentaire et au changement climatique.
Une des meilleures façons de mener ce combat pour la vie est de semer, de ressemer, d’apprendre à multiplier les semences. “La semence n’est pas un produit commercial, une marchandise. Elle relève de l’économie du don ! Mettez des jardins dans les écoles !...”

- Propriété intellectuelle, COV et brevet

Le COV- certificat d’obtention végétale créé en 1962 est donc une forme de propriété intellectuelle. Le principe en est : “je décris une variété et elle est à moi” !. C’est ni plus ni moins une légalisation du bio-piratage.
En échange avait alors été créé le “privilège du fermier” : le droit de ressemer. C’est maintenant ce droit qui est remis en cause dans la loi !
Mais comment prouver qu’il s’agit d’une variété protégée par un COV ? La convention UPOV de 1991 a décidé que le COV est défini avant tout par la stabilité et l’homogénéité, or les variétés évoluent immédiatement quand elles sont ressemées. Sauf que maintenant, cette identité peut être détectée par caractérisation moléculaire...
Votée en France en 2006 au Sénat, cette mesure (transcription de la convention UPOV) n’est pas encore passée à l’Assemblée Nationale.
Dans la période qui vient, une forme de désobéissance civile sera donc d’échanger des semences que l’on n’a plus le droit d’échanger !

Guy Kastler a expliqué comment le COV pouvait être pire que le brevet surtout si les semenciers obtiennent le cumul du COV sur la variété, et du brevet sur le gène.
(Voir là-dessus evolution_du_paysage_semencier_europeen_273.php : “les semenciers se démènent pour achever le cadre juridique protégeant leur développement, aussi efficace que le brevet mais sans ses inconvénients : il s’agit du cumul du COV sur la variété, et du brevet sur le gène. En effet, le brevet rend obligatoire l’information du public sur la méthode de sélection utilisée. En revanche un COV n’exige aucune information sur la méthode de sélection ou l’origine des variétés utilisées, légalisant ainsi la tromperie du consommateur et le biopiratage. Les obtenteurs européens ont obtenu de la réglementation que le brevet ne concerne que « le gène et sa fonction », le marqueur moléculaire ou la méthode de sélection et ne couvre pas la variété comme le brevet américain . Il permet ainsi à l’obtenteur de se protéger de ceux de ses concurrents qui voudraient reproduire son gène manipulé, voire du paysan qui le reproduit dans son champ en plantant des semences de ferme, sans aucune obligation d’information du consommateur qui n’achète pas un gène et sa fonction, un marqueur moléculaire ou une méthode de sélection, mais la variété manipulée protégée par un COV.”)

- Notre comportement de consommateur
Eh oui, car pour que ça marche ce système repose aussi sur notre comportement de “consommateur”, sur lequel chacun peut s’interroger. Par exemple, a indiqué Marc Bardin, on peut faire autrement que de pousser docilement son chariot dans les allées de la grande distribution. Avec les AMAP (prtenariat paysans-consommateurs) par exemple...

- L’alimentation OGM des animaux...
Plus de 50% des animaux sont nourris aux OGM, estime Laurent Pinatel, responsable de la Conf’ Paysanne. Les difficultés d’approvisionnement en alimentation non OGM ne cessent de s’aggraver. Dans cette situation, des paysans résistent en réformant leur système d’exploitation pour produire leurs protéines.

- On a aussi fait le point sur les ennuis faits à Kokopelli...