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La situation des paysans intéresse tout le monde
La ferme de la Conf’ Paysanne à Jean Jaurès a pris fin mardi 1er septembre. Mais l’action des producteurs de lait continue...
mercredi 2 septembre 2009, par
14 jours place Jean Jaurès ! Installée au centre-ville de Saint-Etienne par les militants de la Confédération Paysanne mercredi 19 août, la ferme qui se renforçait d’une vache par jour, s’est terminée ce mardi 1er septembre après des heures tendues lundi soir, quand devant le blocage de la situation les paysans ont décidé d’installer vers 14h30 les vaches en travers de la grand-rue, bloquant ainsi le tram jusque vers 20h. Une intervention des forces de police était redoutée (comme quand dans la nuit du mercredi 26 au jeudi 27, vers minuit, les CRS étaient venus récupérer de force 3 camions de lait de la SODIAAL détournés et amenés sur la place). Mais la mobilisation était là. Et aucune animosité de la part des stéphanois obligés de marcher à pieds, bien au contraire. Plusieurs dizaines de personnes sont mêmes venues en quelques heures participer au barrage...
d’autres photos : en bas de page...
Vers 20h la Préfecture de la Loire et le président du groupe laitier SODIAAL M. Budin (qui est aussi le président de la Fédération nationale des coopératives laitières - FNCL) acceptaient enfin une réunion avec une délégation d’une cinquantaine de paysans, en Préfecture. La date a été fixée au lundi 7 septembre.
D’autre part, le ministre de l’agriculture Le Maire acceptait de recevoir ce mardi une délégation de trois responsables de la Confédération Paysanne, dont Philippe Marquet, de la Loire.
La ferme de Jaurès se termine donc - après de grands moments - , mais la bataille du lait continue. Elle n’était que la dernière initiative en date d’une longue série d’actions menées ces derniers mois par la Confédération Paysanne dans la région. L’action va prendre maintenant d’autres formes.
Car les motifs sont toujours là : le lait est payé aux paysans par l’industrie laitière autour de 26 centimes le litre alors que le coût de production moyen est proche de 35 centimes. Sans parler du fait que même à ce prix là, beaucoup de paysans ne se versent pratiquement pas de salaire. Par tonne cela fait 90 euros de perdus. Par ferme (2000 producteurs laitiers dans la Loire) cela fait de 1000 à 3000 euros de perdus chaque mois. Des centaines de paysans sont étranglés, ne pouvant plus payer les factures et rembourser les emprunts.
Il y a à cela deux objectifs : de gros profits pour l’industrie laitière (voir le site de Lactalis pour comprendre à qui les paysans ont affaire), et profits aussi pour les groupes de la grande distribution avec lesquels l’industrie laitière s’entend bien, et liquider le tiers des paysans producteurs de lait restants, soit pour la France 30 000 sur 86 000...
Et l’industrie laitière a décidé de pousser le bouchon plus loin - peut-être trop loin, le retour de bâton est possible - avec son projet de contractualisation-intégration pour ligoter totalement les paysans et les réduire à des pièces de son système.
Les acquis de la ferme à Jean Jaurès...
Au moment de retourner dans leurs fermes - qu’ils n’ont jamais complètement quittées, se relayant à Jaurès pour aller faire le travail - les paysans éleveurs laitiers de la Loire et du Rhône peuvent faire le bilan de leur action.
D’abord la situation des producteurs de lait a été mise sur la place publique. Les paysans l’ont fait connaître à des centaines de milliers de personnes de la région. Rien qu’à Jaurès, plus de 5 000 personnes sont venues discuter et ont mis leur signature sur la pétition de soutien. Le sentiment est très partagé que les paysans font un métier indispensable pour la société, un métier d’utilité publique, et qu’ils doivent pouvoir en vivre. Surtout qu’ils ne demandent pas la lune. Plusieurs fois on a entendu qu’ils se contenteraient du montant du SMIC, alors qu’ils font souvent 70h de travail par semaine. Mais aujourd’hui, non seulement beaucoup ne se paient pas, mais ils perdent de l’argent. Ça ne peut pas durer quelques mois de plus...
La ferme à Jaurès a donc permis des milliers de discussions. Et mardi soir 25 août, malgré l’orage, il y avait 140 personnes au débat organisé sous le kiosque. Un grand moment de vérité sur la situation des paysans et de l’agriculture.
Ecouter un enregistrement du débat mis en ligne sur le site “LaTélévision paysanne” d’Eric Boutarin : débat à Jean Jaurès le 25 août
Autre moment de vérité, ce qui s’est passé en Préfecture vendredi soir 28 août, quand une délégation d’une quinzaine de paysans a rencontré le directeur de la DRAF - direction régionale de l’agriculture et des forêts M. Pelurson. Chacun a expliqué sa situation, du concret, du vécu, pas du baratin. Des fermes sont étranglées et vont disparaître si des décisions politiques ne sont pas prises en France et en Europe pour mettre un terme à l’effondrement du prix du lait. Ce qui suppose de revenir à une maîtrise publique des volumes produits...
Un autre acquis de l’action à Jean Jaurès a été le dévoilement du projet de “contractualisation”. Car les militants de la Confédération Paysanne ont mis la main dessus au cours de cette action, ici et en Loire-Atlantique (1). Un projet préparé en secret, sur lequel ne filtraient que des rumeurs. Un programme qui a l’aval de la FNSEA déjà signataire de l’accord du 3 juin (même pas respecté par l’industrie laitière) qui fixait le prix du lait entre 26,2 et 28 centimes d’euros le litre. Un projet que le ministre Le Maire se préparait apparemment à annoncer vers le 1er octobre. La version récupérée et qui circule maintenant à des milliers d’exemplaires dans les fermes en France - a été écrite par la FNCL (Sodiaal...), c’est-à-dire par les coopératives laitières. Mais un texte quasi identique existe apparemment chez les grands groupes privés de l’industrie du lait (Lactalis...). C’est qu’au fond leur logique de fonctionnement est devenue identique : le profit, la finance. Par concentrations successives et éloignement des paysans, les coopératives laitières ont échappé aux paysans. La plupart du temps contrôlées par la FNSEA, elles sont totalement dans la logique du système. (2)
Lire le texte du projet de contractualisation/intégration
Personne ne s’attend évidemment à ce que les groupes industriels laissent tomber leur projet facilement, même éventé. Mais ça ne passe pas. Parce que c’est inacceptable et que c’est la mort de l’agriculture paysanne et du métier de paysan dans la production laitière. Donc, le ministre Le Maire qui se préparait à annoncer ce plan début octobre est au pied du mur. Lors de la rencontre ce mardi avec la délégation de la Confédération Paysanne, il a déjà parlé d’un report et d’une discussion au 1er trimestre 2010.
Comment résister et sortir de cette logique qui élimine les paysans ?
Dans les discussions avec les citadins est souvent venue la question : que peut-on faire pour changer ça ? Et aussi : “pourquoi ne plaquez-vous pas là l’industrie laitière et la grande distribution et ne faites-vous pas plus de vente directe et de transformation ? Pourquoi ne construisez-vous pas d’autres outils coopératifs que vous ne vous laisseriez pas voler cette fois ?”...
Développer les AMAP et tous les circuits courts...
Il est certain qu’une partie importante de la solution passe par la reprise en mains des circuits de production et de distribution de la nourriture par les paysans et par la société. Le développement de toutes les formes de circuits courts et de relocalisation de la production, des échanges et de la consommation, est urgent et vital pour tout le monde. Par exemple en multipliant les AMAP, associations pour le maintien d’une agriculture paysanne. Il en existe par exemple pour le moment 15 dans la Loire, auxquelles participent environ 800 familles et plusieurs dizaines de paysans (voir AMAP)
Des coopératives se créent également mettant en contact direct paysans et habitants consommateurs. Voir par exemple Alterconso dans la région lyonnaise...
Les magasins de producteurs se développent aussi comme Uniferme à la limite de la loire et du rhône. Paysan dans les Monts du Lyonnais et militant de la Conf’ du Rhône, Jean Guinand, l’un des paysans créateurs d’Uniferme, était sur la ferme à Jaurès et a témoigné au débat sous le kiosque mardi soir du succès, mais aussi des limites actuelles de ces initiatives...
Une partie des paysans a déjà ré-orienté son activité dans cette direction. Mais la réussite de ce processus suppose bien sûr une accélération des changements dans le comportement de la société. Pour ne pas oublier de se comporter en citoyen au moment où l’on devient “consommateur”. il faudrait que les non-paysans tirent des conclusions concrètes : arrêter de pousser le chariot dans les grandes surfaces qui étranglent les producteurs (les paysans et pas seulement les paysans), rejoindre les amap et autres magasins de producteurs, créer des amap et d’autres formes de circuits courts là où il n’en existe pas... La grande distribution, qui fonctionne très bien avec les grands groupes industriels, est une machine à tuer les producteurs.
Voir les explications de Christian Jacquiau : le pouvoir d’achat et le pouvoir du consommateur
Jamais il n’y a eu autant de discussions que maintenant sur ces questions là. La société est en train de réfléchir à la façon dont elle se nourrit, et à de qui elle a besoin. Le nombre de paysans ne doit pas diminuer mais augmenter dans les temps qui viennent. C’est valable en France comme sur toute la planète, au moment où “nourrir l’humanité” est en train de devenir une des questions les plus importantes...
Obtenir des décisions politiques françaises et européennes pour sauvegarder les paysans producteurs de lait
Mais c’est une course de vitesse qui est engagée pour le maintien des paysans. On ne sauvera pas la production de lait en France et les 30 000 paysans menacés de faillite sous quelques mois uniquement en développant les circuits courts. D’autant qu’ils ne peuvent pas être la solution pour tous les paysans. L’industrie agro-alimentaire et les groupes de la grande distribution et leurs 6 centrales d’achat contrôlent aujourd’hui plus de 90% de la distribution de la nourriture en France. Les paysans ne se sortiront pas de l’impasse actuelle uniquement en réorientant individuellement leur travail. Il faut des décisions collectives, publiques, politiques, pour empêcher tout de suite les grands groupes de les faire crever. Surtout qu’il existe une puissante industrie de transformation laitière.
Ces décisions politiques à prendre sont connues :
Il faut garantir aux paysans un prix du lait qui rémunère leur coût de production et leur assure un revenu pour leur permettre de vivre de leur travail et de continuer. Ce qui signifie au-delà de 35 centimes d’euros le litre de lait.
Pour garantir un prix du lait, il faut maîtriser les volumes produits. Et donc arrêter de supprimer les quotas de production, à l’échelle de l’Europe, pour chaque pays, et pour chaque ferme. L’effondrement du prix du lait (tombé à à un moment à 20 centimes d’euros le litre) a été sciemment organisé, par un mécanisme simple : les milieux financiers et politiques ultralibéraux ont provoqué ces derniers temps une surproduction de 3 à 4% du lait en Europe. De quoi échanger ensuite cette partie à des prix cassés. Et expliquer que “c’est la crise”, et que “c’est le prix du marché”, et que c’est toute la production qui doit s’échanger à ce prix là.
C’est pourquoi les paysans demandent le maintien des quotas de production, et la baisse de 5% de ces quotas
Dans les tout prochains jours...
Ce mardi 1er septembre, s’est réunie à Bruxelles la commission agricole du Parlement européen. La commissaire ultralibérale à l’agriculture Ficher-Boel a été entendue. La question des quotas était au coeur des discussions. André Bouchut, du secrétariat de la Conf, et paysan dans la Loire, était présent. Vendredi dernier, la députée européenne Michèle Rivasi est venue discuter avec les paysans accompagnée de Gérard Leras, conseiller régional...
“Les quotas doivent rester, Mariann Fischer Boel doit partir” dit la Confédération paysanne.
Ce lundi 31 août, à la veille de cette réunion, les militants de la Confédération paysanne ont mené des actions dans plusieurs départements vers les Directions départementales de l’agriculture...
Le 7 septembre doit avoir lieu une réunion des ministres de l’agriculture européens.
La question de la grève du lait...
Tout le monde a vu cet été sur les routes de France de grandes banderoles annonçant une prochaine grève du lait.
Cette action a été promue au départ par la Coordination rurale, une organisation syndicale plutôt corporatiste et marquée à droite, mais elle l’est aussi depuis 8 mois par l’APLI - Association des producteurs de lait indépendants, une organisation crée en décembre 2008, qui a rapidement réuni plusieurs milliers d’agriculteurs issus souvent de la FNSEA et n’acceptant plus les orientations de la FNSEA dans ce domaine.
Cette association est membre de l’organisation européenne EMB - European Milk Board (organisation puissante en Allemagne mais présente aussi dans 14 pays), qui a participé d’ailleurs avec la Conf’ Paysanne à la manifestation d’Annecy sur la PAC à l’automne 2008.
Dans plusieurs départements, l’APLI vient de faire des réunions assez massives de paysans éleveurs laitiers. A l’image de ce qui s’est passé à Segré (49-Maine et Loire) le 25 août : 900 paysans réunis...
Voir la vidéo de la réunion de Segré, et les prises de parole de représentants des paysans de Belgique, d’Allemagne, du Canada... :
Vers la fin de la vidéo, ont peut entendre l’intervention d’un représentant des producteurs de lait du Canada. Système intéressant, là-bas : ce sont les paysans qui “gèrent l’offre” de lait, depuis 40 ans. Ils le collectent et le vendent aux laiteries. Et l’OMC échoue pour le moment à détruire ce système.
L’APLI demande également la baisse de 5% des quotas, et le prix du lait à 400 euros les 1000 litres. Et elle refuse la contractualisation-intégration.
L’APLI et l’UMB annoncent une grève imminente du lait en septembre, une grève au cours de laquelle les paysans jetteraient le lait ou le distribueraient gratuitement dans les villes.
La grève du lait sera-t-elle lancée ? Pour le moment, les seules actions qu’ait faites l’APLI sont des réunions...
La Confédération Paysanne n’appelle pas à la grève du lait, car elle estime qu’une telle action risque d’avoir de graves inconvénients pour les paysans (voir la discussion à Jean Jaurès mardi soir 25 août). Mais dans l’Ouest la Conf’ annonce qu’elle soutiendra ceux de ses adhérents qui décideront d’y participer, si elle a lieu.
Il semble bien que de nombreux paysans éleveurs laitiers qui étaient à la FNSEA soient en train de passer à l’APLI. On comprend bien d’ailleurs qu’il leur soit difficile de rejoindre la Confédération Paysanne : pour beaucoup, ce serait se déjuger sur leurs engagements passés. Mais ils arrivent aujourd’hui à des conclusions proches. Et on se dit que ces paysans ne sont pas très différents des paysans éleveurs laitiers de la Loire et des Monts du Lyonnais, qui luttent depuis des mois, dans une région où les fermes sont encore nombreuses et où la Conf’ Paysanne est une organisation forte et représentative...
Ainsi, quoi qu’il en soit de la grève du lait, il y aura de toutes façons du nouveau du côté de la bataille du lait et des paysans dans les prochaines semaines.
Pour la Loire, rendez-vous est déjà donné aux paysans lundi 7 septembre à 9h30 sur le parking du Musée d’Art Moderne à La Terrasse. Pour aller à la réunion en Préfecture avec le Président de la SODIAAL qui va devoir s’expliquer.
La colère est lourde chez les paysans. Bien plus que les autorités politiques ne s’en rendent compte. Ils sont conscients de faire un métier utile. Et ils veulent pouvoir vivre de leur travail.
(1) Depuis plusieurs jours, des militants de la Confédération paysanne de Loire-Atlantique bloquent une usine qui fabrique de la poudre de lait à Ancenis. Avec l’aide des escaladeurs de Greenpeace, ils se sont installés en haut de la tour de séchage...
(2) Dernier épisode du feuilleton : on vient d’apprendre que la SODIAAL rachète le groupe Entremont du milliardaire belge Albert Frère, groupe “leader européen” de l’emmental. En échange, Albert Frère obtiendra une part du nouvel ensemble créé, qui collectera 5 milliards de litres et aura un chiffre d’affaires de 4,3 milliards d’euros. Bonjour la coopérative ! C’est le ministre de l’agriculture lui-même qui préside à la fusion.
Pour mettre la main sur Entremont, SODIAAL a été préféré à Lactalis, le géant privé qui pompe le lait et les paysans dans 148 pays. Mais dans les prochains jours, SODIAAL et Lactalis (qui a dans la Loire une usine à Andrézieux avec Nestlé, et une autre à Balbigny) pourraient bien se mettre d’accord pour se partager la dépouille d’une autre coopérative de collecte, qui travaille en Rhône-Alpes, Auvergne et Bourgogne :l’URCVL l’Union Régionale des Coopératives de Vente de Lait
Une coopérative que les plus gros de l’industrie laitière ont crevée en lui sous-payant le lait qu’elle collecte et qu’elle leur vend...