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Business as usual ?

Prix du lait : les paysans ne lâcheront pas

Ils veulent continuer à travailler, et c’est pour nourrir les hommes ! Nouvelle journée d’action ce mercredi 14 octobre...

mardi 13 octobre 2009, par Roger Dubien

On a entendu ces derniers temps certains discours sur “la régulation” du “marché du lait” qui paraissent aussi sincères que le baratin de Sarkozy sur la moralisation et la régulation du capitalisme. Quand ça chauffe, et que beaucoup de monde voit mieux l’absurdité du système, il est de bonne tactique de faire profil bas. Mais dès que la pression s’allège un peu et qu’ils peuvent occuper les médias avec d’autres sujets, terminé ! Vite, retour à la seule chose que ce système sait faire : business. As usual. Le profit. Comme d’habitude.
Mais ils auraient tort de croire que le combat des paysans a atteint son maximum et que l’orage est passé...

Oui, la grève du lait (lancée le 10 septembre) a été suspendue (le 24), en France et en Europe. L’industrie laitière commençait à tirer la langue au point qu’elle en venait aux menaces (le président de la Fédération nationale des industries laitières - FNIL- , Picot, déclarait par exemple qu’après l’annonce d’une réunion des ministres européens de l’agriculture, la grève du lait n’avait plus de raison d’être et que cela s’apparentait à du “refus de vente”...). Mais c’était dur aussi pour les paysans dont certains en étaient déjà à 14 jours de lait donné ou jeté. Et il y a eu l’annonce d’une réunion des ministres à Bruxelles pour ... le 5 octobre, 10 jours après. L’APLI et l’EMB ont donc appelé à suspendre la grève du lait pour ne pas épuiser les forces. Dans le département de la Loire, la Confédération Paysanne a tout de suite appelé à agir sous d’autres formes...
Dans cette même période, des enquêtes d’opinion ont révélé que plus de 90% de la société comprenaient et soutenaient l’extraordinaire mouvement des paysans...

Le 5 octobre, des milliers de paysans d’Europe ont manifesté à nouveau à Bruxelles, et ailleurs aussi. Sur les tracteurs : “Pas de pays sans paysans”, “ultra-libéralisme = mort de l’agriculture”... En face, beaucoup, beaucoup de flics. On verra à l’expérience, mais cette réunion des ministres ressemble beaucoup à une parodie. Oui, d’accord, il a été question de mettre en place “une nouvelle régulation” en remplacement des “quotas” (mais va-t-elle ressembler à la “contractualisation” qui visait à ligoter les paysans ? Car la question est : entre qui et qui, cette “contractualisation” ? Des accords collectifs ou bien une soumission de chaque paysan à un groupe laitier ?) ; mais la seule décision précise a été de créer un groupe d’experts qui va plancher sur l’avenir du secteur laitier et rendre sa copie d’ici ... juin 2010 !!

Ils auraient voulu gagner du temps et dégonfler et décourager la mobilisation paysanne qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. Mais il est peu probable que les choses en restent là.

La plupart des paysans ne peuvent pas attendre juin 2010. Mais ce n’est pas pour ça qu’ils demandent des subventions : ce qu’ils veulent, c’est que l’industrie laitière leur paie un juste prix pour ce qu’ils produisent. Le prix qui couvre les charges et permet de dégager un salaire proche du montant du SMIC (pour 70h de travail !) c’est environ 40 centimes d’euros le litre de lait.
Et c’est cela que les grands groupes de l’industrie laitière, qui font d’énormes profits, refusent. On les entend expliquer qu’à 26-28 centimes d’euro le litre - prix qui étrangle les paysans puisqu’ils perdent au moins 9 centimes d’euros par litre - le lait en France est encore beaucoup trop cher, non compétitif par rapport à d’autres pays européens, et que l’industrie ne peut plus se permettre de payer ce prix... En disant cela, ils doivent bien rigoler, ceux de Lactalis, groupe qui achète et transforme le lait en France... et dans 147 autres pays !

La solution est d’abord que l’industrie laitière, qui fait de très gros profits, paie le lait plus correctement.
Bizarrement, c’est ce que la FNSEA nationale ne demande pas (pourquoi, au fait ?) : elle demande “des mesures d’accompagnement”. Du genre : report des annuités d’emprunts (reporter à plus tard le remboursement de dettes qui entre temps auront continué à se creuser...) et versements d’”aides” aux paysans (d’où le slogan de la FNSEA : “Sarkozy, l’agriculture a un prix”. En décodé : que le budget de l’Etat paie des primes de survie pour que les industriels continuent à ne pas payer les paysans...
Oui, il faut des mesures d’urgence. Mais ce doit être des mesures sur le prix du lait !

Et les gouvernements, et la commission européenne, que disent-ils ?
Le ministre Le Maire et d’autres gouvernements et “politiques” rejettent la faute sur ”Bruxelles”. Facile. Car Bruxelles, c’est pour une bonne part eux, aussi. Si Barroso vient d’être réélu, c’est qu’une large majorité de députés de la droite et de la gauche à voté pour lui, ou s’est abstenue pour le laisser passer !
Maintenant, la commission européenne veut faire croire que c’est-la-baisse-de-la-demande-de-produits-laitiers-due-à-la-crise-économique qui explique la chute des prix. Alors que c’est d’abord la surproduction due à la suppression des quotas de production.
Comment se fait-il que Fisher-Boel soit encore là ? Et puisse continuer à insulter les paysans en disant à propos de la grève du lait : "ces images ont détruit la réputation de l’Europe dans les pays en développement", donnant l’impression qu’à "une époque où la famine reste un problème mondial, les agriculteurs européens détruisent de la nourriture à grande échelle juste pour recevoir plus de subventions".
Celle qui dit ça est celle qui promeut les usines à lait et l’agro-industrie intégrée (“Les quotas (...) retardent l’adaptation à la concurrence”), et qui organise une agriculture exportatrice subventionnée qui tue les productions vivrières de l’Afrique...
Voilà à qui on a affaire. A des gens qui veulent “davantage de libéralisation du marché du secteur laitier", comme vient de le demander le ministre suédois de l’Agriculture Erlandsson dont le pays préside en ce moment les 27.

Dans le journal “Solidarité paysanne” de la Conf’ de la Loire, François Pitaval écrit : “la dureté de nos actions de ces derniers jours est sans précédents mais ne fait que traduire la détresse des producteurs car ouvrir “la vanne du tank c’est comme s’ouvrir les veines”... Alors quand le ministre et les manitous de la FNSEA s’insurgent contre ce geste, car des gens ne mangent pas à leur faim, je trouve cela particulièrement insultant et vulgaire de la part de personnes qui prônent une agriculture exportatrice grassement subventionnée qui affame des populations entières et désorganise leurs productions vivrières”.

Autre idée - qui vient de sortir - de Fisher Boel : mettre en place “un marché à terme des produits laitiers”, notamment pour le beurre et la poudre de lait. Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Que le prix du lait se jouerait en partie à la bourse, et que les paysans auront en face d’eux - en plus des grands groupes industriels et des centrales d’achat de la grande distribution - les spéculateurs des marchés financiers !! En voilà de la régulation ! Et on apprend que le ministre français Le Maire pourrait se rendre aux USA en octobre pour voir comment fonctionne un tel marché là-bas...
Chassez le naturel... Ce système est incapable de se réformer. Il va falloir construire autre chose contre lui.

On est donc encore loin d’une solution au problème pourtant simple : obliger l’industrie laitière à payer un prix du lait permettant aux paysans de couvrir leurs charges et d’avoir un revenu de leur travail. Et maîtriser les volumes de lait produits pour empêcher les manoeuvres d’effondrement des cours.
Un autre rendez-vous est cependant annoncé pour le 19 octobre : il est annoncé que les ministres devraient discuter des mesures d’aide à court terme...

Ce qui est en jeu avec tout ça, c’est le maintien de plusieurs dizaines de milliers de fermes et de paysans. C’est la possibilité d’une agriculture paysanne demain dans le secteur de l’élevage et de la production laitière. Et comment va-t-on nourrir l’humanité si on continue à éliminer les paysans ? Il ne faut pas que les grands groupes de l’agro-alimentaire et les ultra-libéraux aient le dessus !

C’est bien pourquoi les paysans continuent leurs actions.
Dans la Loire, la mobilisation ne faiblit pas et les actions se sont multipliées

- Mercredi 23 septembre, un rendez-vous était donné vers le château résidence du Préfet de la Loire, à St-Genest-Lerpt.
Sur place, au rond point du Chasseur, en face d’une centaine de paysans, au moins 7 fourgons de gendarmes pour bloquer la route St-Genest/St-Just-St-Rambert...







Le Préfet est venu discuter. Et il lui a été demandé de transmettre au ministre les demandes des paysans. Laurent Pinatel a redit que les paysans ne veulent pas de “mesurettes” comme les prêts remboursables annoncés par Le Maire. Ils veulent que la régulation européenne dont il est question soit une maîtrise publique de la production. Et ils veulent une décision sur le prix du lait. Ils proposent aussi que les excédents de poudre de lait stockés soient retirés du marché et dirigés vers l’alimentation animale.
Le Préfet a promis de transmettre mais confirmé que pour le moment, il n’avait rien à proposer, à part une décision - qu’il vient de prendre par arrêté - de blocage du prix des fermages en 2009.
Bernard Gerin, après avoir constaté que les paysans créaient de plus en plus d’emplois (puisque chaque paysan signifiait déjà de l’emploi pour 7 actifs, et que maintenant il faut ajouter aussi pour 2 gendarmes, ça fait donc 9...), a lancé l’idée que les paysans arrêtent de payer toutes leurs dettes par prélèvements automatiques des banques avant de penser à se verser un salaire, comme ils le font depuis des mois. Et proposé qu’ils fassent front ensemble face aux menaces éventuelles de saisies. “On ne va pas venir me piquer le fruit du travail de toute ma vie !”. Surtout que “ce qu’on demande ne coûtera pas un sou aux contribuables”.
Un peu plus tard, au moment de l’épandage de lait, les gendarmes ont utilisé des bombes lacrymogènes, une nouvelle fois...

- Samedi 26 septembre, action des paysans du Pilat : une cinquantaine de paysans ont épandu du lait dans un champ à St-Romain les Atheux.




photos Joëlle Soyer

- Lundi 28 septembre, une centaine de paysans du Gier se sont rassemblés sur l’aire du Pays du Gier au bord de l’autoroute, à la hauteur de St-Chamond, et un épandage de milliers de litres de lait a eu lieu dans un champ proche...

- Lundi 28 septembre toujours, plus de 300 mairies de la Loire ont fermé leur porte en soutien aux demandes des paysans. Cette action faisait suite à l’interpellation des élus à la Foire de St-Etienne (voir Les élus de la Loire invités à s’engager)

- Le jeudi 1er octobre, lors de l’inauguration de la Cité du Design à St-Etienne, une cinquantaine de paysans de la Confédération Paysanne sont venus, sans tracteurs et sans lait, mais avec des cloches, pour les sonner au ministre Frédéric Mitterand. Mais - tout comme les stéphanois non invités, y compris les habitants du quartier empêchés pendant plusieurs heures de rentrer chez eux - ils n’ont pas pu rentrer : le site du GIAT était redevenu terrain militaire gardé par des centaines de CRS. Laurent Pinatel et deux autres militants de la Conf’ ont été violemment molestés...
Les paysans, le ministre s’en contrefout et il a dit avec aplomb une énorme connerie : " (...) le monde d’ici une quinzaine ou une vingtaine d’années sera totalement urbain...”. A force de raconter les histoires des princes et des princesses, on peut oublier (comme eux...) qu’il faut aussi des paysans pour nourrir l’humanité. 9 milliards d’humains dans les villes ? Ils mangeront quoi ? Des flics et du vent ?

Ça manque de culture tout ça. Voilà des idées sur lesquelles le ministre pourrait méditer :

Ignacy Sachs : Pour une bio-civilisation

Voir la vidéo du journal Le Progrès sur cet épisode :

- Les 3 et 4 octobre, une mobilisation des paysans du Forez a eu lieu lors des journées de la Fourme de Montbrison.
“Tous unis”, une centaine de paysans de toutes les organisations syndicales ont affirmé ensemble dans un texte : "La révision de la politique européenne des quotas laitiers a conduit à une augmentation de la quantité de lait produite en Europe et a contribué à l’effondrement du prix du lait chez le producteur uniquement, le prix actuel variant entre 25 et 28 centimes le litre.
Notre région avec ses exploitations de petites tailles a une économie très fragile basée sur le maintien de cette production de lait et participe à l’aménagement du territoire en préservant le notre cadre de vie et le tissu social.
Le prix de base du lait -pour une même qualité- n’est pas identique d’une région à une autre, d’une exploitation à l’autre suivant la filière utilisée. Dans un même village, on peut noter des disparités assez importantes.
Par exemple, les producteurs adhérents à URCVL sont en plus pénalisés de 30 € par 1000 L pour maintenir le fonctionnement de cette entreprise en grande difficulté financière.
La survie de la Fourme de Montbrison et l’équilibre de notre région est menacé.
Nombre d’entre nous sont endettés et certains malheureusement ne pourront pas passer le cap de 2009 et nous entraînons dans notre chute les artisans que nous faisons travailler.
Nous sollicitons l’appui de chaque citoyen et notamment des pouvoirs publics pour soutenir notre action et faire fléchir les autorités nationales et européennes en demandant une baisse des quotas laitiers de 5 % qui permettrait d’équilibrer l’offre et la demande et d’assurer la survie de nos exploitations.
Nous ne voulons pas de subventions mais le rétablissement du prix du lait à un niveau correct, soit un prix de 35 à 40 centimes le litre. De même, nous refusons de nous endetter un peu plus même s’il s’agit de prêts aidés par le gouvernement.
Nous refusons d’être des « assistés » et des « vaches à lait » pour les entreprises laitières et la grande distribution. Nous ne voulons pas d’augmentation de prix pour le consommateur.
Nous aimons notre métier, nous en acceptons les contraintes (météo, horaires, ...) mais nous ne voulons pas être à la charge de la société.
Nous voulons vivre décemment dans cette région que nous aimons avec un prix du lait correct en réduisant la marge des intermédiaires"

Une nouvelle journée d’action des paysans est annoncée pour ce mercredi 14 octobre.
L’APLI, l’EMB, la Confédération Paysanne appellent à un rassemblement à Paris.
Pour la Loire, rendez-vous est donné à 10h30 place Bellevue à St-Etienne. Au menu : une visite à la Direction Départementale de l’Agriculture, à Centre 2...

Si certains pensent que les paysans vont se résigner, ils font un mauvais calcul.
Surtout que la société comprend largement les enjeux et soutient leur combat.

D’autres infos :
- une réaction de la Confédération paysanne : Lait : désastre européen

- une réaction de l’APLI

- Un article à lire : Les nouveaux seigneurs de l’industrie laitière", Ivan du Roy sur Bastamag
cet article explicite ce tableau :










A St-Genest-Lerpt, près de la résidence du Préfet, le 26 septembre