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Un point de vue d’Emmanuel Antoine, président de Minga, dans Campagnes Solidaires, journal de la Confédération Paysanne

L’agriculture paysanne n’est pas une promesse commerciale

dimanche 23 octobre 2011

Comment en moins de cinq ans, est-on passé du commerce équitable au commerce de l’équitable ? Comment les industries de mise en marché (organismes de certification, agences de communication et marketing, GMS) réduisent une préoccupation politique en acte d’achat ? Regard d’Emmanuel Antoine de Minga (1).

Sur le sujet de la normalisation du commerce équitable, Minga s’est confronté à la puissance du capitalisme moderne et a pu en mesurer sa plasticité à tirer profit de ce qui le conteste.
Cette expérience nous a permis de constater également que la culture libérale et le réductionnisme économique et politique qu’elle véhicule sont profondément ancrés dans les têtes, y compris les nôtres. Centré sur le débat des normalisations, on finit par servir la cause combattue en confondant société civile et marché. Certains acteurs défendent une ligne dite « pragmatique », où le besoin de reconnaissance prend le pas sur la construction de rapports de force ; et d’autres une position dite « radicale » se traduisant par l’isolement et par une surenchère en termes de cahier des charges et de garantie, dans l’espoir d’éviter toute déviance.

Comment partager et promouvoir l’évolution des pratiques professionnelles sans réduire cet engagement à un argument de vente ? Comment faire pour que la recherche de cohérence entre le dire et le faire soit source de débat, d’amélioration des pratiques ? Ces questionnements ont conduit Minga à préciser en 2008 son positionnement « agir ensemble pour une économie équitable » et à assumer d’être une organisation à la fois professionnelle et politique (au sens de l’élaboration d’un projet de société).

Centrés sur le débat des normes, on en oublie la loi. Même si la loi est une norme, on ne peut pas considérer que l’adhésion volontaire à un cahier des charges soit du même ordre qu’une loi qui s’impose à tous. A titre d’exemple, adhérer aux cahiers des charges de l’agriculture biologique et interdire l’usage des pesticides et des OGM, ce n’est pas la même chose ! Dans le cadre de la norme, la rédaction appartient aux acteurs concernés, ceux qui ont les moyens de participer à cette rédaction, l’accès au texte de la norme est payant et le contrôle de sa conformité appartient à des organismes privés. Depuis plus de trente ans, la globalisation libérale remet en cause l’État de droit et sème la confusion entre normalisation et réglementation, les fonctions régaliennes de l’État étant de plus en plus confiées à des officines privées. On arrive à cette situation absurde où celui qui s’efforce d’améliorer son mode de production pour le rendre moins polluant, doit payer le prix de la mise en marché de sa production.

Dans le cadre de filières internationales, pour ne pas recréer le développement de productions destinées à l’exportation au détriment des cultures vivrières, nous avons toujours considéré le commerce équitable comme avant tout, un moyen choisi par les communautés pour défendre leurs droits, et notamment de maîtriser leur souveraineté alimentaire. C’est donc avec une attention particulière que nous avons suivi le développement des amaps. Mais se centrer exclusivement sur le débat de la garantie des circuits courts aujourd’hui, sans se demander à quoi sert une garantie et à qui elle s’adresse, c’est prendre le risque à nouveau de perdre le sens politique dont est porteur une démarche telle que les amaps et transformer ce mouvement en gestion de marque (fut-il établi par un système de garantie participative). La relation d’adhésion, ce n’est pas une promesse commerciale, c’est une relation entre citoyens pour promouvoir une agriculture paysanne. Si l’une ou l’autre des parties ne respectent pas un engagement, il peut toujours y avoir rupture - en mesurant bien que la relation économique reste asymétrique et que le cultivateur y perd bien plus que le consommateur. Rien n’empêche aussi les membres d’une amap d’assumer délibérément d’être hors la loi et de peser dans le débat public si la législation en vigueur joue au détriment de la qualité et sert exclusivement à protéger des intérêts industriels.

A travers les diverses formes de circuits courts, refuser que soit systématiquement exigée la garantie par tiers ou celle d’une organisation, ce n’est pas pour autant refuser l’évaluation partagée des pratiques, mais c’est éviter de tomber dans le piège de la gestion de marque et de la marchandisation de la confiance. Au lieu de s’épuiser à veiller sans fin à la « pureté » et à la « conformité » paysanne, alimentons le débat politique autour des enjeux du droit à une alimentation saine pour tous, en rendant du pouvoir, de l’autonomie et de la responsabilité aux individus et aux associations locales.

(1) Depuis 1999, Minga regroupe des entreprises, des associations, et des particuliers dont l’objectif est de participer par leurs manières de produire, de transformer, d’échanger ou de consommer au développement d’une société plus équitable.
www.minga.net


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