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Un programme d’expulsion des demandeurs d’asile est en cours dans la Loire. A deux étages ?
Nombreuses initiatives de protestation et de solidarité...
mardi 18 juin 2013, par
Les choses ont commencé à prendre forme, comme un puzzle dont les pièces s’assemblent, à partir de mi-mai. Au fil des jours, à Firminy, Roanne, St-Etienne, Montbrison, St-Jean Bonnefonds, Andrézieux-bouthéon... des familles de demandeurs d’asile déboutées (85% des demandeurs le sont) ou en recours devant la CNDA (1) après un premier refus de l’OFPRA (2), et qui étaient hébergées dans des CADA (3) ou des logements du “dispositif d’hébergement d’urgence” - appartements ou hôtels - étaient informées qu’elles allaient devoir partir. La préfète avait donné l’ordre - en réduisant les crédits ? - aux “opérateurs” de l’accueil des demandeurs d’asile, comme l’Entraide Pierre Valdo ou l’association “Renaître”, d’expulser. Pour aller où ? Nulle part, c’est-à-dire à la rue, puisque le 115 (géré par Renaître) ne propose rien.
Et, devant les premières actions de protestation avec les associations, et les demandes que soient enfin logés les demandeurs d’asile et d’autres familles aujourd’hui à la rue, la préfète s’est répandue dans les médias pour justifier ce qui était en cours, en essayant de prendre l’opinion publique à témoin et de la mettre de son côté : on n’a plus les moyens de loger tous ces gens.
Les forces qui font leur beurre du racisme en politique s’en donnent à coeur joie, il suffit de jeter un coup d’oeil sur le courrier des lecteurs sur le site du Progrès ! C’est la crise, il n’y en aura pas pour tout le monde. Alors chacun pour soi et dehors les étrangers...
Et le rejet des étrangers, ça se travaille. Deux arrestations ont eu lieu à la fin du rassemblement du 31 mai sous prétexte de blocage du tram pendant un moment. Deux jeunes dont la demande d’asile est en cours d’examen, et qui sont à l’abri à l’église de Montreynaud faute de l’hébergement auquel ils ont droit. Miguel a certes du être libéré le lendemain, mais il est convoqué au Tribunal le 29 novembre. Olivier, emmené au centre de rétention de Lyon, avec une OQTF pour être expulsé, a été libéré sur jugement du Tribunal administratif de Lyon qui a cassé la décision de la préfète...
On a alors commencé à prendre la mesure de la situation. El il a été estimé que 400 personnes - seules ou familles avec enfants - sont en train d’être mises à la rue dans le département de la Loire (4).
Pour “huiler” cette mise à la rue, les familles expulsés des CADA, appartements ou hébergements d’urgence sont mises 5 jours à l’hôtel. Un véritable couloir de la rue, un sas vers le vide. Mais qui soulage un peu la conscience de ceux qui participent de près ou de loin aux expulsions. On ne met pas les familles à la rue, mais à l’hôtel. Ce qui se passe après, évidemment, tout le monde le sait bien. Mais si on ne fait chacun qu’un petit bout de ce qui au total est une saloperie, c’est quand même moins dur...
Solidarité en marche
Les actions de protestation et de solidarité ont commencé à se multiplier : rassemblements devant la préfecture, comme le 31 mai, ou au sein des écoles et dans les communes...
Comme à Firminy où les rassemblements se succèdent depuis le 8 mai sur le parvis de la gare, avec au total plusieurs centaines de personnes, pour défendre les familles Hassani et M’Passi et leurs 7 enfants, mises à la rue vers le 8 mai, et prises en charge par un comité de parrainage. Le 7 juin, le Tribunal administratif de Lyon a ordonné à la préfète de loger la famille M’Passi.
Comme à Roanne (90 personnes visées ?), où les militants du collectif de soutien aux demandeurs d’asile sont allés brandir des cartons jaunes lors du discours de la mairesse Laure Deroche pour la fête de l’amitié entre les peuples. Et ont fait condamner le 4 juin la préfète de la Loire par le Tribunal Administratif de Lyon, lui ordonnant de loger une famille Kosovar avec 6 enfants à la rue depuis le 27 février. Un jugement au nom de la Loi : “Il appartient à l’Etat de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence à toute personne sans abri”, dans la suite de l’arrêt du Conseil d’Etat du 10 février 2012 (5).
Comme à Montbrison ou 2 familles réfugiées du Kosovo depuis 3 ans (une mère et 5 enfants, un couple et 5 enfants), doivent être expulsées les 25 et 27 juin.
Comme à St-Jean-Bonnefonds où 5 familles doivent être expulsées. La famille Begani (4 enfants, dont l’un, 4 ans, a besoin d’une opération du coeur) l’a été mardi 11 juin, mais avec une mobilisation solidaire des voisins qui n’était pas prévue, et en questionnant le rôle qu’on fait jouer aux travailleurs sociaux (6). Une autre famille de 3 enfants a été expulsée le 7 juin, mais ce même jour a eu lieu sur la place un goûter solidaire qui a réuni 80 personnes.
Comme à St-Etienne, où des goûters solidaires ont eu lieu le 7 juin dans trois écoles. Aux Frères Chappe, où 5 enfants sont mis à la rue avec leurs familles, l’association des parents a imprimé une photo géante où ils entourés par leurs copains, et réuni plus de 800 signatures (voir son site).
A Gaspard Monge, autour de Lika, 4 ans, et de ses parents. Et à l’école de Jacquard. Mobilisation aussi avec les parents à l’école de Chavanelle, où une famille est à la rue depuis les dernier jours de mai...
Ce qui se fait contre les enfants, jetés dehors de leur hébergement et donc aussi de leur école à quelques semaines de la fin de l’année scolaire est particulièrement révoltant. Mais cette violence frappe aussi tous les enfants, car comme l’a bien dit jean-François Peyrard, de Firminy : “Aujourd’hui dans la Loire, on fait subir à nos propres gamins le fait que leurs copains ne savent pas où ils vont dormir le soir”.
La FCPE a apporté son soutien : “indignée du traitement réservé à des dizaines d’enfants. Parmi ces familles, ce sont des enfants scolarisés qui dorment dehors, des camarades de classe qui ne retrouvent pas un toit le soir après l’école”...
Les mauvais arguments de la préfète de la Loire.
Elle dit pour résumer que les arrivées de demandeurs d’asile dans la Loire ont beaucoup augmenté ces dernières années, qu’il en arrive 100 par mois (officiellement, on a les chiffres : 307 en 2007 et 837 en 2012). Alors, "Si nous continuons à héberger les demandeurs d’asile déboutés, nous n’aurons plus d’argent au 15 juillet. De plus, ceux-ci prennent les places qui sont légalement attribuées à d’autres dont les demandes sont en cours et qui, eux, n’ont pas de toit". Ce, même s’il y a 1644 places d’hébergement d’urgence au lieu de 559 en 2208. Et ça coûte trop cher à la Loire, qui n’en peut plus : 11 millions d’euros. Particulièrement l’hébergement dans les hôtels (500 personnes en 2011)...
Voilà en quelques lignes un empilement d’approximations et d’omissions, donc des contrevérités.
D’abord, l’arrivée des demandeurs d’asile, qui avait beaucoup augmenté en France et ailleurs - conséquence de la situation du monde - s’est stabilisée en 2012. Et c’est même un des arguments du gouvernement pour limiter les crédits d’accueil (7).
Ensuite, il faut savoir qu’il existe un “Dispositif national d’accueil-DNA” : même si des demandeurs d’asile atterrissent dans la Loire, c’est la préfecture de région (Rhône) qui a la main sur leur “affectation”, leur répartition et leur prise en charge dans la région ou ailleurs en France, en liaison avec le ministère de l’intérieur. Le département n’est pas un “point d’entrée”. La Loire est certes un département dans lequel le nombre de demandeurs d’asile est important - et c’est pourquoi il dispose d’une PADA-Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile, qui doit les accompagner -, mais l’argent utilisé pour leur accueil (soit en CADA avec un accompagnement social, soit en hébergement d’urgence avec éventuellement une ATA-allocation temporaire d’attente) est de l’argent de l’Etat, pas des fonds pris à l’échelle départementale et sortis de la bouche de populations déjà en difficultés (8).
Et ceci se fait dans le cadre des obligations internationales de la France et de l’application de la Convention de Genève sur les réfugiés (9).
Les hébergements en hôtels sont hors de prix ? Mais c’est ce que disent depuis des années les associations et le collectif "Pour que personne ne dorme à la rue", au sein du groupe de travail qui s’est réuni plusieurs fois pour rien en préfecture, sans aucune suite. Des solutions ont été proposées à la préfète : bâtiments publics vides à aménager, ouverture des logements sociaux vides au lieu de les démolir (1000 démolitions sont encore programmées en 2013 à St-Etienne !) (10). D’ailleurs la Préfète n’est pas en train d’arrêter avec les hôtels. Il est même dit aux hôteliers que s’ils veulent être payés, ils doivent expulser vite fait des demandeurs d’asile pour qui la préfecture ne paie plus parce qu’elle va leur en faire envoyer d’autres...
Où veulent en venir la préfète, le ministre Valls et le maire de St-Etienne ?
- déclaration de M. Vincent dans le Progrès du 6 juin
Un programme d’une telle ampleur suppose que la Préfète n’agit pas sur un coup de tête, et qu’elle a des arrières. M. Vincent, Sénateur-maire de St-Etienne a tout de suite apporté son appui aux expulsions (11) en reprenant des contrevérités et en plaidant pour une deuxième étape qui serait l’expulsion du territoire : “ce sont des personnes qui ont épuisé leurs droits et qui doivent retrouver leur pays d’origine”. Il avait déjà dit le 25 mai : “L’application de la loi, qui contraint les demandeurs déboutés (...) de rejoindre leur pays d’origine est donc inéluctable.” Il demandait également “une autre politique au niveau national. Le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls a annoncé une réforme (...) Je soutiens cette réforme, indispensable désormais”. Vincent place donc ce qui se fait dans la Loire dans le cadre de la réforme Valls à venir, et laisse entendre que ce n’est qu’une première étape. Il appelle ni plus ni moins à l’expulsion de familles et d’enfants qui sont ici depuis des années.
La Loire est-elle une sorte de département-test, d’expérimentation grandeur nature de ce que le ministre de l’intérieur Valls annonçait le 4 mai dans le Monde : une réforme du système d’asile, avec une nouvelle loi, permettant de réduire les délais d’instruction des demandes, de réduire l’hébergement d’urgence, et surtout d’expulser rapidement les déboutés (12) ?
Valls annonçait qu’il allait lancer une consultation sur cette réforme en juillet pour qu’elle soit conclue en octobre. Après avoir été testée dès mai-juin dans quelques départements ?
Cette politique là, c’est du Sarkozy pur jus, et Valls annonce au fond des expulsions massives : “L’autre problème c’est que, en pratique, peu de déboutés sont éloignés. S’ils restent en France sans titre de séjour, ils dévoient le droit d’asile, et relèvent alors de la lutte contre l’immigration irrégulière. C’est l’objet de la réforme équilibrée que je souhaite : il faut aussi une action déterminée sur les déboutés. Je serai intransigeant sur ce point.”
Alors, on peut craindre que le programme d’expulsions en cours soit à deux étages : d’abord expulsion des logements et hébergements. Ensuite, expulsion du territoire.
C’est pour moins que ça que RESF a été créé en 2006 (13). Et ce n’est pas ça que tant de gens attendaient après la défaite de Sarkozy (14). Et ce qui était inacceptable sous Sarkozy-Hortefeux-Guéant ne l’est pas plus avec Valls et un gouvernement qui le ferait au nom de la gauche.
La ligne politique et les façons de faire de Valls - qui annonce maintenant ses ambitions pour Matignon et l’Elysée - font beaucoup penser au parcours qui a permis à Sarkozy d’arriver au pouvoir. A ce qu’on entend, tout le monde ne serait pas d’accord avec cette “ligne”, au sein du PS. Mais publiquement, silence. A St-Etienne, le député et secrétaire départemental du PS R. Juanico, dit en privé qu’il n’est pas d’accord. Mais pour le moment, publiquement, c’est le maire de St-Etienne, Vincent, soutien de Valls, qui parle.
A suivre ?
Aujourd’hui, la préfète se permet de violer la loi. En anticipant sur la loi annoncée ? Mais aujourd’hui aussi, les actions de solidarité se multiplient...
Roger Dubien.
(1) CNDA : La Cour nationale du droit d’asile
(2) OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides
(3) CADA : centre d’accueil de demandeurs d’asile
(4) Il semble que des décisions identiques soient en cours en Gironde (95 personnes) et dans le Calvados (71 personnes dont 32 enfants)...
(5) Il existe maintenant un droit inconditionnel à l’hébergement. Il "appartient aux autorités de l’Etat de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, physique et sociale".
(6) voir : la solidarité des voisins et la résistance de la mère de famille n’avaient pas été prévues
(7) voir la discussion au Sénat de novembre 2012 lors de l’examen du budget.
Cette discussion au Sénat montre aussi que le budget prévu et affiché pour accueillir les demandeurs d’asile, a été très faible ces dernières années. Et donc, même sous Sarkozy, il a bien fallu rallonger plusieurs fois en cours d’année. En 2012, le budget
"primitif" a été notablement augmenté, mais pas à la hauteur des sommes réellement dépensées l’année précédente. Et donc il a fallu encore rallonger en cours d’année en subventions "de gestion". Pour 2013, le budget confirme celui de 2012, mais sans prendre en compte les rallonges en cours d’année. Est-ce que maintenant le ministère de l’intérieur a décidé de s’en tenir au budget primitif, sans les rallonges, et donc de baisser fortement les crédits réellement utilisés ?
(8) voir : La régionalisation de l’admission au séjour des demandeurs d’asile
(9) La Convention de Genève relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951 : "Le terme « réfugié » s’appliquera à toute personne qui (...) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (...)"
(Voir http://www.ofii.fr/IMG/pdf/Convention_de_Geneve.pdf)
(10) A noter que J. Chérèque, nommé récemment inspecteur général des affaires sociales et chargé de suivre la mise en œuvre du “plan de lutte contre la pauvreté” vient de faire aussi cette proposition au gouvernement : “pour libérer des places dans ces hébergements, j’ai demandé que les demandeurs d’asile puissent avoir accès au logement social et pas seulement à l’hébergement temporaire.” (Voir interview sur le site Observatoire des inégalités)
(11) Dans Le Progrès 6 juin : "il faut appliquer la loi" - “je soutiens l’action de la préfecture à faire appliquer la loi. Les dossiers des demandeurs d’asile sont des dossiers douloureux, mais ce sont des personnes qui ont épuisé leurs droits et qui doivent retrouver leur pays d’origine. C’est une position ferme mais c’est la seule que l’on puisse tenir, d’autant plus que le nombre de demandeurs d’asile ne cesse d’augmenter. Il faut aussi tenir compte des difficultés financières qui sont devenues insurmontables dans notre département.”
(12) Le Monde du 4 Mai. Valls annonce la couleur sur l’orientation de sa réforme.
(13) Voir lors de la création de RESF en 2006 : “Nous les prenons sous notre protection”.
(14) RESF mai 2012 : Un moratoire sur les expulsions maintenant, prélude à une profonde évolution