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Les enjeux du prochain règlement européen des semences

Biodiversité, semences reproductibles, agricultures paysannes, souveraineté alimentaire, ou bien main-mise des multinationales ?

jeudi 24 octobre 2013, par Roger Dubien

Un nouveau règlement européen sur les semences est en discussion à Bruxelles. Un rapport doit être remis en cette fin octobre. Puis un débat au Parlement en séance publique est prévu pour le 26 novembre. Et un vote à la commission agriculture du Parlement européen en janvier 2014...

Il est appelé “better regulation”, comprendre : amélioration de la régulation. Et c’est vrai que la complexité et la bureaucratie incroyables des directives qui existent aujourd’hui est un bon prétexte pour changer. Et c’est vrai qu’il faut changer profondément les choses dans ce domaine. Mais toute la question est : dans quel sens ? Au profit de l’agro-industrie, des grands groupes de la chimie et des semences industrielles hybrides et OGM, ou bien pour promouvoir la biodiversité, les semences paysannes - qui sont reproductibles -, la souveraineté alimentaire, et l’agriculture paysanne ?
Ceci veut dire qu’il est indispensable que les premiers intéressés : paysans, jardiniers, mettent leur nez là-dedans. Mais pas seulement eux : c’est tellement important pour la vie des sociétés qu’il est nécessaire que tout le monde s’y intéresse.
Malheureusement, il est difficile de se repérer dans tout ça. Heureusement, un gros travail est réalisé par des dizaines de mouvements, dans toute l’Europe, par exemple en France par le Réseau Semences Paysannes, et en Europe par les associations qui participent à la LLD - Coordination Européenne Libérons La Diversité. Car s’est construit ces dernières années un mouvement européen de défense des semences paysannes.

Sur l’état du projet de nouvelle réglementation, il faut lire “La biodiversité mise sous contrôle pour ouvrir le marché aux brevets”. Ce texte faisait le point de la situation en mai 2013.

Fin juillet 2013, Guy Kastler, du Réseau Semences Paysannes, alertait ainsi sur TV5.org : "On va favoriser la détention de toutes les semences et de toute la chaîne alimentaire par les grandes multinationales...".

Guy Kastler y expliquait cependant que le projet actuel de réforme de la réglementation semble ouvrir deux portes pour les promoteurs de la biodiversité et de l’agriculture paysanne :
- Il sera possible de commercialiser des semences sans avoir obligation d’enregistrement au catalogue, si on est une micro-entreprise avec moins de deux millions de chiffres d’affaire et moins de 10 salariés. C’est le cas de petits producteurs maraîchers...
- Les agriculteurs pourront faire des échanges informels de semences, entre agriculteurs, à partir du moment où ils ne produisent pas de semences pour le commerce.
Jusque là, il était en principe légal d’échanger - donner ou vendre - des semences non inscrites au catalogue à condition de spécifier que c’est pour une production non destinée au commerce (usage de jardiniers amateurs). Mais parfois c’était interdit, et des contrôles agressifs ont été effectués. “Là, la commission européenne propose de reconnaître ces échanges de semences : soit dans le cadre de la conservation des ressources génétiques, ou bien en nature, entre personnes, si elles ne sont pas des producteurs de semences commerciales”.
Une autre ouverture serait “la reconnaissance de ce qui est appelé le "matériel hétérogène". Ce sont des plantes sélectionnées par les paysans mais qui n’étaient pas faciles à enregistrer dans les catalogues, parce qu’elles ne sont pas considérées comme "stables". Cette plus grande souplesse d’enregistrement serait une bonne chose pour les producteurs bio qui les utilisent beaucoup (mais) ... notre crainte se situe au niveau de ceux qui font des OGM. “

Car cette dernière ouverture a tout l’air d’un cheval de Troie pour faire rentrer légalement les OGM et autres plantes brevetées en Europe. Car il se trouve que des semences OGM obtenues par de nouvelles techniques (mutagénèse, etc...) qui ne présentent pas les caractères de DHS-Distinction, Homogénéité, Stabilité aujourd’hui obligatoires pour être inscrites au catalogue officiel, surtout le critère de stabilité, pourraient profiter de cette “reconnaissance du matériel hétérogène” pour entrer en force en France et en Europe.

Des semences populations seraient enfin autorisées légalement. Mais, en l’état, ce sont les OGM et les brevets (avec la contamination, les procès et la ruine des paysans et jardiniers) qui profiteraient de cette porte pour entrer en grand. “Le but des multinationales est de faire rentrer leurs variétés instables dans le catalogue. Aujourd’hui, le brevet amène de nouvelles techniques comme la mutagenèse, la biologie synthétique. Le nouveau cadre juridique du matériel hétérogène leur offrirait cette possibilité de faire rentrer légalement ces nouvelles techniques en Europe.” dit Guy Kastler. Avec au bout de quelques années, comme aux USA, “la main-mise de quelques multinationales sur la totalité des semences. Avec la puissance du brevet et la contamination, mais aussi les contrôles”.
C’est pourquoi il est indispensable d’exclure les plantes OGM et brevetées du catalogue et du bénéfice de cette “ouverture”.

Semences paysannes ou liberté du commerce ?

Ces derniers jours a circulé un message de Kokopelli s’en prenant violemment au Réseau Semences Paysannes et à la coordination européenne Libérons la Biodiversité à propos du nouveau règlement européen et notamment du déroulement du récent “Forum de Bâle” organisé en septembre 2013 par la CE-LLD, ainsi qu’une pétition de Kokopelli pour demander aux députés que toutes les variétés appartenant au “domaine public” (cad qui ne sont pas concernées par un COV-certificat d’obtention végétale ou un brevet) soient exclues de la législation européenne sur le commerce des semences et de toute “régulation”.
Cette question a été débattue au Forum de Bâle. Quel est l’enjeu ? Concernant le nouveau Règlement européen sur les semences, Via Campesina Europe et le Réseau Semences Paysannes demandent qu’il n’y ait “aucune inscription ou certification obligatoires des semences librement reproductibles qui ne sont pas protégées par un DPI" (Droit de propriété intellectuelle), mais rajoutent aussi la demande qu’il y ait “des règles simples d’identification de la variété, prenant en compte son origine et les méthodes d’obtention, et d’indication des lieux et années de multiplication des semences (...) pour informer les acheteurs”.

Pour certains, donc, il s’agit de refuser toute régulation publique du commerce des semences. Pour d’autres, d’exiger une régulation plus juste, car réclamer seulement la liberté du commerce des semences, renoncer à réguler ce commerce, c’est ouvrir en grand les portes aux semences industrielles OGM et autres brevetées, ouvrir les portes à la contamination des semences paysannes, et à la domination quasi totale des multinationales qui les amènent dans leurs valises.

“La proposition de réglementation européenne sur le commerce des semences ne concerne en effet pas que la certification et l’enregistrement au catalogue", dit le RSP. "Elle définit aussi le matériel hétérogène enregistré sur des registres différents du catalogue, le matériel de niche qui n’est enregistré sur aucun catalogue ou registre officiel, le contrôle de la loyauté des informations commerciales revendiquées, de la qualité des semences commercialisées, l’enregistrement et le contrôle des opérateurs, la traçabilité...
Nous ne sommes évidemment pas d’accord avec la persistance de nombreuses restrictions ni avec les excès de bureaucratie et de normes imposés par ce règlement, et encore moins avec la privatisation de l’enregistrement et des contrôles. Mais nous voulons conserver un contrôle public du commerce, proportionné à la taille des opérateurs, adapté à chaque type de semences, notamment les semences biologiques, et destiné à protéger les agriculteurs et les jardiniers qui achètent des semences commerciales et les artisans semenciers qui en commercialisent contre les fraudes et les pratiques commerciales déloyales.
C’est pourquoi nous proposons de modifier ce règlement, mais en aucun cas de supprimer tout contrôle du commerce des semences, qu’elles soient du domaine public ou non (...) ”

Bref, la position du Réseau Semences Paysannes, de la coordination européenne LLD et de Via Campesina n’est pas de réclamer la liberté du commerce des semences. Parce qu’elle serait la liberté du renard dans le poulailler. Parce que s’en tenir là, ce serait aider à liquider rapidement la biodiversité cultivée et les semences paysannes.

Pour plus d’infos, voir la déclaration du CA du Réseau Semences Paysannes