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Après le rejet par le Parlement Européen du nouveau règlement européen sur les semences...

Réglementation sur les semences : décryptage du point de vue des semences paysannes

mardi 18 mars 2014, par Guy Kastler, Philippe Catinaud

On connaît les menaces qui pèsent sur les semences paysannes et la liberté de semer. Le 11 mars, le Parlement Européen a rejeté la proposition de nouveau règlement sur la commercialisation des semences ("PRM") présenté par la commission européenne. Mais ce vote est la résultante de motivations et d’objectifs profondément contradictoires. Guy Kastler et Philippe Catinaud, du Réseau Semences Paysannes et de la Confédération Paysanne expliquent ici l’arrière plan de ce vote. Et appellent à agir pour une nouvelle réglementation des semences favorable aux paysans, aux jardiniers et à la biodiversité.
Pour essayer de comprendre les enjeux liés aux réglementations sur les semences paysannes, on peut aussi regarder ces 22 diapos réalisées par BEDE, le RSP et le collectif Semons la biodiversité"
On peut en télécharger le document en pdf ici :
http://www.bede-asso.org//version pdf,
ou bien le télécharger en version ppt ici :
http://www.bede-asso.org//version ppt

Et on pourra en parler avec Bob Brac de la Perrière, ce samedi 22 mars à la fête des semences paysannes à Marcily...

Le nouveau règlement semences respire-t-il encore ?

Que peut-il se passer après le rejet le 11 mars dernier par le Parlement européen de la proposition de nouveau règlement sur la commercialisation des semences de la commission européenne (PRM) ? Pour répondre à cette question, il convient d’abord de s’interroger sur le contexte dans lequel s’inscrit ce vote. Contexte européen dominé par les négociations de l’accord de libre échange avec les USA, ou TAFTA, et jusqu’en mai 2014 par la campagne électorale pour le renouvellement du Parlement européen.

Les multinationales biotech en arrière-plan

L’obligation européenne actuelle d’enregistrer les variétés au catalogue suivant les normes du Certificat d’Obtention Végétale (COV) pour pouvoir en commercialiser les semences est considérée par les USA et les multinationales biotech comme une barrière non tarifaire non justifiée. La feuille de route qui a été confiée aux négociateurs du TAFTA n’accepte qu’une seule restriction à la liberté des échanges : les « normes fondées sur la science ». Qu’elles soient sanitaires, phytosanitaires, environnementales, de biosécurité..., ces normes définissent toutes des caractères brevetables (1). Car seul le monopole accordé par les brevets est à même d’amortir le coût des dossiers d’autorisation de mises sur le marché (AMM) qu’elles impliquent : une manière élégante de brandir la liberté du commerce pour réserver l’accès au marché aux seuls produits brevetés. Les conflits d’intérêt qui gangrènent les agences européennes et américaines chargées de la sécurité sanitaire des aliments (l’EFSA et la FDA) dans leur gestion des autorisation d’OGM et des pesticides et la domination totale des semences brevetées sur le marché des principales cultures agricoles américaines (maïs, soja, coton, colza...) révèlent l’objectif réel de telles « normes fondées sur la science ».

Le rejet du PRM par le Parlement européen ne lui interdit pas d’adopter le 15 avril prochain les autres propositions de règlement contrôle, santé des plantes et santé des animaux qui font partie du même paquet « better regulation » (2). Ces règlements définissent les procédures « d’auto-contrôle sous contrôle officiel » destinées à permettre aux grosses entreprises de déterminer elles-mêmes quelles normes et procédures elles veulent appliquer pour se contrôler elles-mêmes. Mais ces normes et procédures, taillées sur mesure par et pour les multinationales, sont inapplicables par les petites entreprises, les petits agriculteurs et les praticiens de l’agroécologie paysanne. Ceux-ci seront ainsi enfermés dans les « niches » délimitées par des dérogations leur interdisant de marcher sur les plates bandes des multinationales. La position sur ces trois règlements que prendront les parlementaires et les divers acteurs qui ont manifesté leur opposition au PRM sera révélatrice de leurs véritables intentions.

La commission et le Conseil n’ont pas dit leur dernier mot

Si le Conseil rejette à son tour la proposition PRM, la commission sera obligée de la retirer. Le marché restera alors régulé par les directives « catalogue » actuelles qui restreignent encore plus l’accès de la biodiversité au marché et les droits des agriculteurs d’échanger leurs semences. La survie de ces directives sera alors conditionnée au devenir du TAFTA dont la feuille de route conforme aux intérêts des multinationales est déjà inscrite dans les 3 autres règlements.

Mais le Conseil peut aussi amender la proposition PRM, ce qu’il a commencé à faire au cours de nombreuses réunions de travail qu’il a organisées depuis sa publication le 6 mai 2013. La commission, qui garde son droit d’initiative, peut produire elle aussi une proposition amendée. Qu’elle vienne du Conseil, de la commission ou des deux, cette nouvelle proposition sera alors débattue en 2° lecture par le nouveau Parlement qui n’aura que trois mois pour l’étudier, donc beaucoup moins de temps pour l’amender qu’en première lecture. Le Parlement pourra certes aussi la rejeter une nouvelle fois, mais cela semble assez peu probable. En effet, quelle que soit sa nouvelle composition, le contexte qui a favorisé son vote du 11 mars aura changé.

Des enjeux électoraux ?

La première raison de son rejet est en effet la pression de la période électorale qui a incité tous les partis politiques à éviter un débat de société risqué sur un sujet qui les divise profondément :

- les uns ont relayé les inquiétudes de la société civile vis à vis de la disparition de la biodiversité cultivée. Malheureusement, la rumeur d’une interdiction de tout échange de semences entre agriculteurs ou jardiniers a largement circulé. Elle a légitimé le refus en bloc du PRM alors même que c’est le premier texte juridique européen qui reconnaît explicitement ce droit à l’échange dès ses premiers articles. Il devenait dès lors difficile de demander d’amender et d’améliorer le PRM afin d’élargir et de consolider les nouvelles ouvertures qu’il offre pour assouplir les contraintes du catalogue et d’empêcher qu’elles ne profitent à un déferlement de semences brevetées.
Contrairement aux apparences, la défense de la biodiversité n’est pas partagée par la majorité du Parlement européen et ne peut pas expliquer à elle seule l’absence de tout travail de négociation des amendements qui a précédé le rejet du PRM le 11 mars. Le même Parlement a en effet adopté le même jour une résolution sur l’horticulture (3) défendant l’emploi accru des pesticides et des technologies brevetées de manipulation génétique des semences qui détruisent la biodiversité cultivée. Et le 25 février, il avait déjà adopté une autre résolution (4) demandant d’encourager la recherche sur les nouvelles « technologique de sélection végétale (5) » et de ne plus informer les consommateurs sur les manipulations génétiques des semences.

- les autres, ceux qui ont relayé ces demandes de l’industrie, se sont trouvés pris entre deux exigences contradictoires lorsqu’ils ont du se prononcer sur le PRM : celle de l’industrie semencière traditionnelle attachée à l’obligation du catalogue qui garantit la protection de ses COV et celle des multinationales des biotech qui veulent ouvrir le marché à leurs nouvelles semences brevetées sans aucune autre contrainte que les « normes fondées sur la science ».

Toute négociation sur les amendements à apporter au PRM aurait révélé ces multiples contradictions. Son rejet a au contraire permis à chacun de dire à « ses » électeurs ou bailleurs de fonds qu’il a refusé ce dont ils ne voulaient pas. Il permet aussi de faire savoir que le Parlement entend se faire respecter par une commission qui a tendance à ne pas le prendre suffisamment en considération, message toujours utile en période électorale. Mais ce rejet ne satisfait aucune des demandes contradictoires de la société civile et de l’industrie. Il paraît assez probable que la pression conjointe des négociations du TAFTA, des multinationales, de la commission et du Conseil en train de capituler sur les autorisations d’OGM fera éclater l’unanimité de façade préélectorale dès les élections terminées.

En attendant, il devient urgent de se mobiliser :

- pour ce que nous voulons  : les droits des agriculteurs d’utiliser et d’échanger leurs semences et d’accéder à toute la biodiversité cultivée libre de droit de propriété industrielle ; la relocalisation de la production des semences ; une régulation et un contrôle publics du marché garantissant la souveraineté alimentaire et la protection des semences paysannes contre les contaminations génétiques, sanitaires et la biopiraterie ; des normes adaptées au vivant...

- contre ce que nous ne voulons pas : l’ouverture du marché aux semences brevetées et aux OGM ; un marché mondial des semences dérégulé ; la privatisation du contrôle de la mise en marché ; les normes industrielles ; les trois propositions de règlements contrôle, santé des plantes et des animaux...

Quoi qu’il en soit, si l’objectif est d’améliorer la situation actuelle qui est très préoccupante, on ne pourra pas faire l’économie d’une bataille pour une nouvelle réglementation semences garantissant la protection de ces droits.

Philippe Catinaud, coprésident du Réseau Semences Paysannes

Guy Kastler, responsable de la commission semences et OGM de la Confédération Paysanne

Notes

(1) Résistance à un insecte, à la sécheresse, au sols salés, désherbage plus ciblé, avantage nutritionnel ou sanitaire, présence d’OGM... sont autant de caractères brevetables

(2) Simplification de la réglementation en langage eurocrate

(3) L’avenir du secteur horticole en Europe : stratégies pour la croissance 2013/2100(INI)

(4) Sélection végétale : quelles options pour augmenter la qualité et la production 2013/2099 (INI) http://www.europarl.europa.eu

(5) Les OGM et autres bricolages du génome des plantes en langage eurocrate.