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St-Etienne stories

samedi 17 octobre 2015, par Florence Dursapt

L’an passé, le collectif X nous a réveillé en lisant en choeur "Art, vérité et Politique" de Pinter.
Alors en découvrant le projet "VILLES#1 SAINT-ÉTIENNE" et ses partenariats (http://collectifx.com/projets/villes/), j’ai été à la fois séduite et inquiète.
Séduite parce que le collectif X est très créatif, que le projet original regroupant des comédiens et des urbanistes, d’un "laboratoire de théâtre urbain", définissait clairement son "cahier des charges ". On peut par ailleurs se satisfaire qu’une municipalité ait offert des subventions à des artistes pour la production d’un spectacle qui pourtant.... pouvait révéler certaines vérités sur St-Etienne...
Inquiète quand même sur les risques de récupération pour la com de la ville et me demandant (bien après Platon et d’autres...) : à quoi servent les artistes dans la Cité ?

Vendredi 9 octobre à la Plateforme. Le collectif X a su relever le défi, en donnant à voir des tableaux très sensibles sans trop tomber dans le kitch (gaga), ni la désign-"touch" un peu bobo de certaines expériences artistiques qui prétendent aborder le sujet "social" et ne rencontrent que le narcissisme individuel, ni le misérabilisme : soit en créant de la distance (avec humour souvent), rendant les témoignages récoltés dans les ateliers à Montchovet, au Soleil et autour de la plaine Achille, dans les quartiers vivants et véridiques, soit en incarnant avec finesse et respect certaines figures touchantes. En interrogeant aussi les clichés et images de la ville : enfin dire qu’elle est aussi moche, déglinguée, que créative ! Qu’on peut aussi avoir envie de la quitter et qu’est-ce qui peut faire qu’on y reste.

Le Choeur a scandé 100 définitions paradoxales. En voir quelques unes sur le site du collectif X (http://collectifx.com).
Le Choeur parmi ses fonctions depuis le théâtre antique représente la population.
Une controverse a conclu les trois tableaux - protocoles. Portée par un jeune urbaniste qui à travers son expérience des ambiguïtés des projets d’urbanisation a posé explicitement les vraies questions tant sur l’éthique envers les habitants qui devrait aussi accompagner les politiques urbaines que sur les objectifs de gentrification ( St-Etienne y échappe t-elle vraiment ?).

La parole a ensuite été donnée à la salle : comment peut-on davantage participer ? ( pour être citoyen ?)
Voilà une question qui a pu sembler un peu naïve à quelques uns d’entre nous. Peut-être a-t-elle même réjoui les élus dans la salle...
Comment ? Ben en donnant des budgets aux citoyens, pas en leur demandant de discuter aprés des décisions déjà prises, et en leur permettant aussi d’exercer une véritable souveraineté dans les institutions, sur leur lieu de travail, en respectant leur vote, peut être même en ne faisant pas semblant d’ignorer qu’ils peuvent aussi mener des "mouvements sociaux " ou politiques...
Mais les critiques qui ont percé sur les limites des actuels conseils de quartiers (chambre d’enregistrement, discussion sur des projets limités) n’étaient pas inintéressantes.

Face au Storytelling qui prétend - comme le dit très bien Christian Salmon (*) « tracer » dans ses récits notre expérience du monde, "la littérature se doit plus que jamais, selon le vœu de Kafka, de recréer « les conditions d’une parole vraie d’être à être », en esquivant les engrenages du récit, en opposant aux fictions régulatrices du pouvoir la « fonction fabulatrice » des pauvres (Deleuze)".
Ne participons pas à la confiscation du sensible et de la beauté par les institutions de la gestion et du contrôle, à l’organisation du grand spectacle où la vie d’un migrant peut être mise à la même place que celle d’une star de foot au nom d’une empathie manipulatrice qui remplace toutes les confrontations sociales. Il s’agit de créer nos propres récits dissidents.
Bien plutôt faire émerger comme Pasolini "ce poète de la réalité " la Rabbia de St-Etienne "

Florence Dursapt

Storytelling et contre-storytelling

Dans "Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits", publié en 2007, Christian Salmon a fait connaître de nouvelles techniques de communication et de management utilisant la puissance "immersive" et persuasive du récit à des fins ... pragmatiques qui ont largement dépassé le cadre de la pub ou de l’entreprise et irrigue désormais l’espace social et politique à côté des multiples méthodes de la "démocratie participative" qui ne servent pas qu’à faire discuter les citoyens mais aussi à participer à une entreprise de labellisation de la ville tout autant qu’elle vise à les en rendre fiers ! Qu’on pense au dernier film officiel présentant St-Etienne "Confidences" qui mériterait à lui seul un décryptage par un anthropologue...

Le Storytelling ou "communication narrative" a consisté tout d’abord dans le secteur marchand à induire des comportements d’achat, puis dans celui de l’entreprise à motiver les employés et la force de travail ou enfin susciter l’adhésion envers une entreprise, une marque mais très vite aussi une personnalité politique, leurs "stories" censées témoigner de leur histoire et de leurs valeurs. C’est un puissant opérateur "d’identification" et de "conditionnement des comportements, utilisant à ses propres fins, le pouvoir qu’a le récit d’organiser l’expérience , "de partager le sensible" (Jacques Rancière)
Christian Salmon, par ailleurs s’intéresse désormais à l’instrumentalisation de l’art auquel il oppose la force "contre-narrative" de la littérature - sa puissance de décentrement, de détournement, de déplacement qui en fait sa dimension "émancipatrice".
C. Salmon montre que des expériences de contre - storytelling existent chez de nombreux artistes dans les performances de l’art contemporain, le théatre, le cinéma, etc... citant notamment des films comme Platform, "Still Life" de Jia Zhangke déconstruisant les récits managériaux, et "la Question humaine" de Nicolas Klozt en résonnance avec les travaux de Christophe Dejours sur la souffrance au travail.

(*) Christian Salmon sur son compte Twitter et son Blog.
Son ouvrage "Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits" a été publié à La Découverte (Poche 2008).

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Storytelling-9782707163974.html

http://blogs.mediapart.fr/mot-cle/storytelling

http://communication.revues.org/2635

Vous y trouverez aussi une critique de l’ouvrage de Salmon (mais en s’intéressant aux pratiques du contre storytelling n’y répond-il pas ? Et n’est-ce pas très discutable de prétendre que le storytelling est partout, et que finalement il n’y a plus de bord à choisir, d’histoire à construire collectivement, il n’y a que des individus et des "histoires" des points de vue dans la société démocratique ?
Extraits : "Salmon néglige l’appropriation du storytelling par les groupes en position subalterne, les jeux sur les ambivalences entre expériences vécues et fiction ainsi que les formes hybrides du récit qui en découlent pour atteindre les espaces audiovisuels de visibilité. La mise en récit est alors au cœur d’une lutte pour la reconnaissance dans l’espace public, elle est l’un des modes performatifs, au sens de resignifications permanentes des catégories et des modèles sans origine fixe (Butler, 2005), un moyen de contestation parmi d’autres des modèles établis. Comment comprendre que cette mise en récit se retrouve chez des personnalités appartenant à des partis politiques contestataires et à la base électorale de relativement faible importance ? Olivier Besancenot, le leader de la Ligue communiste révolutionnaire, a pour la première fois participé de l’émission d’infotainment Vivement dimanche (Drücker, déc. 2008) dans laquelle il a répondu et participé d’une mise en récit de sa vie de militant et de sa vie intime. Ici, nous voyons les limites de l’analyse de Salmon. Peut-on analyser de façon homogène le storytelling des groupes en situation hégémonique et celui des groupes subalternes ? Ce n’est donc pas dans la forme du storytelling qu’il faut chercher les modèles dominants, mais dans le storytelling tel qu’il est un des lieux de circulation du pouvoir, au centre de controverses significatives des sociétés contemporaines".
"Salmon déplace le sens gramscien du terme hégémonique pour le réduire à un pouvoir de formatage et ignorer les résistances et appropriations par des publics multiples et situés. Or le rôle actif des publics consiste à la fois en un « décodage » des messages souvent différents de leur « codage » (Hall, 1973), en des lectures situées dans des contextes socio-historiques en perpétuel changement, en des braconnages et interprétations au sein de communautés de savoirs et de « mondes de l’art » particuliers (Jenkins, 2008). À l’homogénéité du storytelling avancée par Salmon et à sa réception, le champ des cultural studies propose une vision liée à des modèles de domination sans garanties (Hall, 1997), qui toujours affrontent des résistances tant à la production qu’à la réception".

Autres liens pour s’intéresser au Storytelling :
http://www.passionvente.com/exemple-de-storytelling/
http://www.blogstorytelling.com/