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"Desert dancer" dimanche 7 Février à 11h au Méliès Jean Jaurès

Afshin Ghaffarian danse avec la liberté

Une projection+discussion organisée par Stéla - Des Arts // Des Cinés...

dimanche 7 février 2016, par Roger Dubien

Dimanche 7 février, à 11h au Méliès Jean Jaurès, Stéla invite à une projection-débat du film "Desert Dancer" de l’anglais Richard Raymond.
Réseaux citoyens invite à participer à cette belle rencontre !
Plus d’infos sur Des Arts des Cinés, festival-programmation Danse&Cinéma organisé pour la 6ème année par l’association Stéla : http://desartsdescines.org/.
Stéla : http://www.stela-lepass.com.
stela.lepass@gmail.com - 04 27 81 83 08.

"Desert Dancer", film sorti début janvier est inspiré de la vie du danseur iranien Afshin Ghaffarian, qui a tout risqué pour accomplir son rêve de danseur...

On a plusieurs bonnes raisons d’aller voir ce film. D’abord pour le moment de grande beauté qu’il fait vivre. Et puis pour commencer à faire connaissance avec Afshin Ghaffarian, qui vit aujourd’hui en France où il a créé la compagnie "Réformances". Et puis c’est aussi une occasion pour mieux connaître et comprendre le contexte et la situation actuelle en Iran - c’est-à-dire sa complexité - cet Iran qu’Afshin Ghaffarian a fui en 2009 et où il retourne fréquemment danser aujourd’hui.

Le mieux est de l’écouter - il était l’invité de Kathleen Evin dans l’émission "l’humeur vagabonde" sur France Inter le 30 décembre :

Né en 1986 (7 ans après le début de la "Révolution islamique"), Afshin Ghaffarian fait des études pour être acteur de cinéma, et découvre la danse. La danse contemporaine. En tant que telle, elle est alors interdite, bannie, en Iran. Le Ballet National d’Iran a été fermé. Il la découvre donc surtout en visionnant des vidéos sur internet. Et il commence à créer. En 2006 il fonde une compagnie underground, en 2007 il présente Médée, spectacle travaillé pendant 9 mois pour une seule représentation dans le désert, devant un public qu’il a choisi. Loin des censeurs. Mais aussi, pour des raisons artistiques, enfin c’est ce qu’il explique aujourd’hui.
En 2009 - au moment de la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad et de puissantes manifestations populaires - Afshin Ghaffarian quitte l’Iran à l’occasion d’un voyage en Allemagne, et demande l’asile politique en France, où il vit aujourd’hui. Il a renoncé à son statut de réfugié en 2013, est retourné en Iran en 2014 "sans aucun problème", et travaille avec sa compagnie de danse Réformances (http://www.reformances.com) sur un projet commun Iran-France.

"Je me ressource quand je vais en Iran. Je me nourris de cette riche culture comme je me nourris en France de la culture française (...) il ne faut pas donner cette image d’un Iran enfermé sous un régime ... l’Iran est l’Orient et l’Occident tout à la fois, ce pont entre l’Orient et l’Occident"...
Complexité de la situation en Iran. Danse et internet interdits ? Afshin Ghaffarian parle de "deux mondes parallèles (...) Tout n’est pas interdit en Iran... en même temps rien n’est interdit... aujourd’hui la danse n’est pas vraiment interdite, elle est laissée pour compte, mais elle existe ... même dans le milieu officiel... ça s’appelle sport aérobic ou gymnastique rythmique ou théâtre corporel... c’est plus compliqué..."
Aujourd’hui, "je continue la même lutte que j’ai commencé en Iran, même ici en France (...) c’est pas facile d’exister, même ici en France (...) l’ironie c’est que finalement malgré tous les problèmes j’ai eu beaucoup plus d’occasions d’être sur scène en Iran que par exemple en France"... Son dernier spectacle en Iran ? "j’ai eu un mois de représentations, c’est juste impensable en France (...) il faut travailler, se battre, quel que soit le pays la lutte continue. c’est une lutte permanente pour être un artiste..."

Afshin Ghaffarian, qui cite le poète palestinien Mahmoud Darwich, René Char, et prépare une création sur des textes de Jean Genet, vient d’écrire un livre, préfacé par Alain Platel, avec le sociologue Baptiste Pizzinat qui fait partie de sa compagnie : "Café des réformances".

Alors, ce film ? De la beauté, d’abord. Et puis il fait sentir cette passion de la danse et de la liberté qui anime Afshin Ghaffarian.
Les chorégraphies ne sont pas de lui mais du danseur et chorégraphe anglais Akram Khan, qui a travaillé cependant à partir de vidéos d’Afshin Ghaffarian.
Après, le scénario est aussi un peu complaisant avec l’ambiance politique de chez nous, toute en nuances comme on sait quand il s’agit de l’Iran, encore que les choses vont sans doute se réchauffer puisqu’apparaît maintenant l’opportunité de faire du business...
Par exemple, Afshin Ghaffarian explique (contrairement à ce que dit le film) qu’il n’a pas été menacé de mort en 2007 lors de Médée dans le désert. (voir l’interview "Afshin Ghaffarian a dévoilé quelques anecdotes sur le film !" dans http://danse-et-vous.com).

Le contexte... l’Iran et nous...

Ce qui suit, ce sont seulement des bribes... Lecture conseillée : Georges Corm
"Pour une lecture profane des conflits - Sur le "retour du religieux" dans les conflits contemporains du Moyen-Orient"
- Ed La Découverte - 11 euros

L’accord sur le nucléaire iranien vient de faire reculer le risque d’une guerre avec l’Iran, qui a été très chaud à plusieurs reprises au cours des 10 dernières années. Il reste bien les gesticulations de Netanyahu - avec sa cinquantaine de bombes atomiques dont tout le monde connaît l’existence à Washington, Paris, Berlin, Londres et ailleurs, mais dont personne n’a jamais parlé, comment ça se fait ? ...- mais même Hollande et Fabius - pourtant arc-boutés contre cet accord, se consolent maintenant avec la perspective de faire du business, même s’il leur faudra gérer les agacements de leurs grands alliés coupeurs de têtes les féodaux d’Arabie Saoudite.
Le Moyen-Orient est une poudrière. Déchiré par des guerres sans fin, en premier lieu à cause de l’oppression des Palestiniens.

Concernant l’Iran, l’urgence est de faire la différence entre le régime et la société iranienne, le peuple iranien.
Dans les pays occidentaux, sur décision de Reagan et Bush, l’Iran a été classé dans "l’axe du mal". Pourquoi ? Petit retour en arrière...
1953 : le gouvernement démocratique et national du Dr Mossadegh décide de récupérer les richesses pétrolières, qu’il nationalise. L’Occident et sa CIA organisent son renversement et installent le chah. 26 ans de dictature et de police politique, la sinistre SAVAK.
Fin des années 70, le Chah est malade et le régime à bout de souffle, la révolution gronde. Pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement national et même de gauche avec le puissant parti communiste Tudeh, et le risque d’un rapprochement avec l’URSS, les USA et l’OTAN jouent la carte d’un régime religieux : ça marche super-bien en Arabie Saoudite, au Pakistan et en Israël, pourquoi pas en Iran ? Bon d’accord, il serait chiite, mais leur idée géniale de mettre le chaos dans toute la région en organisant la guerre entre sunnites et chiites n’est pas encore d’actualité... L’ayatollah Khomeiny est récupéré au fin fond de l’Irak, installé en France à Neauphle-le-Château, les médias à ses pieds, et son retour en Iran se fait dans un avion du gouvernement français...

"Un malentendu géopolitique majeur"  explique Georges Corm... (voir p 82-83 de "Pour une lecture profane des conflits")...
"A la fin de l’année 1979, le régime du chah vacille en Iran et les décideurs politiques occidentaux, craignant une prise de pouvoir des communistes, facilitent celle des religieux sous la direction de l’imam Khomeiny qui, de son exil de Neauphle-le-Château en France, jouit de l’appui de tous les grands médias internationaux. Il rentre en Iran triomphalement pour y déclencher une "révolution religieuse" qui éliminera par la violence tous ses alliés des mouvements laïques, avant de se retourner contre les Etats-Unis, désignés comme "Grand Satan". Il se pose alors en défenseur des "opprimés" partout dans le monde, Palestiniens en tête. Il se fait l’héritier de l’anti-impérialisme laïque qui régnait jusque-là, dont il islamise le vocabulaire et les concepts." (p53)
Donc, les choses ne tournent pas comme prévu, la révolution islamique, si elle ne touche pas aux intérêts des financiers, est entraînée dans une opposition aux USA. Et il y a cette histoire d’occupation par les étudiants de l’ambassade états-unienne de Téhéran suite à l’exfiltration du Chah aux USA pour empêcher son jugement pour ses crimes. En essayant de "récupérer leurs otages" par une opération militaire qui est un désastre, les USA s’enfoncent, et la rupture est totale.
Pourtant, à l’intérieur, Khomeiny ne perd pas de temps pour liquider la gauche iranienne, qui avait cru pouvoir travailler avec le régime. Des milliers de militants et de jeunes sont arrêtés et exécutés (5000 environ en 1982 !), le Tudeh est décimé et interdit. Tout cela est facilité par le déclenchement fin 1980 de la guerre avec l’Irak, guerre imposée à l’Iran, qui va durer 8 ans et y faire plus d’un million de morts.
Saddam Hussein a été soutenu par l’Occident pour attaquer l’Iran. L’Occident qui lui fournit les armes, et ne ne trouve rien à redire quand il utilise des armes chimiques.
Coté iranien, c’est l’hécatombe, mais pas la défaite. Et le régime s’en sert pour réprimer. Un ennemi extérieur est idéal pour réprimer toute contestation intérieure. En 1988, sitôt la guerre finie, Khomeiny ordonne l’exécution en quelques semaines de plus de 30 000 opposants prisonniers. Notamment des Moudjahiddines du Peuple, mais aussi du Tudeh et des autres mouvements de gauche. C’est le règne des potences, ça fait moins de bruit que les pelotons...
Des tentatives de rapprochement avec les USA ont lieu sous la direction du président iranien réformiste Mohammad Khatami (1997-2005). Mais l’Iran est classé parmi les pays de l’« axe du Mal », aux côtés de l’Irak, accusé de soutenir le terrorisme et de développer des armes de destruction massive.
C’est qu’au plan international, l’Iran soutient la résistance Palestinienne. Et le Hezbollah qui résiste au Liban, et parvient à libérer le Sud-Liban de 18 ans d’occupation israélienne en 2000...
Ce contexte facilite l’arrivée au pouvoir en 2005 d’Ahmadinejad, qui se maintient par la fraude en 2009 jusqu’en 2013. Ahmadinejad dont les gesticulations et l’antisémitisme sont une aubaine pour les USA et Israël...
Et puis c’est la guerre civile en Syrie, régime allié de l’Iran face à Israël, aux USA, à l’Arabie Saoudite et au Qatar, et à la Turquie première armée de l’OTAN dans la région. L’Iran, comme le Hezbollah libanais, apporte une aide directe (depuis le début) à l’armée syrienne face à Daech et Al Nosra, financés et armés par l’Arabie Saoudite et le Qatar, mais qui ont été aidés aussi par les USA et la Turquie, et par la France pour ce qui est d’Al Nosra (c’est-à-dire Al Quaïda en Syrie !).

Aujourd’hui, Daech oblige, le spectre de la guerre frontale contre l’Iran vient de s’éloigner un peu. Mais ça peut revenir très vite, les USA et leurs alliés de l’OTAN étant obnubilés par l’objectif d’empêcher la formation d’un rassemblement de pays et de forces capables de faire le poids face à leur politique d’hégémonie et de contrôle des richesses notamment pétrolières (Iran, Russie, Chine...)
Le capitalisme mondialisé frappe à la porte de l’Iran. De l’extérieur, mais aussi de l’intérieur, parce que l’Iran vit déjà à l’heure du néolibéralisme ! Privatisations, corruption, grandes fortunes amassées par de nouveaux riches... comme chez nous quoi...
Reste qu’il y a ce peuple de 80 millions de personnes, qui vit et qui crée... Et dans lequel naissent des Afshin Ghaffarian...

Roger Dubien

LE CRI PERÇANT / AFSHIN GHAFFARIAN (2010)

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