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Contribution sur le droit à la souveraineté alimentaire

vendredi 30 juillet 2004, par Michel Buisson

Le texte qui suit est un document de travail (1), que nous publions avec l’accord de son auteur.
Michel Buisson a participé à un atelier sur la souveraineté alimentaire à St-Etienne le 24 mars 2004 à la MJC de Beaulieu, atelier co-organisé par le Centre d’Etudes et d’Echanges Internationaux Paysans et d’Actions Locales (CEIPAL) et le Collectif des Associations de Développement en Rhône-Alpes (CADR), qui prépare un Forum Régional de la Solidarité Internationale en octobre 2004 à Lyon. ESPASEM participait à cet atelier.
Michel Buisson est agro-économiste, retraité. Il est notamment membre du mouvement "Les Alternatifs".
Intervenant sur ces questions dans différents groupes ou réseaux, Michel Buisson est preneur de toutes remarques et propositions.
contact Michel Buisson.

Les récents débats, diverses contributions, l’avis de plusieurs militants, comme les avancées et les enjeux du mouvement social actuel (après Cancun, le FSE, le FSM ...) incitent à approfondir la réflexion sur cette question actuellement très importante pour le mouvement altermondialiste et au delà.

Les points suivants sont abordés :
- Rapide état des lieux
- Retour sur la définition et sur les enjeux,
- Les enjeux du global au local,
- Les conditions internationales à l’obtention du DSA,
- Les conditions internes à l’obtention du DSA,
- Esquisses de propositions.

l - RAPIDE ETAT DES LIEUX

Cet état des lieux bien connu de tous est cependant nécessaire pour bien saisir les enjeux de la "souveraineté alimentaire" et les modalités d’y parvenir.

1. Persistance de la sous nutrition et de la malnutrition et, plus globalement, de la pauvreté,

Dans les pays du Sud mais aussi du Nord

Au Sud : 850 millions de personnes fortement sous-alimentées ;
1,5 millards de personnes mal nourries dont une majorité de paysans et de femmes
Creusement des écarts, notamment au détriment de l’Afrique
fortes inégalités internes (Inde, Brésil) ; exode (Chine ...)
maintien des crises (café..)
conséquences très graves sur les conditions de vie, sur les possibilités de
développement des individus et des pays.

2. Les paysanneries du monde face aux écarts de productivité et à l’échange
inégal,

paysanneries = moitié du monde
1,3 milliards de paysans dont 28 millions de mécanisés, 300 millions avec TA, 1 Milliard avec travail manuel dont 50 % sans recours à des intrants d’origine industrielle,
mais place très variable de l’agriculture dans l’économie (Niger = 40 % du PIB, 60 % des emplois) et de l’alimentation dans le budget des ménages (50 % en pays très pauvre à 10 % en pays très riche),
forts écarts de productivité, y compris au sein du Nord (entre Pologne et Danemark pour le lait...), et au sein de certains pays (Brésil, Inde, ...), doublés de fortes inégalités de pouvoir économique entre les pays, en termes de capacité commerciale et institutionnelle, de possibilité d’aides à l’agriculture, de pouvoir de pression, de place des multinationales,
mouvements de capitaux en provenance du Nord (Europe à 15 ...) vers les « nouveaux » pays (Brésil, Pologne, Roumanie ..,), pour achat de terre, d’usines.
pression de la dette,

3. Mondialisation libérale et alimentation ; conséquences de l’accord de
MARRAKECH,

Avant 94, les produits agricoles des pays tempérés (moins pour ceux des pays tropicaux) avait largement échappé à l’harmonisation libérale des règles d’échanges internationaux,

Accord de MARRAKECH et OMC avec faible prise en compte des écarts de situation (avantages historiques du Nord et des agro-exportateurs) et des spécificités de l’agriculture et de l’alimentation,
réduction des protections et incitation à échanger (/dettes)

Cet accord et ses suites s’inscrivent dans mondialisation globale à trois logiques (J. ADDA) (logique commerciale : développement des échanges avec réduction des protections ; logique productive avec investissement et firmes ; logique financière avec mouvements de capitaux et dérégulation,) qui interagissent avec les inégalités.

II faut noter que de nouveaux pays (Brésil, Inde, Chine ...) s’inscrivent dans cette logique imposée par l’OMC (du « trade off » qui oblige de faire des choix) et le FM I. L’UE est aussi obligée de modifier sa politique.

4. Perspectives à la suite de l’échec de l’OMC à CANCUN.

Echec de l’OMC, des USA et de l’UE
Offensives contrastées des pays du SUD (21/49)
Cassure du Sud ??
Poursuite du cycle de DOHA.

Un monde :
- de + en + inégalitaire, et scandaleusement inégalitaire, compte tenu de ses capacités,
- sous domination des USA qui, sur le plan économique, veut contrôler les marchés et favoriser ses propres intérêts et ceux de ses firmes,
- dans lequel la Souveraineté Alimentaire apparaît de plus en plus nécessaire, à la fois de plus en plus portée par de nouvelles forces et combattues par d’autres.

lI - A PROPOS DE LA DEFINITION

1 définition :

Pour Via Campesina en 1996 :
« L’alimentation est un droit humain fondamental. Ce droit ne peut être concrétisé que dans un système
qui garantit la souveraineté alimentaire. La souveraineté est le droit de chaque nation de maintenir et d’élaborer sa propre capacité de produire ses propres aliments de base dans le respect de la diversité productive et culturelle. »
(cité par CETIM2 p. 99)

Autre formulation possible : chaque pays ou groupe de pays (3) a le droit de satisfaire ses besoins alimentaires de la façon qui lui parait la plus appropriée, mais sans dumping vis-à-vis des autres pays, c’est à dire :
- pouvoir choisir la politique d’échanges extérieurs, le régime d’échange interne, les formes de production, les techniques.
- en vue d’assurer sa sécurité alimentaire et nutritionnelle entendues comme l’« accès physique et économique de l’ensemble de la population en tout temps et en tout lieu, à une alimentation saine et suffisante, pour satisfaire ses besoins multiples en fonction de ses activités, de son âge, ...de ses préférences » (extrait de la revue POUR, 2003 (4)). La dimension culturelle de l’alimentation est en effet une des composantes essentielles de la souveraineté alimentaire.
- Organiser sa politique sans agressivité vis-à-vis des autres pays, (pas de vente en dessous des coûts réels de production (5) ce qui dans un monde ouvert demande la construction d’un nouveau (par rapport à l’actuel mis en place par l’OMC) droit des échanges agricoles et alimentaires (voir...). Cette approche n’exclut pas les échanges si ceux-ci s’inscrivent dans un cadre de commerce équitable et de souveraineté des pays qui commercent ensemble.

Remarque : les 2 termes de « souveraineté » et « d’alimentaire » peuvent poser problème.
- Celui de souveraineté peut, notamment en France, être mal compris, en raison de l’ambiguïté des courants souverainistes (Chevènement, De Villers et surtout Le Pen) mais il dit bien ce qu’il veut dire.
C’est pourquoi il faut en respecter les conséquences. Ce qui n’est pas le cas de plusieurs définitions récentes qui introduisent dans la « définition » des indications du type « tout en se basant sur la petite et la
moyenne production, ... » (FSM 2) ; « décider démocratiquement » (CCFD). Ces surcharges de la définition sont bien sûr louables mais relèvent d’un autre débat ou combat.
- Mais il ne faut pas confondre souveraineté alimentaire et protectionnisme. Celui-ci repose sur un acte unilatéral d’un état alors que la souveraineté alimentaire repose sur une négociation multilatérale dans un cadre de justice et de droit internationaux.
- Celui de « alimentaire » peut paraître restrictif mais tout le monde comprend bien qu’il inclut aussi la production des biens agricoles (leur production, leur transformation, leur mise en marché en vue d’en faire des biens alimentaires). L’intérêt du terme « alimentaire » est de situer le débat au niveau de l’objectif final qui est bien celui de l’alimentation. Une question se pose pour les biens agricoles non alimentaires (fibres, énergie) qu’il faut logiquement introduire car ils mobilisent les mêmes moyens que les biens à finalité alimentaire. Par contre la forêt n’est pas comprise.

2. les approches complémentaires

Ainsi conçue, la souveraineté alimentaire est plus large et d’un autre niveau que les objectifs de sécurité et d’autosuffisance,... celles-ci pouvant dans certaines conditions être une des formes de souveraineté.

droit à l’alimentation
« Le droit à l’alimentation est le droit d’avoir un accès régulier permanent et libre soit directement soit au moyen d’achats monétaires à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur et qui assure une vie psychique et physique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne » (ONU, commission des droits de l’homme sur le droit à l’alimentation, 20 avril 2001, J. ZIEGLER rapporteur spécial)

sécurité alimentaire :
« la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains, ont à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (idem)

autosuffisance alimentaire :
capacité d’un pays de couvrir par lui-même l’essentiel des besoins alimentaires de sa population.

Ces différences et ces complémentarités ont 2 grandes conséquences
- Droit à l’alimentation et droit à la sécurité alimentaire sont des droits individuels que doivent assurer les états alors que le droit à la souveraineté alimentaire est un droit des états ou groupe d’états, que doit assurer la communauté internationale.
- Droit à l’alimentation et droit à la sécurité alimentaire peuvent être satisfaits dans le cadre d’un modèle très dépendant d’autres pays, alors que le droit à la souveraineté alimentaire repose sur une autonomie dans la stratégie de développement.

3. Souveraineté alimentaire ou droit à la souveraineté alimentaire

II ne s’agit pas seulement de revendiquer l’adoption d’un principe ni seulement un droit « subjectif » en tant
qu’inscrit dans les droits de l’homme, mais aussi et surtout un droit objectif entendu comme un ensemble de règles définies à l’échelle internationale et appliquées. Il s’agit en effet,
- de passer d’une revendication générale à la construction d’un droit nouveau à la place du droit de t’OMC
- de répondre à une exigence « technique » de cohérence entre tous les pays (règles et instances de vérification de leur application et de jugement).

Ainsi, au-delà d’une situation de fait à maintenir ou d’un objectif flou, la revendication de la souveraineté alimentaire doit s’exprimer en termes de droit à conquérir, donc d’un combat politique, dans un triple objectif :
- montrer l’opposition au droit libre-échangiste progressivement élaboré dans le cadre de l’OMC.
- inscrire cette revendication dans l’ensemble de « la ligne directrice du respect des droits, autour de laquelle le mouvement citoyen mondial construit une alternative » (6) (G MASSIAH, Recherches n°21 p. 29)...
- montrer que cet objectif dépasse les démarches en termes d’économie solidaire, ou de solidarité, même si les réalisations conduites dans ce cadre (commerce équitable, ...) ont constitué et constituent un levier intéressant.

En repartant des propositions de Monique Chemillier-Gendreau (Monde Diplomatique de décembre 2002) et des réflexions de Etienne BALIBAR à partir de cet article (p. 114 à 118 de l’Europe, l’Amérique et la guerre, réflexions sur la médiation européenne ; la Découverte, 2003), on peut, tout en admettant que le DSA ne relève pas formellement de « l’ordre public international », penser qu’il s’inscrit dans un renversement des fondements des rapports internationaux. Comme le dit MCG, nous sommes à la conquête d’un « changement de la norme juridique ». De même que l’on est passé de la norme du colonialisme à celle du droit des peuples, il faut renverser « l’ordre impérial » qui sur le plan économique se manifeste à travers l’OMC.
Cette conquête nécessite une « dialectique entre le droit et la politique » (EB, p 118).

lI - LES ENJEUX DU GLOBAL AU LOCAL

Ils concernent à la fois ce que l’on veut promouvoir en cherchant à conquérir le droit à la souveraineté alimentaire et ce que l’on combat.

1 - ce que l’on veut promouvoir

II me semble que l’on cherche à promouvoir 3 choses très importantes à travers ce combat pour le D S A :
- Pour le Sud : résoudre plus facilement la crise, notamment alimentaire, et favoriser un autre mode de développement,
- Pour le Nord : pouvoir décider une autre politique agricole et développer l’autonomie sous différentes
formes et à toutes les échelles,
- Pour le Monde : contribuer à de nouveaux rapports entre les pays.
Ces « à promouvoir » s’inscrivent, dans un ensemble plus large, en opposition radicale aux politiques actuelles des pays riches et des firmes (voir 2).

1.1 Pour le SUD  : résoudre plus facilement la crise, notamment alimentaire, et favoriser un autre mode de développement,
Si les politiques « officielles » ne sont pas sans succès dans certaines conditions et avec leur lot de problèmes (révolution verte en Inde), il y a urgence à inverser rapproche de la lutte contre la faim et à favoriser un autre développement (7).

Face à la persistance d’un grand nombre de pauvres mal nourris (840 millions de personnes victimes de famine ou de sous-alimentation, moitié de la population du Sud touchée par un problème lié à une alimentation insuffisante, dont une grande partie de paysans et de femmes), l’alimentation, (droit humain fondamental) constitue un enjeu stratégique pour tous les pays et une des bases de tout projet de développement soutenable pour la plupart des pays, (mais situations actuelles très variables : taux de dépendance alimentaire = 56 % en Egypte, 46 % au Mexique, proche de 0 dans beaucoup de pays du SE asiatique).

Le choix du mode de production et d’alimentation est essentiel pour éviter l’exode, associer les paysans et les femmes au développement, adapter les façons de produire et de consommer aux enjeux environnementaux et sociaux de chaque pays et région. Le DSA est ainsi le moyen d’éviter la perte de la biodiversité, la standardisation des façons de produire et de consommer...

Ce droit à l’alimentation ne peut pas être soumis aux règles de plus en plus libérales qui favorisent les agricultures les plus développées et les grandes firmes du commerce ou de l’agro-alimentaire qui ont bénéficié et bénéficient encore de nombreuses aides publiques, d’un environnement institutionnel très favorable et d’un niveau très élevé de productivité.

Ce droit à l’alimentation, droit interne à chaque pays, doit reposer sur le droit à la souveraineté alimentaire qui doit permettre, si les autres conditions sont réunies, de mieux résoudre les problèmes de la faim et ouvrir d’autres perspectives de développement, et de façon adaptée à chaque pays et groupe de
pays.

1.2 Pour le Nord  : pouvoir décider une autre politique agricole et développer l’autonomie sous différentes formes et a toutes les échelles.

La conquête de la souveraineté alimentaire est une condition indispensable pour la mise en place d’une politique qui, en interne, serait basée sur des prix rémunérateurs et sur la maîtrise/répartition des volumes de production et en externe, sur des échanges sans dumping.

La souveraineté alimentaire devrait aussi permettre au sein de l’UE, d’adapter davantage les politiques aux
conditions de chaque pays de façon à réduire les divers effets négatifs du « marché unique », notamment au
bénéfice de certains nouveaux adhérents.

Plus globalement, la conquête de la souveraineté alimentaire doit favoriser une autre liberté de penser et de
réaliser la production, les échanges, l’utilisation des biens agricoles et alimentaires à tous les stades du système alimentaire.

Au plan des relations internationales, une Europe actrice de la conquête du D S A, pourrait avoir un autre rôle dans les relations N/S.

1.3 Pour le Monde : contribuer à de nouveaux rapports entre les pays.

La recherche d’un droit à la souveraineté alimentaire, constitue une des voies importantes pour redonner de
l’autonomie aux pays du Sud, autonomie qui ne soit pas seulement formelle et basée sur des dérogations (au titre du « traitement spécial et différent », TS&D), mais sur la réalité de leur situation et de celle des pays qui actuellement « négocient » avec eux. Cette autonomie est aussi à construire dans deux autres batailles importantes concernant la dette et l’accès aux médicaments. De plus, accès aux médicaments et S A ont en commun la lutte contre des mêmes firmes identiques ou du même type.

Cette autonomie peut favoriser d’autres politiques de développement, à condition que les pays du Nord et les institutions financières internationales (BM, FMI) en prennent les moyens. Il s’agit en particulier d’établir en partenariat, de nouvelles modalités d’intervention des pays développés en faveur des pays pauvres : politique des échanges, annulation de la dette, accès aux médicaments, autres modalités d’appui technique,... sans oublier tous les éléments favorables à la réduction des guerres, sources de nombreuses
famines.

Dans le cadre de ces nouveaux rapports, en plus du changement des règles de l’OMC en matière agricole et
alimentaire, mais aussi en matière industrielle, il s’agit notamment de la réforme des politiques agricoles des pays développés, celles des pays interventionnistes : USA et UE et celles des pays libéraux agro-exportateurs : Australie, Canada,.... : arrêt des aides dans un contexte de conquête de débouchés extérieurs, des exportations à prix inférieurs aux coûts de productions, suppression des restrictions aux importations au nom de normes discutables, arrêt de certains usages de l’aide alimentaire.

Remarque : beaucoup de ces exigences sont celtes de l’OMC. Mais l’objectif est ici que les pays du Nord arrêtent leurs politiques défavorables aux pays du Sud et permettent à ceux-ci de mettre en œuvre leur souveraineté alimentaire, donc en particulier de limiter leurs importations. Surtout, cette possibilité de protectionnisme du Sud ne doit pas déclencher le protectionnisme du Nord vis-à-vis du Sud.

C’est notamment dans cet esprit que doit se mener le combat pour une autre PAC et pour un contenu satisfaisant aux suites de l’accord de Cotonou.

Plus globalement, il s’agit de trouver d’autres fondements et d’autres règles pour la prise de décisions dans les relations N/S, Est/Ouest, (9) "chaque partie devant se sentir partie prenante dans un projet commun de
transformation à l’échelle planétaire »
(M. Bouliane ..., Recherches N° 21 p. 50).

2. Ce que l’on combat.

Ce combat pour le D S A s’inscrit dans celui, plus global pour « un autre monde » en mettant tout particulièrement l’accent sur les méfaits de la libéralisation des échanges des produits agricoles et alimentaires, et le poids des firmes du Nord dans ces échanges, sur la pression à l’emploi de certaines
techniques (OGM ...) et modes de développement ou de consommation inadaptés.

IV - LES CONDITIONS INTERNATIONALES POUR L’OBTENTION DU DSA

La conquête du D S A constitue un objectif ambitieux qui suppose de faire reculer l’OMC et ses promoteurs pour mettre en place un autre système de régulation des échanges aux échelles régionale et mondiale (conditions externes). Il faut aussi que les Etats et leurs unions soient en mesure de conduire une telle politique (conditions internes). Les conditions s’inscrivent dans une vision radicalement différente
du développement et des relations économiques internationales, allant bien au-delà de rapproche en termes "d’économie solidaire(10)". Elles concernent 3 plans :
Un autre droit du commerce et d’autres instances de régulation (11)
D’autres politiques au Nord,
D’autres relations N/S, (ces 2 derniers points ont été esquissés en III).

II faudra beaucoup de temps et de luttes pour changer le droit compte tenu des forces, économiques idéologiques et politiques qui sous-tendent les propositions de l’OMC en matière agricole et alimentaire. On peut envisager une stratégie en plusieurs étapes :

- bloquer au maximum les prochaines décisions à l’OMC (dès les prochaines réunions du cycle de DOHA
et celles pour l’accord de Cotonou). Mais la récente réforme de la PAC nous montre combien ce combat est
difficile. Elle annonce de nouvelles difficultés en tant qu’elle favorise les positions de l’OMC et oriente les
négociations pour l’application de Cotonou.
- essayer d’obtenir des accords partiels plus favorables au DSA, notamment vis-à-vis de Cotonou, ..., ce
qui implique des changements de position pour l’UE, la construction de forces plus organisées au sein des pays ACP, en Amérique Latine,...
- construction progressive d’un système de stabilisation des prix des produits de base et des produits
tropicaux. L’exemple du café et particulièrement significatif : le développement de la production, en particulier au Vietnam, a conduit à une surproduction suivie d’une forte baisse des cours, au détriment des paysanneries d’Amérique centrale.

Le texte issu de la rencontre de Genève en février 2003 « vers la souveraineté alimentaire : construire une
alternative à l’AsA de l’OMC » contient des propositions intéressantes, quoique à compléter pour une victoire
intermédiaire. La position de « la plate-forme pour des agricultures durables et solidaires » pour la réforme de
l’OCM sucre fournit aussi des pistes intéressantes pour élaborer une force alternative à l’OMC.

Parallèlement, le mouvement doit aussi avancer des propositions pour une autre organisation économique
mondiale susceptible de remplacer l’actuelle OMC. Le slogan « sortir l’agriculture de l’OMC » est juste si c’est les bases du commerce prônées par l’OMC pour l’agriculture qui sont ainsi refusées. Mais commerce équitable et droit à la souveraineté alimentaire nécessitent une instance internationale émettant des règles et les faisant appliquer, bien sûr à partir d’autres bases politiques. Une autre organisation mondiale
du commerce est indispensable, en lien avec d’autres orientations de l’ONU, de la CNUCED, de la FAO.

V - LES CONDITIONS INTERNES POUR LA MISE EN ŒUVRE DU DSA,

C’est bien sûr aux différents pays et groupes de pays de définir ces conditions autour de trois axes au moins (12) :
Renforcement de la capacité des Etats, notamment en Afrique,
Développement des coopérations régionales,
Paiement des produits agricoles à des prix rémunérateurs et stables, ce qui compte tenu de la baisse des prix ces dernières années et de la déstructuration de beaucoup d’économies, présente de grandes
difficultés dans de nombreux pays. De plus, compte tenu du poids de l’alimentation dans les budgets de la plupart des ménages des pays du Sud, la montée vers des prix rémunérateurs pour les produits locaux et la réduction des importations à prix faibles doivent s’inscrire dans un ensemble de conditions économiques permettant une hausse des revenus des populations urbaines.

Mais chacun, au Nord comme au Sud, doit prendre en compte un certain nombre d’autres difficultés qui impliquent de très fortes solidarités et ...de la patience dans le cadre d’une politique de long terme :
- les pays du Sud sont dans des situations très différentes, ce qui rend les accords mondiaux et
régionaux difficiles,
- le développement des échanges, les politiques internationales, ont créé une forte dépendance vis à vis des importations ou des exportations,
- les paysanneries et plus globalement les organisations sociales, souvent déstructurées par les
évolutions récentes, ne sont pas toujours en état de construire immédiatement un modèle de développement satisfaisant et autonome.
- le poids de certaines multinationales de l’agro-alimentaire peut dans certains pays rendre difficile la mise en œuvre de la souveraineté alimentaire et nécessiter le contrôle des instances internationales mais aussi d’organisations militantes.

VI - PROGRESSER AUX PLANS INTELLECTUEL ET MILITANT

Cet axe de la souveraineté alimentaire est repris de plus en plus largement par les paysans du Sud (déclaration de DAKAR de mai 2003) ou par des organisations internationales, ONG ou syndicats, après la voie ouverte par « Via Campesina » : « plate-forme européenne pour une autre PAC », déclaration du congrès mondial des « Jeunes agriculteurs » (Paris, juin 2003), « plate-forme pour des agricultures
durables et solidaires en Europe et dans le monde ».

Progresser vers un D S A demande, semble-t-il, un renforcement de la
mobilisation sur les 2 terrains liés du travail intellectuel et du travail militant.

Au plan intellectuel, si la dénonciation des règles de l’OMC et de leurs effets est satisfaisante, le contenu et les conditions de la SA selon les conditions, les étapes à envisager restent largement à approfondir. Des matériaux existent qu’il faut structurer et compléter, en articulant les approches des conditions au Nord et au Sud. Cela passe en particulier par une confrontation entre les thèses anglo-saxonnes, plus
libérales, portées entre autres par OXFAM (qui prône principalement des correctifs), et celles plus présentes en Europe du « Sud », (France, CPE) et plus largement (Via Campesina, ...)(13). Plus globalement, il faut, malgré leur intérêt, dépasser les approches les plus fréquentes en termes de solidarité pour passer à des approches en termes de politiques et de modèle(s) de développement alternatifs.

Au plan militant, le mouvement altermondialiste doit davantage prendre en charge cet axe de lutte en le liant à d’autres très proches et mieux pris en compte : celui de la suppression de la dette et de l’accès aux médicaments.

Pour avancer, il faut élargir le front de la mobilisation et impliquer si possible :
- davantage le mouvement altermondialiste,
- davantage les organisations intermédiaires : ONG, syndicats, associations de consommateurs,
- des Etats, parmi lesquels l’UE pourraient, sur la base d’une autre politique, jouer un grand rôle.

Les avancées récentes sur ces deux plans intellectuel et militant, doivent permettre de progresser nettement dans les prochains mois. Cela nécessite que les forces en mouvement sur cette question enrichissent les contenus et mobilisent plus largement autour d’elles, en particulier les Etats et les organisations au Sud.

Annexe

DISCUSSION DU POINT DE VUE DES LIBERAUX

(14) (simple évocation à développer)

Les libéraux veulent, notamment à travers l’OMC appliquer à l’activité agricole et à l’alimentation le dogme de la division internationale du travail en fonction des avantages comparatifs. Mais c’est une vision très partiale et intéressée de la réalité :

- actuellement moins de 10 % de la production agricole mondiale font l’objet d’échanges sur les marchés internationaux, c’est donc marginal. 90 % de la production sont consommés par les populations des pays ou des groupes de pays de production.

- La réduction des protections douanières ne favorise pas beaucoup la croissance du commerce des denrées alimentaires. C’est surtout la solvabilité des pays importateurs et l’élévation du niveau de vie qui dopent le commerce des denrées alimentaires.

- les produits échangés, en grande partie en lien avec des politiques publiques de soutien à l’agriculture
par les pays développés (USA, UE) et avec « l’aide alimentaire », le sont à des prix qui ne couvrent que très rarement les coûts de production y compris des agricultures les plus compétitives. Ainsi ces échanges relèvent très souvent du dumping.

- les bases théoriques sur lesquelles s’appuient les tenants du libéralisme (bien-être, avantages
comparatifs), très discutables sur un plan théorique n’ont pas de
justifications concrètes (voir J. Berthelot pp.48 à 63) (15).

Cet acharnement à libéraliser le commerce et à démanteler les politiques publiques des états en faveur de
l’agriculture résulte de l’influence des géants de l’agro-alimentaire (Nestlé, Cargill...) et sans doute de la grande distribution, qui agissent en faveur de la globalisation de l’économie. Il veulent pouvoir, n’importe où dans le monde, bénéficier de la matière première au meilleur prix, de la main d’œuvre la
plus malléable pour des profits maximum (Doux volailler breton, délocalise au Brésil et renvoie sa production en Europe sans droits de douane car les poulets sont dans la saumure). Abaissement des prix et standardisation des modes d’alimentation, voilà les objectifs. Dans lemêmetempslesaides, y compris découplées, continuent de favoriser les agricultures développées au détriment de celles des pays pauvres.

Michel Buisson.

(0) Dans le texte, le Droit à la souveraineté alimentaire est noté DSA.

(1)Cette note repose surde nombreuses discussions, au sein de plusieurs réseaux (Les Alternatifs, la Confédération paysanne, le CCFD ...) à diverses occasions : les rassemblements de 2003 à Annemasse, au Larzac, au FSE et plusieurs interventions. Ces discussions ont permis d’enrichir la première version d’août 2003.

(2) CETIM, Via Campesina : une alternative paysanne à la mondialisation néolibérale ; Genève ; octobre 2002.

(3) Dans beaucoup de situations (Etats disposant de petits territoires ou de conditions trop homogènes pour une production variée), l’exercice du DSA ne peut être valablement réalisé que à l’échelle régionale impliquant plusieurs états.

(4) ...

(5) notion difficile mais à préciser (voir J. Berthelot)

(8) Remarquons que, en l’occurrence, pour l’auteur il s’agit du respect du droit à l’alimentation alors que le droit à la SA n’est pas évoqué. Par ailleurs, on doit regretter que cette question du DSA soit peu présente dans les revendications actuelles du mouvement altermondialiste, hors du front paysan et de quelques ONG.

(7) Ce terme ne doit pas être tabou au moins pour 3 raisons : le développement n’est pas la croissance, le développement peut emprunter d’autres voies que celles que l’on connaît, impossibilité pour beaucoup de pays, de satisfaire les besoins humains fondamentaux sans développement reposant sur une certaine croissance.

(8) Le dumping (vente à prix inférieur au coût) est très difficile à apprécier en particulier pour les biens agricoles en raison des difficultés de calculer un coût et du développement des prix administrés fixés à un niveau très bas avec compensation par des aides directes. Ainsi la référence aux prix intérieurs perd toute validité pour beaucoup de produits dans les pays interventionnistes. plus largement, la faiblesse de certains coûts et donc de certains prix peut provenir de la non prise en compte des coûts environnementaux (dumping à base environnementale) ou des très mauvaises conditions faites aux travailleurs (dumping à base sociale).

(9) Via Campesina et FIAN (Food First Information and Action Network) ont, dans cet esprit, demandé en avril 2002 à la Banque Mondiale d’arrêter le processus de définition de nouvelles politiques agricoles. Voir le document en fin de « Question agraire et mondialisation, points de vue du sud » Alternatives Sud ; volume IX (2002) 4 ; L’Harmattan ; Paris.

(10) Le travail autour du commerce équitable a permis, au delà d’une meilleure rémunération des producteurs, une double prise de conscience dans les pays du Nord : importance de couvrir les coûts de production et possibilité de choix du consommateur.

(11) On peut noter que plusieurs organisations (Greenpeace, ...) sont désormais sur cette position après avoir seulement revendiqué la suppression de l’OMC.

(12) La réforme agraire peut, dans certains pays, constituer un 4ème axe.

(13) Voir en particulier le récent MFE ISARA (juin 2003) de Cédric RABANY pour le compte de RONGEAD ...

(14) Largement inspiré de l’exposé de Pierre-André DEPLAUDE de la Confédération Paysanne lors du contre-G8 à Lyon.

(15) Berthelot J. (2001). L’agriculture talon d’Achille de la mondialisation, clefs pour un accord solidaire à l’OMC ; L’Harmattan ; Paris ; 503 p.