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Réflexion suite au rassemblement contre la répression policière

Mercredi 15 février 2017 -18h30 - Place du Peuple - Saint-Etienne

dimanche 26 février 2017, par Lubnen Slassi

Ce rassemblement d’environ 300 personnes[1], organisé sous l’égide de la Jeunesse Communiste et co-signé par des organisations politiques, syndicales et citoyennes[2], s’est improvisé vers 19h30 en une manifestation, sans débordement de part ou d’autre, malgré un fort dispositif de sécurité. Le cortège s’est dirigé vers le Palais de justice en suivant les rues de la Résistance puis de Michel Rondet, permettant ainsi de côtoyer ce quartier populaire qu’est Tarentaize, comme pour dire son soutien à cette population potentiellement cible de la répression policière. Comme d’habitude, nous retrouverons d’abord et avant tout les « mêmes camarades de marche », ceux que nous avons croisés contre la venue de Marion Maréchal Le Pen - et de son grand-père avant elle - contre la Loi travail, contre les exactions israéliennes... Il n’aurait pu être qu’un énième défilé stéphanois des mêmes protagonistes - que ce soit au micro ou dans le cortège - cet entre soi qui m’amène souvent à me demander pourquoi malgré nos aspirations humanistes de respect de la dignité humaine, au-delà de la couleur de peau, des origines sociale, culturelle ou même géographique, nous n’avons pas su dépasser cet entre soi et rallier ceux qui étaient le plus concernés par cette répression policière.
Mais il allait en être autrement et prendre pour moi une tournure inédite. Arrivée un peu trop tôt sur la place du Peuple, quelques-uns étaient déjà là à 18h15, avec leur pancarte en carton. Sur les six ou sept personnes sur place, il y en a une qui a attiré mon attention plus que les autres, peut-être parce qu’il était seul, peut-être aussi parce qu’il était de type maghrébin, peut-être à cause de sa pancarte où était écrit au stylo « j’ai subi des violences policières, j’ai 5 côtes cassées » ... Il finira par prendre la parole devant ces quelques centaines de présents, gêné, s’excusant de ne pas se souvenir de termes trop techniques, cherchant ainsi ses mots pour nous expliquer qu’ayant voulu prendre la défense d’un couple pris à parti par la police, un mois auparavant, il s’est retrouvé agressé par ces mêmes policiers avec 5 côtes cassées dont il a du mal à se remettre. Il a voulu porter plainte et a entamé les démarches mais sa méconnaissance de ses droits et des procédures l’ont empêché qu’elle soit prise en compte. Son « discours » n’était pas préparé, il était juste venu dire son sentiment d’injustice qui le prenait aux tripes et a osé parlé malgré que « c’est pas facile, [qu’il] avait un peu honte ». Ce sentiment de honte, je l’ai retrouvé aux alentours du Palais de justice dans le discours de deux jeunes curieux d’environ 16 ans, accompagné d’un autre beaucoup plus âgé, tous trois habitant Tarentaize et eux aussi d’origine maghrébine. Si tous les habitants du quartier nous ont regardé défiler sans jamais se joindre au cortège, nous gratifiant cependant de sourires reconnaissants, je sentais chez ces trois-là, une potentielle envie de rallier les rangs et je les y ai invités. Leur réponse « non, c’est la honte » a fait écho en moi, me confortant dans une certaine mesure, dans l’idée que ce qui est un droit inscrit dans la Constitution ne semble pas aller de soi, pour eux. D’ailleurs, l’action même de manifester n’a pas de sens et serait corrélée à l’action de s’affronter aux forces de l’ordre, avec ce que cela comporte de risques en matière judiciaire, puisque « c’est ce qui s’est passé à Paris ». Ils n’avaient jamais manifesté et tout ce qu’ils en savaient venait de l’information des médias traditionnels. Leur rappelant, avec leurs mots, le pourquoi de cette manifestation, ils ont timidement pris part au cortège, cachés sous leur capuche.

Ces rencontres, comme deux autres jeunes d’origine africaine dont le « c’est ça que j’aime » m’avait fait sourire et que j’avais vu remonter le défilé jusque devant le premier rang, participant même à régler la circulation, ont fait naître en moi l’espoir que nous pouvions sortir de cet entre soi dans lequel nous sommes enfermés et qui n’aide en rien à une réelle cohésion des différentes parties. Cela suppose que nous admettions que malgré nos bonnes intentions, il existe entre les parties des différences linguistiques - tout le monde ne parle pas le même langage -, culturelles - ce qui est un droit pour certains n’est pas perçu comme tel par d’autres - et ethnopsychologiques - ce que ma communauté a connu est nécessairement constitutif de ce que je suis. De ces différences naissent, pour un même problème, des processus de résolution (ou de non-résolution d’ailleurs) différents et apparaît donc la nécessité d’adapter les réponses potentielles. Alors, à défaut de vouloir un seul type de modalité, il pourrait y avoir, en s’appuyant sur des personnes référentes, une convergence spiralaire des actions (information, instruction, manifestation...) en vue d’un même objectif, à savoir le respect, par les institutions, de la dignité humaine, au-delà de sa couleur de peau, de son origine sociale, culturelle ou géographique.

Lubnen SLASSI

(1) http://www.leprogres.fr/loire/2017/02/15/saint-etienne-manifestation-de-soutien-a-theo

(2) Comité des Travailleurs Privés d’Emploi et Précaires CGT, Parti Communiste Français 42, Comité Antifa Saint-Etienne, la liste "Les Mauvais Jours Finiront", NPA 42, Réseaux Citoyens, Les Amis de l’Humanité Loire et BDS42.