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"L’islam, la République et le monde"

Conférence-débat avec Alain Gresh

Jeudi 17 février à l’Université de St-Etienne

mercredi 9 février 2005

Cette conférence débat, organisée par le Réseau Actions Jeunes et l’association étudiante Mozaik, avec le soutien de plusieurs autres associations et mouvements (Forum des réseaux citoyens, Repères du monde arabo-musulman, APEIS, Cercle des étudiants Sénégalais de St-Etienne, Amicale laïque du Crêt de Roch...) aura lieu à 20h, à l’amphi JO1 du site Tréfilerie (à l’angle des rues Tréfilerie et Richard).

Le livre d’Alain Gresh : "L’islam, la République et le monde", a été publié à l’automne 2004. Voir. C’est un travail solide, qui permet de prendre du recul sur les évènements de ces dernières années, et de réfléchir aux voies que peut emprunter l’avenir. C’est un livre utile pour celles et ceux qui veulent agir contre la guerre des civilisations.


On peut lire l’introduction du livre publiée sur le site du Monde diplomatique, à : www.monde-diplomatique.fr.

On peut aussi écouter une émission de Daniel Mermet ("Là-bas si j’y suis") de septembre 2004, avec Alain Gresh, et Khadija Marfouk, en téléchargeant en fin de cette page le lien permettant d’écouter cette émission". Il suffit ensuite pour écouter de cliquer sur le lien, en étant connecté et à condition d’avoir Real player (gratuit).

Voici ci-dessous quelques extraits de la conclusion très dense de ce livre, en souhaitant donner envie de l’acheter et de le lire...

 

inventer une mémoire et un avenir communs

 


"« Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ? » Cette
question, Le Figaro la posait, en juin-juillet 2004, à une
trentaine de personnalités et d’intellectuels de diverses
sensibilités. Au-delà de leurs différences, les réponses
reflétaient souvent un sentiment d’angoisse...
(...) Cette série éclaire d’un jour différent le débat qui a secoué la
République autour de l’islam. Et si l’hystérie politique
autour du foulard avait simplement caché une profonde
insécurité des Français face à leur avenir ?

Hystérie politique ? L’anthropologue Emmanuel
Terray propose de reprendre ce concept, créé par
l’historien hongrois Istvan Bibo (...)
Comment le définir ? Confrontée à un grave problème
quelle ne parvient pas à résoudre, une communauté, se
sentant à la fois menacée et impuissante, « peut être
tentée par une situation de fuite ; de la situation réelle qui
la met à l’épreuve, elle va fabriquer une image déformée
et fantasmatique ; au problème réel dont elle ne vient pas
à bout, elle va substituer un problème fictif, imaginaire,
construit de telle sorte qu’il puisse être traité par les seules
ressources du discours et par le seul maniement des
symboles (...)

Avec le foulard, et plus largement avec la présence des
musulmans, la France a trouvé ce « problème fictif » qui
lui permet de s’unir. (...)
(Emmanuel Terray) pointe aussi les
deux véritables problèmes que la communauté nationale
tente d’éviter par cette attitude : la panne de l’intégration - le fait qu’une partie des immigrés, qu’ils soient
français ou étrangers, sont considérés comme des
citoyens de seconde zone - et la stagnation que connaît
la mise en œuvre de l’égalité entre les sexes.

On pourrait en suggérer un autre : l’absence de projet
commun (...). En quelques décennies, le pays a été bouleversé par la
mondialisation, par le recul de l’État-providence, par la
construction européenne. La montée de l’insécurité
sociale et la coexistence de populations d’origines
multiples se sont conjuguées à l’affaiblissement des
idéologies et au triomphe de l’individualisme. La consommation
est prônée comme idéal, et aucun ennemi ne
pointe son nez à l’horizon pour « égorger nos femmes et
nos compagnes ». La France, qui s’était forgée depuis deux
siècles, à la fois autour des idéaux de la Révolution et
contre un ennemi extérieur - les puissances royalistes
coalisées, puis, pour l’essentiel, l’Allemagne et l’Union
soviétique -, se retrouve au cœur d’un continent relativement pacifié.
Dans ce contexte, qu’est-ce qui unit tous les citoyens,
au-delà des clivages politiques ? Qu’est-ce qui
peut cimenter le « vivre ensemble » ? Quel projet pour la
société et pour la France ?

À l’heure où le libéralisme, cette idéologie vide,
devient l’« horizon indépassable » de la société, le foulard
s’est transformé en drapeau de « nos » ennemis, contre
lesquels il faut lever l’étendard de Valmy. (...) Cette vision
rejoint plutôt celle de la IIIe République coloniale que
celle de la Ière République, qui a aboli l’esclavage et a
proclamé les mêmes droits pour les citoyens, qu’ils
vivent dans les colonies ou en métropole.

(...) À ce projet destructeur et de guerre civile peut
s’opposer un projet fondé sur la citoyenneté, et d’abord
sur la redéfinition d’un « socle commun » de l’histoire.
(...) Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale,
l’histoire de France est, à côté de l’usage exclusif du
français, l’un des premiers facteurs de l’"intégration" par
l’école. Intégration qui est plus francisation que
conscience de citoyenneté. Enfants de paysans,
d’immigrés du travail (Italiens, Polonais), de réfugiés juifs
d’Europe centrale et orientale, poignée d’enfants des
colonies sont conviés à découvrir une ancienne et prestigieuse
patrie, à se vivre, même juifs ou noirs de peau, comme
descendants adoptifs des Gaulois, justiciables du
bon roi Saint Louis, sujets éblouis à la cour de Louis XIV,
petits frères de l’héroïque enfant Barat, compagnons
d’endurance des soldats de Napoléon... et à enfouir
dans le silence du non-dit leurs héritages culturels ancestraux. »
Mais, après le génocide et l’Algérie, « le récit scolaire est obsolète.
[...] Il ne fait plus sens pour une majorité d’écoliers » (6).

Ce récit obsolète, on peut lui substituer une histoire
fondée sur le développement de la citoyenneté depuis
1789. Elle fera toute sa place au rôle de l’immigration
dans la construction nationale, à l’apport oublié à la
« France éternelle » des Italiens, des Espagnols, des juifs
d’Europe centrale, des Portugais, des Maghrébins, des
Africains, de millions et de millions d’êtres humains, à
leur contribution à la prospérité économique, à leur
place dans la Libération. La colonisation ne peut plus
être marginalisée.
(...) Pour ces centaines de
milliers de Français « issus de l’immigration » - il
faudrait dire « issus de la colonisation » -, cette histoire,
transmise par leurs parents, fait partie de leur mémoire (8).
Il faut donc s’atteler à la création d’une « mémoire
commune », qui engloberait l’histoire de la Révolution
et celle de la IIIe République, celle de l’immigration et du
mouvement ouvrier, la Seconde Guerre mondiale, le
génocide des juifs et la colonisation.

Mais cela ne saurait suffire à créer cette volonté de
« vivre ensemble » (...) une nation doit aussi
se fixer une ambition : la défense d’un modèle social qui
mette l’amélioration de la condition de la « France d’en
bas », celle des « Français de souche » comme celle des
immigrés, au sommet de ses priorités, qui retrouve le
vrai sens du mot « réforme », qui redonne sa pleine signification
au combat pour l’égalité, qui se mobilise sur la
scène internationale pour sauver la planète, pour une
relation renouvelée avec ce que l’on appelait naguère le
tiers-monde et pour un monde multipolaire régi par le
droit international.
(...) est-ce faire
preuve d’une ambition démesurée ? Si l’on songe aux
sans-culottes partant à l’assaut d’une monarchie
séculaire, aux socialistes luttant contre la semaine de
soixante heures, aux résistants affrontant le « Reich
millénaire », aux « porteurs de valises » anticipant
l’effondrement du système colonial, la réponse est non."

Le livre d’Alain Gresh : "L’Islam, la République et le monde", est publié chez Fayard - 468 pages - Prix TTC : 20 (131,19 FF).