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Non à l’état d’exception !
il faut répondre à la révolte de la jeunesse.
Près de 150 personnes se sont rassemblées devant la Préfecture à St-Etienne mercredi 9 novembre.
mardi 15 novembre 2005, par
Réagir, tout de suite. Une première protestation a eu lieu à St-Etienne mercredi 9 novembre, au lendemain de l’instauration de l’état d’urgence. Près de 150 personnes se sont rassemblées devant la Préfecture, sous la pluie, à l’initiative d’une douzaine d’associations et mouvements (voir) et une délégation de 15 personnes a rencontré pendant deux heures Mme Silberman, sous-préfète, pour demander la levée de l’état d’urgence, exposer les raisons de la révolte des jeunes et exiger des mesures d’urgences s’attaquant à la crise sociale.
Prendre la mesure de la crise sociale et démocratique : c’est ce qui est en train de se faire jour après jour. Des centaines de communes et de quartiers concernés, dans lesquels vivent plus de 10% de la population française... : les jeunes qui se sont révoltés ne sont pas des trafiquants et des maffieux, mais des jeunes - dont beaucoup sont des mineurs - qui subissent depuis des années - et leurs familles depuis des décennies - le chômage, la misère, l’exclusion de l’école, le manque de respect et maintenant le harcèlement policier quasi quotidien. Tout le monde savait que ça exploserait un jour ou l’autre. On y est.
Ce qui se passe est un rappel à la réalité.
Après les injures incendiaires de Sarkozy, la mort de Ziad, 17 ans et de Banou 15 ans, électrocutés à Clichy a été le déclencheur. Cette révolte des jeunes s’est exprimée comme ça : par des incendies de voitures et d’équipements publics, des affrontements avec la police. On peut le déplorer, mais c’est un fait. Depuis le temps qu’ils parlent à des sourds...
Le chômage et les discriminations : on va s’y attaquer ou pas ? Et ce harcèlement policier continu : les contrôles d’identité quasi quotidiens, les brimades, les interpellations et gardes à vue pour un oui ou pour un non, les comparutions immédiates pour outrages et rébellion, les peines de prison ferme ou avec sursis, les amendes et dommages et intérêts que les parents n’en peuvent plus de payer, la fabrication de casiers judiciaires... A St-Etienne, on commence à bien comprendre comment marche cette machine, on l’a vu fonctionner de près avec l’affaire Ichem. Et quand on parvient à établir qu’un jeune a subi une grave injustice, c’est la croix et la bannière pour obtenir justice...
On comprend mieux aussi la place que prend la dérive sécuritaire. Il est symptomatique de voir comment Sarkozy a été nommé au lendemain même de la victoire du Non au référendum, victoire qui exprimait par ailleurs un certain rejet du néolibéralisme. Ce n’est pas un malentendu. C’est une orientation en cours depuis des années, et que la droite n’est pas seule à porter. La dérive sécuritaire est au coeur du capitalisme néolibéral. Pour marchandiser le monde, les autorités et institutions publiques qui permettent une certaine sécurité et cohésion sociales sont démantelées. Les solidarités et tout ce qui fait tenir la société debout sont détruites. ça ne peut déboucher que sur des explosions. Alors on renforce tout ce qui est chargé du maintien de l’ordre de plus en plus injuste. On criminalise la pauvreté. On réduit les libertés, on installe un régime de plus en plus policier. Cette dérive sécuritaire peut même devenir une demande chez des victimes du néolibéralisme, qui veulent de l’ordre au moment où leur vie part en morceaux. D’où la "popularité" (relative) d’un Sarkozy...
Avec la décision d’instaurer l’état d’urgence et le couvre-feu dans les quartiers populaires, et maintenant de le prolonger de 3 mois, le gouvernement franchit une étape gravissime dans l’escalade. Et les jeunes ne sont pas les seuls visés. C’est l’ensemble des libertés publiques qui est en danger.
A St-Etienne, cette dérive sécuritaire est en cours depuis plusieurs années et a largement pollué les esprits.
Dans la ville, il y a maintenant plus de policiers municipaux et de personnels chargés de mettre des contraventions que de cantonniers. De très nombreuses rues de la ville sont sales, mais 44 caméras vidéos - qui ont coûté plus de 1,5 millions d’euros... - filment 24h/24. Comparons cette somme avec les moyens donnés aux associations qui s’occupent des enfants dans les quartiers, travaillent contre l’échec scolaire, la pauvreté. Ecoeurant.
Il faut faire face à cette dérive.
Apporter des réponses à la crise sociale : des emplois, un revenu garanti, l’égalité des droits, du respect pour les jeunes des quartiers et leurs familles. Le chemin, c’est en même temps celui de l’approfondissement de la démocratie : le moment est venu de mettre en place, d’inventer des instances et des institutions démocratiques nouvelles, qui permettent la ré-appropriation par les citoyens de la vie de la société.
En fin de rencontre à la Préfecture, une discussion a eu lieu sur le nombre et la situation des jeunes arrêtés. Les chiffres donnés par Mme Silberman, sous-préfète, qui a parlé de 35 à 40 arrestations selon les chiffres transmis à la Préfecture par les services de Police, ne correspondent pas aux informations que nous avons. Nous avons dit à Mme Silberman - en citant par exemple les cas très précis de deux jeunes de Beaubrun, Nasr-Eddine et Stéphane - que des jeunes avaient été arrêtés au hasard, placés en garde à vue 24 heures, humiliés, qu’on les avait déshabillés, leurs vêtements envoyés au labo pour analyse et non restitués, laissés en caleçon toute la nuit sans couverture, pratiqué des prélèvements de salive pour leur a-t-on dit faire des tests ADN (fichage ?), après des séances de photos.
On a depuis recensé plusieurs cas de jeunes maltraités par les forces de Police au cours des derniers jours. Nous n’accepterons les procédures judiciaires expéditives qui se mettent en place.
L’urgence est à la solidarité, aux mobilisations citoyennes, à la défense de la jeunesse qui veut que sa vie change.
Roger Dubien.
Délégation reçue en Préfecture
En plus des représentants des associations, la délégation comprenait des habitants des quartiers les plus concernés (*). Elle a été reçue pendant plus de deux heures par Mme Silberman, sous-préfète et directrice de cabinet du préfet de la Loire.
La discussion a été très concrète. Sans doute Mme Silberman, qui a écouté attentivement et pris beaucoup de notes, a-t-elle pu mesurer le poids d’authenticité des témoignages qui apportent un éclairage à la force de la révolte actuelle dans les quartiers populaires.
Sabrina a dénoncé l’indifférence des pouvoirs publics et la situation des jeunes laissés à l’abandon, demandé de ne pas oublier les filles, dénoncé les discriminations à l’embauche. Un CV à consonance étrangère va à la poubelle... Il ne faut pas s’étonner après ça que les jeunes aient un tel sentiment d’injustice et s’expriment par la violence.
Elle a dénoncé le manque de respect de Sarkozy et dit le sentiment d’injustice ressenti par beaucoup devant les violences policières, le comportement de cow-boys de certains policiers, les tutoiements... Avant de nettoyer les cités, il faudrait d’abord nettoyer les commissariats !
Elle a demandé que cesse l’impunité des policiers, fait appel à la conscience du Préfet de la Loire qui ne peut pas rester indifférent à cette situation.
Mohamed Benchahboune, père d’Ichem dont beaucoup connaissent l’histoire à St-Etienne, et qui a animé pendant longtemps l’association post et péri scolaire de Chabrier à Montreynaud, a expliqué la situation dans ce quartier dans lequel il habite depuis 1976, et dit qu’il y a deux ans il avait écrit au député Artigues pour le mettre en garde sur la dérive policière et les conséquences du comportement de la police vis à vis des jeunes. On y est.
Il dit que quand la police arrive, les jeunes partent.
Il a rappelé l’histoire d’Ichem, qui a été frappé par un policier... et c’est à la famille qu’il est demandé 1000 euros de dommages et intérêts, famille qui en est déjà à presque 2000 euros de frais d’avocat...
Rachid Oulmi, président de l’Amicale laïque de Beaubrun, a dit que depuis longtemps les animateurs des associations font remonter les informations sur la situation, mais en vain. On n’associe pas les gens, associatifs et habitants. Parler maintenant de confiance ? Mais un sacré fossé s’est creusé entre les gens et les institutions. La crise révèle comment les "autorités" n’entendent pas.
Mme Silberman a demandé par qui les responsables d’associations faisaient remonter les demandes ?
- Par les élus, par la MOUS... Mais rien ne vient. Alors souvent les "acteurs de terrain" se bagarrent entre eux pour le peu de subventions qui restent... Il demande que soient créées des lieux où puisse être fait un travail commun.
- Mme Silberman : quelles structures créer ?
Elle note une proposition sur les conseils de quartiers, asphyxiés et qui ne jouent pas leur rôle.
Rachid Oulmi parle aussi de l’aide aux devoirs. Il n’y a plus d’argent pour les associations pour l’aide aux devoirs. Or les enseignants donnent des devoirs. Et les familles viennent demander une aide.
La révolte des jeunes est un appel au secours. Les écoles brûlées, c’est le symbole de leur non insertion dans la société. Ils disent : "ils nous mettent des city stades, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? C’est des emplois et des stages qu’on veut". L’ascenseur social n’existe plus dans leur vision. Parce qu’ils sont "d’origine". Parler d’"intégration" pour des jeunes français, c’est dramatique !
Et si quand on fait remonter les besoins ça n’aboutit à rien, ça provoque encore plus de désespoir.
Rachid Oulmi parle du besoin de lieux pour les anciens dans les quartiers (comme ce qui a été fait à Montreynaud). Les jeunes veulent une reconnaissance et un respect de leurs parents. Ils voudraient être considérés comme français à part entière.
A Beaubrun Tarentaize, les gens craignent que la rénovation urbaine en cours se traduisent par l’obligation pour eux de partir, en particulier pour les anciens dont toute la vie et les liens sont dans le quartier, et à qui on a déjà essayé de supprimer les bancs de la place St-Ennemond, pour qu’ils soient moins visibles dans le quartier... A des personnes de 70-75 ans on dit : vous devez quitter les lieux sous 6 mois, vous avez droit à 1500 euros..." ! Et c’est la SEDL - publique - qui fait ça !
Attention : la symbolique de l’état d’urgence est la guerre d’Algérie ! Les jeunes demandent un respect. Ils disent qu’ils se sont calmés, longtemps. Mais que "si c’est pour aller en prison, pour rien, on ira au moins pour quelque chose".
Bernard Poizat attire l’attention sur le fait que des jeunes qui ne vivent plus dans les quartiers et qui ont maintenant une situation dans la société comprennent les raisons de la révolte d’autres jeunes et s’en sentent solidaires.
Plusieurs confirment : il y a les jeunes révoltés qui brûlent les voitures. Mais c’est une grande partie de la jeunesse qui se sent solidaire.
Marie-Hélène Januel, parle des travailleurs sociaux. Depuis un an et demi, ils on dit "attention". Cours d’alphabétisation supprimés, soutien scolaire supprimé, les camps vacances supprimés alors qu’ils étaient pour des gamins le seul moyen de partir en vacances. Depuis 2 ans on sent sur les quartiers la misère qui grimpe, des familles qui plongent. Il est demandé aux travailleurs sociaux de faire rentrer des personnes dans des dispositifs qui ne fonctionnent pas.
Par exemple, tous les cours d’alphabétisation ont été supprimés. Maintenant c’est un marché, et ça se passe à St-Jean Bonnefonds, avec l’ADFLP. Comment y aller ? Le nombre de personnes qui ne rentrent plus dans aucun dispositif augmente. Pas d’argent pour les dispositifs sociaux.
C’est la destruction d’un travail que font des associations au quotidien, pour tout transférer au marché : il y a possibilité d’embauche d’étudiants pour des familles...avec réduction d’impôt.... pour celles qui en paient, donc pas d’aide aux devoirs pour les pauvres.
Elle est triste car elle entend un discours fasciste, les jeunes sont traités de racaille alors qu’ils expriment le désespoir de leur famille.
Marc Souveton parle de l’éducation. Il se souvient d’une réunion en Préfecture en 1993 avec le Ministre de la ville Gaudin, où des propos semblables avaient été tenus....Quoi de fait ?
Comme enseignant, il voit les conséquences sur les enfants de la précarité de l’emploi, du logement, des assedic de leurs parents... Il parle des coupures d’électricité. ça a des conséquences immédiates sur les enfants dans les familles. Des jeunes n’ont plus de vision de l’avenir.
Les associations seules ne pourront pas régler les problèmes. Il y a l’école. Or alors qu’en 2005 il y a autant d’élèves qu’en 1999 dans la loire, il y a environ 95 postes d’instituteurs en moins. Et 300 postes d’assistants d’éducation en moins.
Et maintenant, il est demandé d’accentuer le tri social dès le jeune âge, d’envoyer des jeunes en apprentissage dès 14 ans. De les exclure du système éducatif. Tout le monde sait que ce sont les enfants des familles en difficultés qui vont êtres exclus.
Olivier Laferrière dit que n’a pas été mesuré le recul de civilisation que représente le recul de l’âge de l’école obligatoire à 14 ans. Et que profiter d’une crise sociale pour faire passer ça est ignoble.
Les associations ne peuvent pas suffire pour résoudre la situation. Mais l’école non plus. C’est le résultat des politiques libérales. On a besoin d’une autre politique économique et sociale.
Sarkozy réintroduit la double peine : expulsion de gens étrangers s’ils sont condamnés.
Yann Del Rio, dit qu’on a créé des logiques judiciaires et des logiques sociales. Et qu’il faut maintenant que l’Etat prenne ses responsabilités et actionne le levier inverse : l’emploi. Il demande un Grenelle de l’emploi. Le problème n° 1 est l’emploi et les salaires. Il faut créer des emplois, et pas précaires.
Petit fils de déporté, il demande la démission de Sarkozy.
(...)
Jean Chabannes travaille pour l’alphabétisation. Il a mis en garde contre l’erreur qui consisterait à confondre la maladie et les symptômes. La maladie est globale, elle touche l’ensemble de la population, pas que les jeunes.
Depuis plus d’un an par exemple, toutes les associations et organismes qui s’occupent de formation ont demandé à rencontrer le Préfet. Elles attendent toujours.
Alain Girod, ingénieur EDF, militant CGT, représentant du personnel, estime qu’on tue la richesse du mélange qui fait la société française, en refusant l’insertion sociale à une catégorie des citoyens.
Les messages éducatifs du gouvernement sont déplorables. Les subventions aux associations tarissent. Il faut que quelques milliers de voitures brûlent pour qu’elles reviennent.
(Confirmé par Marie-Hélène qui indique qu’un centre social d’un quartier a été contacté en début de semaine par les autorités et a entendu les propos suivants : vous aviez déposé un projet l’an passé, il a été refusé, il n’y avait pas d’argent. Mais finalement, il n’est pas mal ce projet, il faudrait qu’on se voit...)
Utiliser une loi datant de la répression en Algérie pour régler une crise sociale, c’est déplorable.
Et au fond, la réponse du gouvernement à la crise sociale consiste à vouloir inculquer le néolibéralisme. Il travaille dans le service public, et constate que le gouvernement veut imposer le libéralisme et la société de marché à l’ensemble de la société française. Voir ce qui se passe pour l’alphabétisation transformée en marché. Cette crise sociale prouve que la société française n’est pas faite pour le néolibéralisme...
La rencontre s’est terminée sur une demande d’information sur la situation des jeunes arrêtés (voir plus haut).
(*) Sophie Darneix (Témoins), Mohamed Benchahboune (Montreynaud), , Jean Chabannes (Alpha), Rachid Oulmi (Amicale laîque de Beaubrun), Bernard Juban (comité de soutien aux 15 de Nonette), Alain Girod (syndicaliste cgt edf, Olivier Laferrière (Sud-Education), Bernard Poizat (Lcr), Yann Del Rio (Attac), Gino Cuda (Novac42), Marie-Hélène Januel (Collectif des animateurs socio-culturels et éducateurs), Marc Souveton (Fsu), Roger Dubien (conseiller municipal, Réseaux citoyens).
Photographies : Marie-Pierre Vincent.