Mon site SPIP

Accueil > Justice sociale / Droits sociaux > Non au CPE ! > Ni précaires ni soumis !

Plus de 20 000 à St-Etienne

Ni précaires ni soumis !

Déferlante populaire avec la jeunesse pour le retrait du CPE

mercredi 29 mars 2006, par Roger Dubien

Parcours inhabituel pour une manifestation à St-Etienne, avec ce rassemblement Plaine Achille. Est-ce la pression sur "la sécurité" qui a amené à cette décision ? Mais peu importe... St-Etienne a connu ce mardi 28 mars une manifestation d’une ampleur telle qu’elle n’en connaît pas une par décennie.

D’autres informations et photos sur la lutte contre le CPE : voir la rubrique Non au CPE !

Jeudi, plus de 5 000 jeunes avaient à nouveau manifesté. Ce mardi, sans doute entre 20 et 25 000 personnes. A nouveau des milliers de jeunes. En cortège de jeunes : plusieurs milliers d’étudiants et de lycéens en tête de la manifestation... mais aussi partout dans les cortèges des organisations syndicales, dans les cortèges d’entreprises, partout des jeunes, avec leurs parents : avec les salariés.
Beaucoup, beaucoup de salariés. Du public, mais pas que. Beaucoup de délégations de travailleurs des petites entreprises du privé... (1). Quelque chose est en train de se cristalliser, qui va bien au-delà de la détermination à régler son compte au CPE.


Tellement de monde - malgré la pluie - que la manifestation convoquée à 10h a démarré vers 10h ! Vers 10h05 la tête de la manif passait sous le pont SNCF bd Thiers/bd Jules Janin. Vers 11h les derniers manifestants passaient encore sous ce pont. En rangs serrés sur les 4 voies du bd Jules Janin, avec du monde sur les trottoirs et les contre-allées. A 11h, les premiers manifestants étaient arrivés place de l’Hôtel de ville, dont les derniers n’ont pu s’approcher que vers midi. A 12h30, toujours la foule et les chants...
Une déferlante populaire. Comparable en nombre aux grandes manifestations de 1995 contre le plan Juppé. Mais cette fois autour de la jeunesse. Avec la formidable énergie de la jeunesse.

 "A ceux
qui veulent
précariser les jeunes
les jeunes répondent :
résistance !"
 

Pas sûr que l’on prenne bien la mesure de ce qui est en train de se passer et de ce que porte dans ses profondeurs ce mouvement contre le CPE. Un divorce profond, un affrontement de la jeunesse avec ce système ? Des millions de jeunes ont bien compris, eux, ce qui se passe. Le slogan favori dans la manifestation de ce 28 mars était d’ailleurs "A ceux / qui veulent /précariser les jeunes / les jeunes répondent : / résistance !". Avis aux amateurs.
De même cette banderole, dans la manifestation de jeudi dernier : "Ni précaires ni soumis". Tout est dit là (2). L’objectif du CPE - et de la longue suite de contrats et stages spéciaux pour les jeunes inventés par les gouvernements successifs depuis plus de 20 ans - est mis à nu. Et c’est vrai qu’en mettant tout cela en perspective, on voit bien comment le CPE est la suite des précédents dispositifs, et comment aussi il est une étape nouvelle pour le type de société que les forces capitalistes continuent à installer. Et plus on y regarde, plus on voit la gravité de l’attaque. Le CPE, c’est précariser et mettre en esclavage les jeunes de 16 à 28 ans. Parce que ça commencerait à 16 ans. Mais ça ne finirait qu’à 28 ans. Car le texte de cette loi est sans ambiguité : un CPE pourrait être imposé à un jeune jusqu’à la veille de ses 26 ans. Et ça durerait 2 ans, donc jusqu’au jour de ses 28 ans ! Attention, ça n’a rien de marginal : 1,5 millions de salariés sont dans la tranche d’âge 26-28 ans ! Vivre 12 ans pieds et poings liés ?

Quoi que décident Villepin/Sarkozy/Chirac dans les prochaines heures, on n’en restera pas là, c’est sûr, et le CPE a du plomb dans l’aile, parce que la jeunesse et la société le rejettent. Casus belli. Un mouvement de cette ampleur, qui n’est pas un mouvement de défense de "privilèges" d’une partie de la population, mais un mouvement qui porte les intérêts d’avenir du pays, ne peut pas être écrasé. La propagande sur "la France qui refuse les réformes", ça ne passera pas... La jeunesse n’a pas envie de se laisser mettre à genoux, et quand la jeunesse s’engage comme ça, elle entraîne une grande partie de la société. Elle est au coeur d’un combat capital pour toute la société. Beaucoup de monde a envie de l’aider à gagner !

Alors que vont-ils faire, du côté du pouvoir ? Sans doute continuer les manoeuvres, chacun jouant sa partition. Gagner du temps en nous enfumant avec le feuilleton des divergences Villepin / Sarkozy / Chirac. Leur objectif n°1 est de ne pas retirer le CPE. "Ni retrait, ni suspension, ni dénaturation" a dit Villepin. Maintenant il parle de "dialogue" et "d’aménagements"... à condition de ne pas toucher à la loi. "Introduire une justification au licenciement reviendrait à dénaturer le CPE" : quel aveu !
Ils vont donc essayer de sauver leur loi, avec l’idée qu’elle deviendra largement applicable une fois la mobilisation retombée. Ils misent sur le pourrissement du mouvement, en poussant à la violence et en diffusant en boucle les images de "casseurs". En menant une répression policière massive aussi. Ils espèrent que le mouvement va s’essouffler, avec la pression des examens, des concours ... Calcul risqué, car on n’est qu’en mars. Encore deux mois d’ici fin mai...
Ce jeudi le conseil constitutionnel va se prononcer. Un conseil qui n’a rien de démocratique, et n’est pas composé de "sages" : c’’est un organe du pouvoir dont les 9 membres sont nommés à vie par les chefs de la classe politique. Mais ça peut aussi servir à lâcher du lest sans trop paraître reculer devant le peuple. On verra...

Quoi qu’il en soit, ce combat si important pour le visage de notre société de demain ne peut pas s’arrêter là, et va au-delà du retrait du CPE.

D’ailleurs, pendant qu’on y est, pourquoi ne pas en profiter pour se réunir, partout, discuter de ce qui se passe, mettre sur la table ce qui ne va pas, voir comment on peut aider la jeunesse, et essayer de mettre ensemble un certain nombre de pendules à l’heure ?

Ce mouvement pose des questions fondamentales dans deux domaines au moins :

1 -Faire respecter les droits humains fondamentaux...

Comment peut-on faire pour que dans notre société chacun-e puisse avoir une vie digne ? Puisse faire un travail utile à la société et dont il puisse retirer en retour les moyens - un revenu - lui permettant de vivre ?
Avec le capitalisme, on peut produire de plus en plus de choses, mais il y a de la place pour une vie digne pour de moins en moins d’humains. Et c’est faux de dire qu’une relance de "la croissance" capitaliste va permettre de "régler" le problème du chômage. Sans parler de la crise écologique majeure qui s’avance (il va donc bien falloir redéfinir les critères qui mesurent le développement), on sait maintenant que le développement de la "consommation" et la "relance de la croissance" ne permettront plus de créer un nombre suffisant d’emplois. Avec ce système, on est donc parti vers un nombre croissant d’"exclus". On peut produire bien plus de richesses demain avec beaucoup moins de monde encore. Il devient donc de plus en plus urgent de réorganiser tout ça.
Oui, créer des emplois utiles. Et assurer un revenu à chacun, une sécurité de vie, une dignité de vie à chacun. On peut créer des millions d’emplois si l’on veut rendre la société plus humaine. Dans l’éducation, dans la santé, dans l’agriculture, dans de nombreux services publics, etc... ça suppose une autre répartition, une autre distribution des richesses ? Oui. Entre le capital et le travail. Et entre les riches et les pauvres... ça suppose une augmentation et une sérieuse réforme des impôts ? Oui.
Nous avons besoin de réorganiser tout ce qu’on peut dans notre société sur la base des exigences d’une vie digne pour tous, sur la base de droits pour tous.

... pour tous !

Car la précarité et l’esclavage, ce n’est bon pour aucune partie de la jeunesse.
Des millions de jeunes aujourd’hui lycéens et étudiants refusent un avenir de précarité et d’esclavage. Ils ont bien raison. Mais des millions de jeunes, en particulier ceux qu’on appelle les "jeunes des cités", "des quartiers", vivent cette vie aujourd’hui. Ils sont le coeur de la jeunesse des catégories les plus populaires. Ils ont quotidiennement sur le dos la police de Sarkozy. En novembre-décembre, ils se sont révoltés, comme ils ont pu. Ils ont été durement réprimés. Sans trouver beaucoup de soutiens. Des centaines sont en prison.
Peu de ces jeunes sont dans les manifs aujourd’hui. Sarkozy/Villepin/Chirac - des connaisseurs en matière de casse de la société et de l’avenir - et les médias de propagande, voudraient nous faire croire que ce sont des barbares, des "casseurs". Qu’est-ce qu’on fait avec tous ces jeunes ? Est-ce qu’on va leur tendre la main ?

2 - Comment réveiller et renouveler la démocratie ?

Dans la manifestation de jeudi, on pouvait lire sur une pancarte : "Démocratie : gouvernement du peuple pour le peuple. Villepin tente un passage en force du CPE. Où est la démocratie ?".
On est là aussi au coeur du problème. Comment se fait-il que depuis des décennies la volonté populaire puisse être à ce point méprisée, que des politiques si majoritairement rejetées soient mises en oeuvre, que des millions de personnes s’expriment pour des changements et sont régulièrement confrontés à des décisions qui les contredisent ?
La démocratie représentative telle que nous la connaissons est devenue profondément délégataire et permet à une "classe politique", à des partis politiques qui sont des organisations spécialisées dans la conquête et l’exercice du pouvoir, de confisquer le pouvoir, justement. D’agir en servant les intérêts des classes riches et/ou les yeux rivés sur le baromètre électoral, au lieu de mener le combat fondamental pour améliorer la société. Bien sûr il y a des nuances, et de temps en temps on se mobilise pour éviter le pire... Mais ça débouche quand même de façon récurrente sur des échecs et de l’amertume. Résultat d’ailleurs : une abstention régulière massive, un zapping électoral, de l’amertume... Et toujours des décisions qui nous tombent dessus, et les problèmes qui ne s’arrangent pas...
Il est donc urgent de démocratiser profondément notre démocratie et nos institutions. De créer les conditions d’une participation continue de millions de citoyen-ne-s aux décisions, dans le quartier, l’entreprise, la ville... le territoire dans lequel on vit.
Le gouvernement du peuple pour le peuple n’est possible que si c’est par le peuple. La question qui est posée, c’est celle de la capacité de la société civile à faire prévaloir ce qu’elle veut. Cela demande de développer des mouvements populaires-citoyens. Et aussi d’inventer des instances et institutions démocratiques nouvelles qui permettent aux habitants, aux travailleurs, aux citoyens, de participer à la construction des décisions, à la prise des décisions, au contrôle de l’exécution de ces décisions.
Au fond, de passer à une nouvelle qualité de démocratie, participative, c’est à dire à la fois directe et représentative, mais surtout non délégataire.
Comment ne pas se dire ces jours-ci que si le peuple avait la possibilité de s’occuper un peu tous les jours de la marche des choses au lieu d’assister au spectacle mis en scène par les médias et de subir les décisions de la classe politique en lui délégant....
Quelles formes nouvelles saurons-nous inventer pour avancer dans ce sens, qui durent au-delà des moments de puissante mobilisation que nous sommes en train de vivre ?

Roger Dubien.




(1) Dans la manif, des cortèges avec toutes les organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CGC, FSU, Solidaires, Snuipp, Sundep, UNSA...), de plusieurs UL-CGT, des cortèges de l’IUT, de plusieurs lycées, des enseignants et personnels IATOS de l’Université, de la Comédie de St-Etienne en grève, du collectif des travailleurs socio-culturels, des fonctionnaires territoriaux, des cheminots, des postiers, des personnels de la boucherie Despinasse, du géant Casino de la Ricamarie, des délégations de nombreuses petites entreprises, etc...

(2) Lu sur des banderoles et pancartes jeudi et mardi : "Non à la précarité - Retrait du CPE", "CPE maintenu : la lutte continue !". "Ni précaires ni soumis", "Mort au CPE, rendez-nous notre avenir", "Retrait du CPE-CNE, No pasaran !", "CPE : Contrat Précarité Esclavage", "CPE : Carrément Pour t’Enculer", "Non au Contrat Précarité Embrouille", "CPE : Cherche Pigeons à Exploiter", "CPE : Complot Patrons Etat", "Villepin démission ! Dégage avec ton CPE", "Villepin, ta politique est un appel à la révolte", "CDI pour tous !", "CPE : Contrat Peu Equitable",
"Chômage Précarité Exploitation", "Villepin, t’occupes plus de rien, les jeunes s’occupent de tout !"...




_