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Pier Paolo Pasolini : Marilyn


dimanche 8 mars 2015

Sortie du film d’Abel Ferrara en décembre, pièce de Pasolini à La Comédie fin avril, rétrospective Pasolini au Méliès en avril-mai, autres rendez-vous en préparation...
Quelque chose dans l’air dit que nous avons et allons avoir besoin de Pier Paolo Pasolini...

Ci-dessus la fin de "La rabbia" (La rage), film de 1963. Avec l’hommage à Marilyn...

Marilyn, Pier Paolo Pasolini

Du monde antique et du monde futur
il n’était resté que la beauté, et toi,
pauvre petite sœur cadette,
celle qui court derrière ses frères aînés,
qui rit et qui pleure avec eux, pour les imiter,
qui porte leurs écharpes,
qui touche, sans être vue, leurs livres, leurs canifs,

toi, petite sœur cadette,
tu portais cette beauté sur toi humblement,
et ton âme de fille de petites gens,
tu n’as jamais su que tu l’avais,
car sans cela ce n’aurait pas été de la beauté.
Elle a disparu, comme des poussières d’or.

Le monde te l’a apprise.
Ta beauté est ainsi devenue sienne.

Du stupide monde antique
et du féroce monde futur
il était resté une beauté qui n’avait pas honte
de faire allusion aux petits seins de la sœurette,
à son petit ventre si facilement nu.
Et voilà pourquoi c’était de la beauté, celle-là même
qu’ont les douces mendiantes de couleur,
les bohémiennes, les filles de commerçants
lauréates aux concours de Miami ou de Rome.
Elle a disparu, comme une colombe d’or.

Le monde te l’a apprise,
et ainsi ta beauté ne fut plus de la beauté.

Mais tu continuais à être une enfant,
sotte comme l’Antiquité, cruelle comme le futur,
et entre toi et ta beauté possédée par le pouvoir
se mit toute la stupidité et la cruauté du présent.
Tu la portais toujours en toi, comme un sourire au milieu des larmes,
impudique par passivité, indécente par obéissance.
L’obéissance requiert beaucoup de larmes avalées.
Se donner aux autres,
trop joyeux regards, qui demandent leur pitié.
Elle a disparu, comme une blanche colombe d’or.
Ta beauté réchappée au monde antique,
demandée par le monde futur, possédée
par le monde présent, devint ainsi un mal.

Maintenant, les grands frères se retournent enfin,
cessent un moment leurs maudits jeux,
sortent de leur inexorable distraction,
et se demandent : « Est-il possible que Marilyn,
la petite Marilyn, nous ait indiqué le chemin ? »

Maintenant c’est toi, la première, toi la sœur cadette,
celle qui ne compte pour rien, pauvre petite, avec son sourire,
c’est toi la première, au-delà des portes du monde
abandonné à son destin de mort.