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Un livre d’actualité de Georges CORM :

Pour une lecture profane des conflits

Sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient

jeudi 5 mai 2016

Ce livre de 2012 a été republié en avril 2015. Il est de toute actualité !
Plusieurs textes et vidéos de Georges Corm sur ce site sont maintenant regroupés dans une rubrique Moyen-Orient et monde arabe / Georges Corm
.

C’est à une réflexion de fond qu’invite Georges Corm dans ce livre, pour comprendre les logiques de guerre qui déchirent le Proche et le Moyen-Orient depuis la fin de la guerre froide. Des conflits le plus souvent justifiés par la thèse débilitante du « choc des civilisations » et de la lutte contre le terrorisme « transnational » islamiste.
Popularisée dans le monde entier, cette thèse a imposé une vision binaire du monde qui n’en finit plus d’enfler, au point de fabriquer toujours plus de violence.

Prolongeant les analyses historiques remarquablement documentées de ses livres précédents, Gorges Corm donne ici les clés décisives pour comprendre les mécanismes ayant permis depuis les années 1990 de paralyser les oppositions aux guerres injustes et d’étouffer la pensée objective du réel et de ses complexités : la puissance des représentations médiatiques (et académiques) portées par l’imaginaire du « retour du religieux », la manipulation de la mémoire et de l’histoire, l’instrumentalisation de prétendues valeurs politico-religieuses pour susciter des conflits, la relation perverse entre les intérêts géopolitiques de certains États et leur prétention à défendre dans l’ordre international des idéaux religieux, l’application sélective du droit international aux situations conflictuelles.

D’où l’accent mis dans ce livre, à la fois très personnel et rigoureux, sur la nécessité d’une lecture profane des conflits face aux « fanatismes civilisationnels » et sur la problématique de la laïcité et de la liberté, dans sa version républicaine « à la française ».

"Pour une lecture profane des conflits" est publié à La Découverte.
Prix : 11 euros.

Ecouter Georges Corm sur RFI en mai 2015 après la publication de son livre suivant "Pensée et politique dans le monde arabe"

Pour lire en ligne les 50 premières pages du livre, et son plan (cliquer sur "feuilleter") :

Georges CORM - Pour une lecture profane des conflits aux éditions La Decouverte

Une interview de Georges Corm sur son livre...

Que signifie « analyser un conflit sur le mode profane » ?

« Analyser un conflit sur le mode profane » signifie en rechercher les racines réelles, économiques, sociales, démographiques, géographiques et géo-politiques (course à la puissance, recherche de mainmise sur des richesses naturelles ou des routes stratégiques), sans valoriser les modes d’expression des conflits, qui sont changeants suivant les époques historiques. Autrefois laïcs, ils sont aujourd’hui saisis par l’instrumentalisation des identités ethniques et religieuses. Il s’agit d’une vieille tradition alimentée par une anthropologie académique qui fait croire qu’à l’intérieur des communautés prises dans des conflits, tous les comportements et visions du monde sont strictement homogènes, ce qui est très loin des réalités objectives qui montrent une très grande diversité à l’intérieur même des communautés.

On parle de plus en plus de l’émergence d’un « axe sunnite » au Moyen-
Orient : comment analyser cette tendance sur le mode « profane » ?

Il n’y a pas d’axe sunnite, sinon dans les propagandes des puissances internationales et régionales, les médias et des travaux académiques qui sont soumis
à l’influence de ces puissances. La réalité des choses est une alliance entre
l’Arabie saoudite, le Pakistan et les États-Unis, qui existe depuis longtemps
et notamment depuis l’invasion soviétique de l’Afghanistan. Cette alliance
autrefois anti-communiste veut contrer aujourd’hui la politique régionale
de l’Iran, allié au régime syrien, qui fait obstacle à la domination exclusive
du Moyen-Orient, carrefour stratégique dans la géopolitique mondiale et
réservoir énergétique majeur, par les intérêts conjoints de l’Occident politique
et des monarchies arabes (pétrolières et non pétrolières). Certes, l’idéologie
religieuse du régime iranien s’appuie sur une façon nouvelle d’interpréter le
patrimoine théologico-politique de l’islam dans sa version chiite. Toutefois,
le but de l’Iran est de faire reconnaître son statut et ses intérêts de puissance
régionale, tout comme au temps du Chah, et non point de répandre le
chiisme dans le monde musulman ou d’antagoniser le sunnisme, d’ailleurs
largement majoritaire.

Les printemps arabes s’étaient déroulés sur fond de revendications
profanes. Comment expliquer l’arrivée au pouvoir de partis religieux ?

Les millions de manifestants de toutes les classes sociales et de tous les groupes
d’âge qui ont fait les révoltes arabes ont constitué à l’origine un formidable
mouvement de revendication de liberté politique et de dignité socio-écono-
mique, d’ordre essentiellement laïc et démocratique. Il était normal qu’ils se
heurtent aux éléments conservateurs et autoritaires de leurs sociétés, que
sont la plupart des mouvances politiques à référent religieux. Ces dernières
ne pouvaient que sortir victorieuses d’élections libres, car elles étaient mas-
sivement soutenues aussi bien par les puissances occidentales, invoquant le
succès du modèle turc (sans vraiment bien en connaître les ressorts), que
par les pétromonarchies arabes, notamment l’Arabie saoudite et le Qatar.
En effet, les mouvances islamiques ont créé depuis des décennies grâce aux
financements des pétrodollars un réseau d’ONG caritatives islamiques dans les
zones rurales les plus pauvres et les quartiers urbains déshérités. Elles ont joui
aussi de l’auréole constituée par les années d’exclusion, de marginalisation,
voire de persécution d’emprisonnement ou de bannissement de certains de
leurs chefs et de nombreux militants.

*Georges Corm est professeur à l’Institut des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth. Spécialiste du Moyen-Orient, il a également été ministre des Finances du Liban de 1998 à 2000.