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Saint-Etienne

Ihsene a été exclue du collège Marc Seguin. Asma et Imene attendent leur exclusion du lycée Mimard.

Pas de quoi être fiers pour l’école publique

lundi 29 novembre 2004, par Roger Dubien

A la veille du 1er conseil de discipline convoqué pour exclure une bonne élève de l’école publique, le collectif "une école pour tou-te-s" de St-Etienne a protesté mercredi 24 novembre contre les quatre exclusions de filles voilées en cours à St-Etienne. La conférence de presse du collectif est passée dans la presse locale (le Progrès, La Gazette), et un reportage a été diffusé jeudi par FR3 Rhône-Alpes. Parmi d’autres, Aïda, jeune fille voilée qui vient de terminer avec succès son DEA (5ans de fac) de Droit public, a témoigné... Elle, au moins, c’est trop tard pour l’exclure.

Le conseil de discipline du Collège Marc Seguin, de Montreynaud, a donc exclu Ihsene. Excellente élève, pourtant, Ihsene. Une fille qui a beaucoup d’amies, et aussi deux surnoms dans le collège : "Mère Thérésa", et "Peace and love". Mais elle est virée Ihsene. A contre-coeur, parait-il, du côté de l’autorité. Mais les ordres sont les ordres. Violence...

Asma et Imene, toutes les deux en seconde technologique au lycée Mimard attendent maintenant leur tour. Après "x" reports, un conseil de discipline est annoncé pour le 10 décembre. Asma et Imene étaient présentes ce vendredi 26 novembre, à une soirée-discussion autour du film "Un racisme à peine voilé", à laquelle une vingtaine de personnes ont participé.

Asma et Imene ont expliqué comment ça s’était passé pour elles depuis 3 mois. Elles ont été mises à l’isolement. Dès le 1er jour de classe en septembre. Toute la journée dans une salle. Accompagnées pour aller aux toilettes. Pas de récréation. Puis après protestations, le droit de sortir en récréation. Mais après les autres élèves, pas en même temps. Interdiction de rencontrer et de parler à d’autres élèves. D’autres élèves qui n’ont toujours pas compris pourquoi ils n’avaient pas le droit de parler à ces deux filles, ces deux pestiférées. En essayant d’y réfléchir, on ne trouve qu’une explication à ce traitement de paria : empêcher une possible solidarité.

Et la "phase de dialogue", au fait ? "Ce n’était pas pour nous comprendre. Le but était de nous faire craquer". Elles auraient accepté un bandana. Mais c’était non.
Elles racontent comment des arguments de poids ont été utilisés pour les convaincre. Comme celui-ci : "enlève ton voile. Sinon tu seras exclue. Et au CNED, il n’y a que 5% de réussite. Dans deux ans tu seras mariée. Un paquet d’enfants, voilà la vie qui t’attend...".
Il leur a aussi été demandé pourquoi elles avaient choisi Mimard, un lycée qui a une bonne réputation et qui veut la garder...

Au passage, un question a été posée vendredi : où sont les enseignants ? Et leurs syndicats ? Pourquoi ce silence massif ? Il y a certes eu des gestes de solidarité, comme ce professeur qui a organisé une discussion dans sa classe, laissé parler les lycéens, puis donné son avis et dit que c’était une loi injuste, un manque de tolérance. Mais à côté de ça... Alma et Imene disent qu’à Mimard, au fil des semaines, les enseignants ne sont même plus venus leur apporter des devoirs à faire. A part un seul, le prof de physique, venu jusqu’au bout leur apporter des devoirs.

Que faire maintenant ? Contactées, les écoles confessionnelles ont refusé de les inscrire. Et on a dit aux parents : inutile de faire le tour et de les contacter toutes. La réponse sera la même, consigne a été donnée de refuser.
Ne reste donc plus que le CNED, l’enseignement par correspondance. Des étudiants et des enseignants, certains présents vendredi, vont s’efforcer de les aider à ne pas perdre pied dans leurs études. Parce qu’effectivement, le CNED, toute seule dans son coin...
Les études, il est à craindre que ce soit terminé pour la dizaine de filles de St-Etienne qui selon ce qu’on peut savoir n’ont pas voulu affronter ce processus d’exclusion et ont renoncé à retourner au lycée en septembre 2004. Voir le témoignage de Fatima, qui était l’an passé en 1ère S au lycée d’Alembert...

Cette loi est bien une loi raciste et discriminatoire. Elle vise à stigmatiser et à faire courber l’échine à une communauté, aux citoyens arabo-musulmans de ce pays. Elle est perçue comme telle par des millions de personnes, et par beaucoup de femmes, dont très peu portent le foulard islamique, mais qui voient bien de quoi il s’agit.
Surtout que l’hystérie est communicative. Comment expliquer sinon l’empressement dans certaines écoles maternelles et primaires à modifier les règlements intérieurs pour y faire explicitement référence à la loi du 15 mars 2004, et même à rajouter par exemple des choses du genre "pas de couvre-chef"...? Attention au ridicule... Et aux coups de froid, cet hiver, si les bonnets sont eux aussi proscrits.

Cette loi que le Comité des droits de l’enfant de l’ONU regarde avec désapprobation, qui laisse les autres pays d’Europe perplexes, tout ce que le web comporte de sites racistes et d’extrême droite la porte aux nues (et là on se dit qu’effectivement, il y a des moments où mieux vaut être minoritaires que mal accompagnés !). Cette loi grâce à laquelle quelques centaines de milliers de racistes ont pu se sentir dans le sens de l’histoire, et avoir leur heure de célébrité. Chacun a des anecdotes à ce sujet...
Bien sûr, si les choses ont pris cette tournure, ce ne peut pas être sans raisons profondes. On repense à ce texte de Bourdieu et à sa mise en évidence de "la question latente", derrière la "question patente".

Cette loi grâce à laquelle on aura parlé pendant des mois d’autres choses que des problèmes sociaux urgents (qui restent donc à régler), il faudra bien l’abroger un jour, quand le délire qui pousse à traiter des jeunes filles en ennemis à abattre sera retombé.
Et qu’il faudra bien regarder en face cette chose de tangible qui restera : des centaines de filles qui portent le voile parce qu’elles l’ont décidé et quelques filles qui portent le voile parce que leur entourage les y contraint, auront été virées de l’école publique et du droit aux études. Une belle réussite pour le service public !

Pour conclure, une proposition : maintenant que les gamines ennemies de l’école laïque seront bientôt toutes exclues, un problème va pouvoir mobiliser notre attention. Le 16 février 2004, le CERC a publié un rapport - un terrible acte d’accusation - qui s’est hélas perdu dans les placards : il y a en France 1 million d’enfants pauvres. Et même 2 millions si l’on prend les critères européens. Cette pauvreté a des conséquences graves sur leurs études et leur avenir. Rien de fatal heureusement : des solutions sont connues et certaines préconisées par ce rapport (Voir). Depuis un an, avec ce danger du foulard islamique, on n’a pas eu le temps de s’en occuper. Mais maintenant, on va le régler, hein, ce problème ? Avant le 16 février 2005, bien sûr !

Roger Dubien
conseiller municipal de St-Etienne.