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De la “démocratie” menée par la terreur : a propos de Fallouja et plus généralement de l’Irak aujourd’hui.

jeudi 2 décembre 2004, par Nahla Chahal

Ce texte de Nahla Chahal, coordinatrice de la Campagne Civile Internationale pour la Protection du
Peuple Palestinien - CCIPPP, a été publié sur le site de la CCIPPP : http://www.protection-palestine.com. Nous le reprenons...
Fallouja vient d’être massacrée dans le silence du monde. Le silence et le mensonge. A part quelques exceptions...
Aujourd’hui, 2 décembre, les USA viennent d’annoncer qu’ils renforcent leur dispositif militaire en Irak, et que leurs troupes passeront de 138 000 soldats à 150 000 d’ici au 1/1/2005...
La réalité en Irak, c’est ça. Et le massacre.

Alors que le sommet de Sharm-el Sheikh autour de l’Irak ( le 23 et 24
novembre) se terminait par ce qui est considéré comme une victoire
politique des américains : reconnaissance internationale du fait
accompli, alignement sur l’idée que les prochaines élections établiront
un pouvoir “légitime” et qu’il existe actuellement un processus
“transitoire” vers l’indépendance, alors que le Club de Paris annulait
pratiquement la dette irakienne, cadeau fait au moment du sommet au
gouvernement Allawi... Fallouja dévoilait le drame dont elle a été le
théâtre. Un pur cauchemar.
Fallouja est une ville d’à peine 300 000 habitants, située à 65 km à
l’ouest de Bagdad, à l’entrée du désert. C’est une ville qui n’avait
d’autres ressources qu’un peu d’élevage et la fonction publique,
notamment l’armée, où les jeunes étaient soldats, les plus éduqués
pouvaient aller à l’école militaire et devenir officiers. La ville est
entourée de petits hameaux qui lui sont rattachés par les conditions de
vie mais aussi par la parenté. Tous appartiennent à 2 ou 3 grandes
tribus qui, dans le temps, pratiquaient l’élevage nomade mais aussi la
contrebande avec la Jordanie et la Syrie, les deux pays situés de
l’autre côté de ce petit désert de “Badiat a-Sham”, qui n’est pas
impossible à sillonner. C’est dire que les liens avec les tribus de
Syrie et de Jordanie sont très forts, et que les unes sont les
extensions des autres, qu’elles appartiennent souvent aux mêmes racines
tribales. Si la solidarité tribale est très forte dans cet endroit,
celle de mémoire de la misère qui y a sévit longuement avant
l’Etat-providence, celle de la manne pétrolière de Saddam Hussein, l’est
encore plus. Ce dernier a justement beaucoup profité de ce dénuement de
ressources, de cette “ nomadité étouffée”, et du côté tribal, pour faire
de cette région un réservoir d’enrôlés dans l’armée et une des assises
de son régime. Jusqu’à ce qu’un groupe d’officiers de la région soit
pris d’ambitions... découvertes par Saddam, dont le châtiment fut
terrible. Description hâtive d’une réalité sociologique afin d’expliquer
certaines manifestations et traits, mais aussi pour souligner à quel
point la thèse de “bastion de l’ex-régime” (comme s’il s’agissait d’une
essence quasi immuable) est un peu courte, ne serait-ce que parce qu’ici
aussi la dictature a commis l’irréparable. Comme la thèse d’un Zarkawi
qui mènerait les grandes tribus de la région par le bout du nez l’est
encore plus.

A Fallouja, il y a certes beaucoup d(ex)’officiers expérimentés,
beaucoup d’(ex) soldats, et beaucoup de liens tribaux. Tout ça peut
expliquer la volonté et la capacité à résister aux américains et peut
être la présence de quelques combattants arabes (c’est à dire non
irakiens). Mais c’est limité à ça. Et “ça” ne change en rien la nature
des forces principales qui résistent aux américains, à Fallouja comme
ailleurs en Irak, où les études de terrain menées par des centres
américains et britanniques disent que 85% de la population est hostile à
l’occupation, où même les membres du gouvernement de Allawi sont obligés
de dire qu’ils ont, en fait, accepté d’être là parce qu’ils pensent que
c’est “le meilleur moyen d’en finir avec l’occupation” !! même les
collabos justifient leur position par la haine de l’occupation...
Fallouja ne représentait pas un danger plus grand pour les américains
que les autres villes et régions d’Irak. Pourquoi alors ce déchaînement
 ? Les américains ont utilisé une charge démesurée de forces contre
Fallouja, finalement une petite ville dont les bâtiments, de deux étages
généralement, sont en brique et qui gît à découvert au milieu du désert.
Ils l’ont fait avec préméditation, et selon une stratégie qui vise à
terroriser l’ensemble de la population irakienne. En commettant à
Fallouja “l’innommable”, les US espèrent que le reste de l’Irak se
rendra et considérera la présence américaine comme une fatalité qui ne
peut être écartée, qui ne peut être vaincue. C’est là la vérité de ce
qui s’est passé à Fallouja, où une volonté de tuer a été exercée.
Officiellement, le gouvernement irakien présente le chiffre de 2 085
morts et de 1 600 prisonniers. Les sources britanniques disent que 85%
des victimes sont civiles. Officiellement aussi, ils disent n’avoir pas
trouvé de combattants arabes et que l’explication serait qu’ils ont pris
la fuite la veille ! Maintenant les US les cherchent à Mossoul,
Mahmoudiyya, Samarrah, et même tout au sud du pays, à Bassora etc...
La vérité est que, à Fallouja, les chiens et les chats errants ont mangé
les cadavres des habitants, hommes, femmes et enfants, qui gisaient dans
les rues. Les aides civils et médicaux ont été délibérément interdits,
puis interminablement empêché d’arriver à la ville, plusieurs blessés (et pas uniquement celui qu’une télévision a filmé) ont été abattus.

Cette horreur est calculée. Elle veut signifier qu’il n’y a pas de limites.

Tout a été humilié, les mosquées ont été détruites ou saccagées
par les troupes US, puis utilisées sans ménagement comme lieux de repos
pour les soldats (tout le monde a vu ces photos où des soldats
américains dormaient dans les mosquées avec leurs armes, leur bottes
etc)... Le massacre et l’humiliation, la terreur, sont les armes de la
guerre préventive, totale et permanente, “tous ceux qui ne sont pas avec
nous sont contre nous, et ceux qui sont contre nous doivent savoir que
ce qui les attend c’est soit la mort soit l’arrestation”
d’après un haut
officier américain à Bagdad au début de l’opération de Fallouja .
Il y a quelques mois, c’était Najaf, une ville sainte chiite. Demain ça
sera d’autres villes d’Irak que le monde découvrira par le biais des
massacres commis. Tant que le peuple irakien refuse de se soumettre, la
résistance éclatera un peu partout et d’une façon ambulante, et la
répression aussi sera ambulante.

Mais la terreur ne peut pas pacifier un pays occupé et spolié, comme
l’est l’Irak. L’alternative politique proposée est l’acceptation d’un
gouvernement bidon, sans consensus national. Ce gouvernement a instauré
au début de novembre l’état d’urgence alors qu’il dit vouloir déclencher
“le processus politique”, c’est à dire des élections. A-t-on vu une
démocratie se construire sous l’état d’urgence et, à côté de cela, avec
des bains de sang effroyables et répétitifs ? Drôle de démocratie et de
processus politique !! En plus, refuser d’y participer est considéré
comme un acte de guerre. C’est très officiellement ce qui a été avancé
pour justifier les opérations contre Moktada Sadr à Najaf, et il a été
non moins officiellement dit que ces opérations visaient à le
convaincre de participer au “processus politique”. En plus, l’ensemble
du dispositif électoral - mode de candidature et d’élection - est
verrouillé, taillé à l’avance, c’est à dire falsifié.

Malgré tout ce qu’il a enduré durant ces dernières décades, le peuple
irakien n’est pas écrasé ni dans un état d’atonie. La résistance
irakienne est surtout le reflet du refus populaire et généralisé de
l’occupation et de ses fantoches. Celle par les armes est multiple,
allant de petits groupes appartenant à des milieux islamiques très
divers ( qu’ils soient sunnites ou chiites), à certains milieux
baassistes ( pas tous des loyaux de l’ex-régime, certains le sont
toutefois), et beaucoup de groupes constitués d’une façon locale,
fortuite. Certains groupes sont de gauche aussi. La résistance est à ses
débuts, elle n’a pas encore de direction unifiée, n’a pas encore de
stratégie confirmée et ne maîtrise pas tout ce qui se passe sur le
terrain ou se fait en son nom. Mais le besoin de se doter de
coordination et d’un cadre d’action politique se font sentir. Car si cet
“état” de la résistance ne cessera d’exploser à la face des américains,
à différentes occasions et par tous les moyens, ses limites ont été par
contre bien démontrées et le besoin de les dépasser qualitativement
s’impose. Ceci est actuellement, et de plus en plus, ressenti comme une
urgente nécessité par les différentes sensibilités politiques militantes
irakiennes.
Le gouvernement irakien établi par l’occupation est totalement contrôlé
par les américains. Dans chaque ministère, il y a un responsable
américain, ministre de l’ombre mais dont le nom est presque public, qui
décide de tout. C’est plus que de la collaboration, c’est un pouvoir
direct exercé par l’occupation, le paravent étant si mince qu’il ne
camoufle pas cette réalité. La participation de certains courants
politiques au gouvernement ne change en rien sa nature et son
fonctionnement. Cette participation a engendré d’importantes scissions
dans ces courants, déjà extrêmement affaiblis par la longue répression
dictatoriale. Il n’en reste pas moins que la participation du Parti
communiste irakien (lui aussi a scissionné à cette occasion) est
particulièrement grave, du fait de sa portée symbolique et du
“brouillage” qu’elle engendre, surtout sur le plan international. Si les
PC dans les différents pays arabes n’ont pas hésité, presque
unanimement, à condamner cette position du PC irakien, il n’empêche
qu’elle a fourni un prétexte à de la perplexité et à de l’attentisme...
Quoique ceux-là qui sont perturbés par la présence du PC irakien au
gouvernement, comme par la prétendue “transition” en cours, n’en sont
pas moins hypocrites, car le sens de ce qui se passe en Irak est d’une
totale clarté.

Parler de gouvernement “intérimaire” ou “transitoire” ne signifie pas
qu’on est dans une période de passage vers un pouvoir souverain et
indépendant. Pas plus que ce qui est appelé “opération politique“
n’est pas un pas vers le recouvrement de l’indépendance ou de la
souveraineté. Les américains entendent par ces mots rendre la
situation actuelle plus stable, plus “légitime”. Il ne s’agit pas de
passer à autre chose mais de consolider, de renforcer l’état actuel
existant. c’est le but des élections, si elles ont lieu (elles
pourront ne pas avoir lieu, toujours reculées à cause des combats ici et
là). Les élections consacreront “démocratiquement” l’occupation !! La
terreur aura auparavant convaincu les irakiens qu’il n’y a pas d’espoir.
Voilà pourquoi Fallouja a eu lieu en ce moment et de cette façon.
Ce n’est certainement pas ce que veulent les Irakiens, ou de quoi ils se
contenteraient. Des élections menées par la terreur et par la
falsification ne pacifieront pas la situation dans le pays. La
supériorité de feu des forces de l’occupation non plus. La corruption
rampante que l’occupation initie et encourage encore moins. Que faire ?
La conférence de Beyrouth en août dernier, où plus de 350 irakiens,
représentatifs de toutes les composantes du pays, se sont réunis, a bien
souligné la nécessité d’un “Congrès constituant”. Ce Congrès n’est pas
un parti politique, même pas un front de partis, c’est une Assemblée
fondatrice de la vie politique du pays, une sorte d’Etats généraux qui
se tiendraient aussi longtemps qu’il le faudrait pour parvenir à un
consensus national, sans lequel le processus politique ne pourra pas
s’établir. C’est une démarche nécessaire après une étape de l’histoire
moderne de l’Irak tissée de désastre : 35 ans de dictature d’une
inégalable férocité, 3 effroyables guerres dont une longue de 8 ans et
particulièrement sanglante (avec l’Iran), et deux qui ont été menées par
des forces “mondiales” (1991 et 2003 ), un embargo qui a duré 12 ans et
qui a fini par délabrer ce que les guerres n’avaient pas détruit, enfin
l’invasion et l’occupation par la superpuissance mondiale américaine. Ce
Congrès constituant, cet espace politique, est l’alternative à
l’occupation, à son gouvernement fantoche et à ses élections truquées.
Une pétition dans ce sens est en train de circuler en Irak, pour obtenir
le plus de signatures possibles. Cette pétition interpelle les instances
internationales, leur demandant de prendre en compte la volonté des
Irakiens, et de les aider à l’accomplir. Elle interpelle également les
forces vives du monde entier, les mouvements militants,
altermondialistes et anti-guerre, leur demandant un soutien sans équivoque.
Puisque l’hégémonie américaine est assurée par la présence directe de
troupes militaires là où elle veut affirmer et accélérer son
établissement sans entraves, par des gouverneurs décisionnaires qui
accompagnent les troupes (Négroponte a remplacé Bremer), par un mix sans
précédent entre les multinationales et les politiques - c’est ça la
pratique de la globalisation néolibérale, non ? - intégrons donc dans
notre conscience politique et intellectuelle ce qui a changé dans ce
monde. Pour être efficace, pour participer à la modification du rapport
de force sur le terrain, pour influer sur le cours des événements, il ne
suffit pas - ou plus - de se contenter de position de principe :
évidemment contre la guerre et l’occupation, bien sûr avec le droit du
peuple irakien à résister à l’occupation et à la spoliation sans limite
de ses richesses...
Il faut peser sur les mécanismes réels par les biais desquels cette
hégémonie se réalise. Ceci signifie, entre autre, soutenir les
alternatives politiques qui s’élaborent face à l’exercice pratiqué par
l’occupation, en résistance aux modalités spécifiques de son
installation et de sa pérennité. C’est comme ça qu’on fait “converger”
les luttes qui se déroulent partout dans le monde. C’est notre façon
d’aller, nous aussi, sur le terrain.

27-11-04
Nahla Chahal
coordinatrice de la Campagne Civile Internationale pour la Protection du
Peuple Palestinien - CCIPPP.

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Fallouja...
toujours les mêmes images...