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Publication de deux livres de Miguel Benasayag et Angélique Del Rey

"Connaître est agir, Paysages et situations", et "Plus jamais seul, le phénomène du portable"

lundi 8 mai 2006, par William Ferrari

 ‘‘De la fragilité, en tant que « nous sommes déjà décidés », à une « philosophie de l’organisme » comme nouvelle objectivité...  

La vie dans toutes ses manifestations n’a jamais été quelque chose de séparé de ce que l’on nomme aujourd’hui notre environnement, elle y est consubstantielle. L’existence de ce soubassement matériel présuppose le mouvement dans tous ses degrés d’intensité. Or voilà que notre modernité a placé l’effet avant la cause : pour agir il faudrait d’abord penser et décider en toute conscience, et donc avoir recueilli suffisamment d’informations.

Face aux situations délétères dans lesquelles nous nous trouvons il est devenu évident aujourd’hui que ce n’est pas le manque d’informations qui inhibe les capacités d’agir de nos contemporains. Ce serait plutôt l’inverse, tant l’afflux de stimuli de toutes sortes nous arrivent par tous les canaux médiatiques. Paradoxalement notre monde ne manque pas, il sature.

Sur quelles bases alors poser notre réflexion pour un « nouvel opérateur d’agir » qui nous ramènerait sur le chemin de liberté et non vers une prétendue liberté des chemins ?

La liberté n’est pas là où notre monde moderne la place, constat étayé par les travaux de la neurophysiologie de la perception sur la conscience, et son rôle dans l’élaboration de notre réalité. Depuis longtemps certains philosophes avaient déjà conceptualisé notre rapport au monde sans faire du libre arbitre la cause de lui même. Remplie d’informations techniques, la conscience placée en tête de la chaine causale devrait déboucher sur l’agir, et tout problème devrait avoir sa solution.

Dans ce modèle classique la conscience est le réceptacle des perceptions de nos sens. Or il apparaît que la perception est une véritable décision de l’organisme, bien avant la conscience, en tant qu’aptitude physiologique à décider et à discriminer. Connaître, c’est avant tout connaître par le corps. Et contrairement à tout un pan de la philosophie qui se méfie du corps, « nos sens ne nous trompent jamais ». D’où ce constat : l’information ne fait pas l’action et avant que la conscience soit « informée » celle ci est déjà « décidée » par tout un dispositif longuement analysé dans le livre.

Mais, si la conscience ne brille plus comme étant sa propre cause, la question du déterminisme et de la liberté se pose. Cette question centrale est abordée par Miguel Benasayag en recourant à une analogie géométrique, base reconnue de toute conceptualisation. Cette analogie géométrique est le triangle du déterminisme et de la liberté avec ses trois angles : le souhaitable, le possible, et le compossible, pour opérer il doit avoir une réalité aussi nécessaire que « la somme des trois angles d’un triangle égalent deux droits » selon la formule de Spinoza. « Ma liberté est donc une puissance du système complexe auquel j’appartiens ». « Ce sont là les limites du volontarisme humain ». Il y a lieu de faire le deuil du libre arbitre (faux deuil en fait car il manque le "cadavre ") : l’illusion de quelque chose qui n’a jamais existé.

Une autre question qui est au coeur de nos sociétés et qui ne peut s’échapper par son caractère prétendument neutre, c’est l’objet technique. « La technique déplie une combinatoire autonome : sans essence propre tout lui est en principe possible. Les sociétés dites « primitives » possèdent des techniques, nos sociétés modernes sont possédées par elle. Et ce sont les objets techniques qui finissent par occuper le vide laissé par le retrait de la puissance de la vie. » L’utilisation massive du téléphone portable démontre d’une façon éclatante que la corporeité des relations sociales ne saurait être purement et simplement remplacée par une virtualité sans affecter notre rapport au réel, et donc notre agir en tant qu’absence du corps en situation. La technique telle que nous l’abordons aujourd’hui, sans pensée, nous prend la vie qui est l’agir même, parce qu’elle est passive, toujours assujettie à une cause extérieure, et sa prétention à la perfection s’évanouit à moins de considérer parfait ce qui est au plus haut point passif. De cette absurdité, l’irrationalité ambiante du système fait ses choux gras. Plus nous obéissons à la logique de la technique, plus nous élaborons un « moi » imaginaire et séparé de son soubassement. L’agir ne pouvant se concevoir qu’à partir d’une matérialité, la virtualisation du réel nous en éloigne toujours plus.

La technique, et l’utilitarisme qui la justifie, permet de traverser des interdits qui jusque là assuraient la cohésion d’une société, qui « faisaient monde ». De plus, cette virtualisation de la vie a un côté régressif infantilisant, et donc il y a un retour à la pensée magique où tout est possible et où le déni de réalité est accentué.

Ce déni de réalité tend à structurer comme un délire le discours qui fonde nos sociétés, depuis le libéralisme qui ne voit que des individus isolés, séparés, véritables petites machines binaires réactives seulement à l’utilitarisme immédiat du gain ou de la perte, aux plus déterminés des militants du grand changement pour qui c’est de la bonne définition de la forme et de la cohérence finale que dépend notre capacité à agir, et donc du fameux « espoir guidant nos pas », là où les réponses précèdent les questions, - c’est l’idéologie.

La question lancinante pour le petit homme triste : « que m’est-il promis à moi » cette tragédie de l’espoir, s’efface comme l’ombre dans la lumière dès l’instant où l’on redéfinit une nouvelle objectivité qui n’est plus axée sur sur la conscience en tant qu’instance centrale de l’être, une surbrillance a priori de l’être- ontologique - . Cette nouvelle objectivité de l’agir, est à chercher dans les processus mêmes de l’élaboration de notre réalité.

Mais il ne faudrait pas tomber dans l’erreur positiviste qui confond « les mécanismes de la vie », avec la vie elle-même qui n’est pas un simple assemblage, en cela le « tout » est dans chaque partie, et l’être constitué par l’unification de l’organisme n’est jamais séparé du « soubassement » matériel dont il n’est qu’un « pli ». De fait il y a un socle commun qui est intérieur aux individus par la participation au « tout » et donc le lien social est constitutif de la personne : voilà la nouvelle objectivité comme axe de la connaissance. Le point de vue objectif devient un mode d’inscription dans le monde, un mode d’être et non plus un devoir être et tout relativisme s’en trouve effacé.

La « philosophie organique » de Miguel Benasayag est antifasciste, et elle peut se permettre de faire sortir du manichéisme classique l’inné et l’acquis. L’un étant identifié habituellement aux réactionnaires, et l’autre aux progressistes. En effet le « soubassement matériel » dont nous faisons partie, est constitué « d’invariants », l’inné. Ce sont ces invariants qui permettent à la vie de se déployer, et donc une critique « progressiste du progrès » qui ne doit plus rester le monopole des fascistes, est possible et nécessaire. Il n’y a pas en effet de base ontologique aux différents systèmes politiques, car « ce n’est pas la pensée critique qui ordonne le sens commun » (le sens commun, tout ce qui forme l’acquis, est le tissu de la vie quotidienne), celle ci est contenue dans celui là.

Enfin il ressort de cette nouvelle approche où le sens reste immanent au système, c’est à dire consubstantiel, que toute pensée en terme de solution ( dans une logique linéaire problème/pensée/solution, ou encore « conscience/décision/action ») d’une part est purement illusoire, et d’autre part elle « nous condamne à une négation du présent ». « La pensée en terme de solution parie sur le rôle pour le moins exagéré des capacités de la conscience. » C’est une pensée transitive dont les forces progressistes restent prisonnières.

Seule une pensée en termes de processus peut permettre de comprendre l’agir « sous condition d’une préalable désubjectivation (non plus un sujet connaissant d’un côté et un objet à connaître de l’autre).

Miguel Benasayag parie sur « l’émergence d’un nouvel opérateur d’agir : le paysage », qui doit être entendu non comme « un décor, mais comme cette tentative d’élargir notre sens perceptif pour comprendre ce qui est à l’oeuvre dans les différents processus concrets », un pari pour « un nouveau dispositif compossible, condition de l’agir contemporain ».

La leçon philosophique pose que « Le bien à toujours été là » et tous ceux qui ont combattu pour la vie « n’ont pas d’échecs à assumer » car « il n’y a pas de liberté, il n’y a que des devenirs de libération ».

William Ferrari
collectif Malgré Tout.

"Connaître est agir - Paysages et situations", de Miguel Benasayag et Angélique Del Rey - La Découverte - 17,58 E
"Plus jamais seul, le phénomène du portable", de Miguel Benasayag et Angélique Del Rey - ed. Bayard - 11,31 E

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