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“Pour sauver la planète, sortez du capitalisme” : café citoyen avec Hervé Kempf vendredi 30 janvier au Remue-Méninges à Saint-Etienne

samedi 10 janvier 2009

Le nouveau livre d’Hervé Kempf vient juste de paraître. (Voir aussi)

En voici un extrait ci-dessous, qu’a publié Témoignage Chrétien en décembre (http://www.temoignagechretien.fr)

Voir aussi, pour une présentation du livre, et un lien vers un texte sur le précédent livre de Hervé Kempf ("Comment les riches détruisent la planète") : http://www.reseauxcitoyens-st-etienne.org/article.php3?id_article=1579

Une rencontre avec Hervé Kempf aura lieu à Saint-Etienne vendredi 30 janvier à 19h, au café-lecture Le Remue-Méninges, 59 rue Désiré Claude.

On peut acheter ce livre dès maintenant au Remue Méninges (dépôt) et à la librairie Lune et L’autre, 19 rue Pierre Bérard, au centre ville de Saint-Etienne (http://www.myspace.com/lune_et_l_autre)
Il coûte 14 euros.

Le livre sera en vente aussi lors du café citoyen, le 30 janvier. Merci à celles et ceux qui souhaitent l’acheter ce jour là de passer (par précaution) commande par mail à contact@reseauxcitoyens-st-etienne.org

Les cafés citoyens sont une initiative des Réseaux citoyens de St-Etienne et du café lecture Le Remue-Méninges.

Le site d’Hervé Kempf : http://www.reporterre.net
Le ite internet du Remue-Méninges : http://leremuemeninges.wordpress.com

extrait

La coopération ou le despotisme


“L’urgence ? Concevoir le régime dans lequel nous allons nous retrouver au sortir du capitalisme. Transformer la perspective catastrophique en chance d’avenir. « Le risque écologique est pour l’humanité l’opportunité de se reconnaître, face aux logiques identitaires, une communauté de destin », dit justement Patrick Viveret.

L’adversaire paraissait surpuissant. Il est vermoulu. Sans doute avez-vous déjà entendu parler de la rafflésie, la plus grande fleur du monde. Cette espèce vit en Indonésie, sur l’île de Sumatra. Elle mesure jusqu’à un mètre de diamètre, et répand une odeur de viande pourrissante, dont elle présente aussi l’aspect : elle a adopté cette stratégie pour attirer certaines mouches pollinisatrices, spécialistes des cadavres frais. La fleur ne s’épanouit que très peu de temps, un ou deux jours dans l’année, avant de disparaître. Le capitalisme est ainsi : très grand, très puissant, il n’aura représenté qu’un bref passage de l’aventure humaine, guère plus de deux siècles – deux pour cent de l’histoire ouverte il y a dix millénaires par la révolution néolithique. À l’apogée de son épanouissement, il va s’évanouir. (…)

S’il vous advient d’emprunter le traversier qui joint la ville de Québec à celle de Lévis, observez les photos légendées accrochées aux cloisons des coursives intérieures : elles y racontent une des plus belles histoires de la coopération qui soient. Au début du XXe siècle, les Québécois vivaient sous le joug des Canadiens anglais : ils étaient niés culturellement, économiquement exploités. Les banques ne traitaient qu’avec les milieux d’affaires, et quand les gens ordinaires avaient besoin d’un crédit, ils devaient se tourner vers des usuriers.

Un ancien journaliste demeurant à Lévis, Alphonse Desjardins, après avoir étudié l’essor alors vigoureux du mouvement coopératif en Europe, en reprit l’idée que, pour s’affirmer politiquement, il fallait peser économiquement. Chaque ouvrier, chaque paysan, seul, était impuissant. Mais si tous plaçaient les quelques cents et dollars qu’ils pouvaient épargner dans une caisse commune, celle-ci pourrait financer des activités et favoriser l’émancipation des Québécois. Le 6 décembre 1900 naissait ainsi la Caisse populaire de Lévis. « Elle est à la fois une association de personnes et une entreprise, explique son historien. Ses membres s’associent pour mettre en commun leur épargne et former un réservoir de crédit auquel ils pourront recourir en cas de besoin. À la fois propriétaires et usagers, ils l’administrent sur une base démocratique selon la règle “ un homme, un vote ”, peu importe le nombre de parts sociales de chacun. » Le premier jour de dépôt, la caisse récoltait 26,40 $.

Bien commun

Ce modeste début n’allait pas empêcher que, surmontant de nombreux obstacles, le réseau des Caisses Desjardins grandisse continûment au long du XXe siècle, aidant à l’affirmation de la personnalité québécoise. Elles constituent aujourd’hui le premier instrument financier de la province, contrôlant 44 % du marché de dépôt. Si Desjardins est exemplaire, ce n’est pas un cas isolé. Des milliers de structures économiques sont fondées sur la mise en commun des moyens pour le bien commun et non en vue du profit individuel. En Europe, coopératives, mutuelles et associations – regroupées sous le terme d’« économie sociale et solidaire » – pèsent près de 10 % du PIB. Sont-elles restées fidèles à leurs principes ? Pas toujours, tant la pression capitaliste est forte : l’exacerbation de l’individualisme a conduit de nombreux sociétaires à se désintéresser de leurs structures, ou à n’y participer que comme clients, les dirigeants étant de leur côté attirés par les hauts revenus gagnés par leurs pairs de la finance capitaliste. « Le mutualisme se perd dans la course aux profits », titre L’Expansion, tandis qu’au Royaume-Uni la plus grande faillite bancaire intervenue lors de la crise ouverte en 2007, Northern Rock, se révèle être une mutuelle qui a abandonné le principe mutualiste pour se transformer en société par actions. Une large partie du mouvement coopératif reste cependant régie selon ses principes fondateurs, formant une base solide pour injecter un nouvel esprit dans le système économique. Une des formes les plus intéressantes en est le régime de société coopérative de production (Scop) : les salariés coopérateurs participent sur un pied d’égalité aux décisions et décident collectivement de l’affectation des bénéfices. En Ardèche, dans un repli de montagne qu’ailleurs on qualifierait de désert rural, les trente associés d’Ardelaine produisent pulls et matelas en laine « bio » depuis 1975. À Paris, Le Temps des cerises restaure en Scop et dans la bonne humeur les passants de la Butte-aux-Cailles depuis 1976. L’indispensable Alternatives économiques injecte une lecture non capitaliste de l’économie – quoiqu’encore imprégnée d’une désuète obsession de la croissance – depuis 1980 : en coopérative, le journal est farouchement indépendant. Dans le Lauragais, les 720 salariés de la Scopelec réparent les lignes téléphoniques en coopération prospère. À Montauban, Elaul monte des armoires électriques – après la faillite de l’entreprise qui les employait, une partie des salariés l’a relancée sous forme coopérative. « Les Scop sont la meilleure garantie contre l’individualisme des patrons comme des salariés, l’hyper-profit et la destruction d’emplois, dit la dirigeante élue d’une Scop de biotechnologie, P.a.r.i.s., à Compiègne. Ce statut est en parfaite adéquation avec une vision moderne de l’entreprise. » Mille autres formes de vivre autrement, de produire et de consommer sortent des sentiers desséchés du capitalisme. « L’ Agriculture soutenue par la communauté » contourne les circuits de grande distribution pour organiser des achats directs de groupes de consommateurs à des agriculteurs non industriels. Lancée aux États-Unis dans les années 1980, elle se répand en Europe – en France, sous le nom d’Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). Une autre forme en est l’achat de terres en commun pour aider à l’installation de jeunes agriculteurs. Les jardins partagés se multiplient dans les villes. Les paysans s’organisent dans des structures de vente commune, comme Les Producteurs fermiers, à Grandrieu, en Margeride, ou partagent leurs heures dans une banque du travail, comme la coopérative Causse Lozère de Hures-la-Parade. Les « objecteurs de croissance » – adoptant un mode de vie frugal – travaillent moins, gagnent moins et sont heureux. À Carcassonne, la mairie finance le permis de conduire des jeunes en échange de soixante heures de travail social. À Paris, à Lyon, à Toulouse, on partage les vélos. Le covoiturage devient un mot du langage courant. Des particuliers financent un parc éolien dans l’Ille-et-Vilaine et veulent réinvestir les bénéfices dans les économies d’énergie. Le groupe d’épargne solidaire Finansol annonce avoir franchi le seuil d’un milliard d’euros récoltés. Wikipedia est la plus grande encyclopédie mondiale, alimentée par des millions d’internautes suivant un mode participatif non hiérarchique. Linux devient un système d’exploitation des micro-ordinateurs très répandu – c’est un « logiciel libre », qui n’appartient à personne, développé et amélioré par la communauté de ses utilisateurs.

Expériences

Je m’arrête. Il faudrait plusieurs ouvrages comme celui-ci pour bien raconter cette poussée de sève – petites histoires, grandes entreprises, associations nouvelles, appropriation des technologies… Rien de plus roboratif que d’explorer la multiplicité des pratiques et des expériences qui jaillissent aux quatre coins de la planète. Je n’ai cité que des cas français. On découvre la même floraison dans tout autre pays, sur tous les continents. Nous n’avons pas à inventer le nouveau monde. Il est déjà là, en jachère, comme une terre qui attend de lever pour donner une moisson dorée. Mais moisson il ne peut y avoir que si toutes les semences germent en coordination. Chacun, chaque groupe, pourrait dans son coin réaliser son bout d’utopie. Il se ferait sans doute plaisir, mais cela ne changerait pas grand-chose au système, puisque sa force découle du fait que les agents adoptent un comportement individualiste. De même que « consommer vert » ne change pas la logique de marchandisation universelle, « cultiver son jardin alternatif » ne menace aucunement le capitalisme, puisque l’essentiel pour lui est que les « agents » soient divisés et agissent sans coordination. Les alternatives pourraient même le renforcer, en palliant l’affaiblissement organisé par les capitalistes des tâches protectrices de l’État, le rendant de ce fait supportable. De surcroît, insérées isolément dans un système fonctionnant selon d’autres critères, elles ne pèsent pas sur la répartition globale des revenus.

Le sociologue Alain Caillé pose bien la question : « Comment rassembler 36 000 initiatives en leur donnant l’impression de bâtir un monde commun ? » L’enjeu n’est pas de lancer des alternatives. Il est de marginaliser le principe de maximisation du profit en plaçant la logique coopérative au cœur du système économique. Ces expériences ne prennent donc un sens que si elles s’inscrivent dans la démarche politique de sortie du capitalisme. De même que la main invisible du marché ne conduit pas la myriade d’individus à l’optimum collectif, aucun esprit caché ne mènera une foison d’initiatives à une société nouvelle. Il y faut une conscience commune, des solidarités de lutte, des relais politiques."