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" Qui va calmer ma colère ? "

jeudi 20 mai 2004, par Ziad Medoukh

Je suis un simple citoyen palestinien, je vis dans les Territoires Palestiniens, en particulier dans une grande prison appelée la bande de Gaza, et dans une ville-ghetto appelée Gaza. Je suis convaincu que la paix est la seule solution à notre conflit avec les Israéliens causé par l’occupation et la colonisation. Je travaille comme professeur de français dans cette jolie ville de Gaza, car je pense que l’éducation pourrait jouer un rôle en faveur la paix dans notre région, et j’ai choisi le français parce que le français pour moi est une langue de paix, une langue d’espoir. Je suis souvent optimiste et je garde toujours l’espoir d’un lendemain meilleur pour nos enfants, les enfants innocents de ma grande patrie, la Palestine, une Palestine de valeurs et de principes, malgré cette situation difficile vécue par mon peuple courageux.

Mais aujourd’hui, je suis en colère, et j’espère voir une décision courageuse de la part de la communauté internationale, ou une action réelle pour sauver les enfants palestiniens qui meurent tous les jours à Rafah et partout en Palestine. Je suis en colère, car je vois des violations permanentes des droits humains en Palestine, et que personne ne bouge, même dans le monde réputé libre et démocratique.

Qui va arrêter ma colère, qui va réussir à me convaincre que le chemin vers la paix passe par des négociations et non par des chars et des bulldozers qui sont en train d’effacer des maisons, des quartiers et des villes en Palestine ?

Je ne dors plus depuis une semaine, je pense aux femmes, aux enfants et à tous les habitants de Rafah qui se trouvent dans les rues de ce qui reste de leur ville méditerranéenne envahie et dévastée par les forces de l’occupation.

Je suis en contact permanent avec la famille, mes amis à Gaza et à Rafah, qui résistent sur place contre l’agression de l’occupant, et qui ne trouvent personne dans le monde pour oser dire NON à l’injustice, NON à l’oppression, et NON à la complicité.

Ma colère a commencé la semaine dernière, quand l’armée israélienne a envahi le quartier Zeitoun au sud de la ville de Gaza, ce quartier où vivent plus de 120.000 Palestiniens souvent défavorisés, et qui représente pour nous le symbole de la résistance contre la misère et contre les soldats de l’occupation.

Ce quartier qui m’est très cher a donné pour la Palestine des centaines de martyrs et de blessés qui ont sacrifié leur vie pour une Palestine libre et indépendante. Ce quartier est celui de mon enfance et de mes premiers souvenirs à Gaza.

Dans le quartier Zeitoun, j’ai passé cinq années de mon enfance chez mes grands-parents et mes oncles et tantes, ce furent des années pleines de souvenirs et de joie, on jouait avec mes cousins et cousines, et on allait ensemble à l’école maternelle. Même actuellement, malgré mon déménagement vers un autre quartier de Gaza, je viens souvent à Zeitoun pour rendre visite à mes proches, mais surtout pour me rappeler des années soixante-dix vécues dans ce quartier populaire, qui a été parmi les premiers quartiers de la ville de Gaza à commencer une résistance populaire remarquable contre l’occupation israélienne de la bande de Gaza en 1967.

Depuis le début des opérations israéliennes contre ce quartier, je ne dors plus. Je pense aux enfants de ce quartier Zeitoun - qui veut dire l’olivier, le symbole de la Palestine et de la paix, mais qui est souvent blessé par les attaques israéliennes. J’ai été en direct avec mes proches pendant trois jours pour avoir de leurs nouvelles et pour mesurer l’évolution de la situation très grave dans ce quartier d’espoir et d’olivier qui a perdu en trois jours 25 martyrs pour la Palestine, et plus de 120 blessés, sans compter la destruction totale de dizaines de maisons, de magasins et d’immeubles appartenant à des civils. Et quelle a été la réaction internationale devant ces attaques israéliennes contre un peuple isolé ? Rien, comme d’habitude, aucune réaction ni condamnation de la part des gens qui se disent démocrates et libres. Et vous me demandez pourquoi je suis en colère, et je vous réponds : qui va calmer ma colère et qui va arrêter notre malheur ? Et quel malheur !

Hier à Zeitoun, et aujourd’hui à Rafah, des dizaines de morts, des centaines de blessés, des milliers de gens sans abri dans les rues, stades, écoles et tentes de Rafah après la destruction massive de leurs maisons par les chars et les bulldozers israéliens, sans aucun courage de dire non à ces crimes de guerre - heureusement qu’Amnesty International a enfin utilisé ce mot - commis par une armée d’occupation qui déteste la vie et la lumière.

Je suis en colère, car je suis un Palestinien qui vit l’occupation au quotidien, je connais bien ce que sont les bombardements des chars israéliens à 3 heures de matin, et je connais bien les missiles qui tombent sur les mosquées, les camps, les villes et les usines à 5 heures de matin, je connais bien les barrages, les check-points de l’armée israélienne, je connais bien les civils palestiniens qui meurent tous les jours, je connais bien les blessés qui se trouvent dans les rues de Rafah et qui attendent l’arrivée des ambulanciers interdits par les soldats israéliens, je connais la violence de l’occupation, je vis la souffrance, l’humiliation et les malheurs dans mon pays depuis des années et des années, et lorsque je suis venu en Europe espérant y entendre au moins un mot d’encouragement ou de sympathie pour mon peuple et sa cause noble, je me suis retrouvé devant l’indifférence totale, même de la part des organisations qui défendent les droits de l’Homme partout dans le monde. Et vous me demandez pourquoi moi et mon peuple sommes en colère ?

Je suis en colère, non contre la force de l’occupation israélienne, car nous avons l’habitude maintenant en Palestine d’avoir des attaques, des barrages, des destructions massives des maisons et des mesures inhumaines de la part de cette occupation, et cela depuis 56 ans ; ma colère est tournée contre l’injustice, contre l’indifférence, contre l’égoïsme de ce monde qui ne fait rien pour au moins effacer les larmes des yeux des enfants palestiniens, orphelins, des enfants qui se trouvent aujourd’hui dans les rues de Rafah, qui attendent la conscience humaine.

Je suis en colère car je suis un pacifiste palestinien, je suis en colère car je suis un démocrate palestinien, je suis en colère car je suis un Palestinien libre, un Palestinien qui compte beaucoup sur ce monde libre, ce monde de principes, et ce monde démocrate pour essayer de faire pression contre les occupants de ma terre afin qu’ils quittent nos Territoires occupés et nous laissent vivre en paix et en liberté sur notre terre de Palestine.

Qui va arrêter ma colère et la colère de mon peuple ? C’est vrai qu’il existe dans ce monde des intérêts des gens honnêtes qui tiennent la Palestine et les Palestiniens dans leur coeur et qui essayent de nous soulager dans ces moments difficiles vécus par notre peuple, mais nous attendons toujours des décisions courageuses de la part de ces pays libres, de ces pays démocratiques pour dire NON à l’occupation, NON à l’oppression, nous attendons des actes et non des paroles.

Nous les Palestiniens, nous ne demandons pas la lune, nous demandons une seule chose : la justice, et le droit international.

Et jusqu’à l’arrivée de cette justice internationale et de ce droit international dans mon pays occupé, la Palestine, je continuerai d’être en colère, en attendant quelqu’un qui pourrait calmer et arrêter ma colère et la colère de mon peuple.

En attendant ce jour, je continue de saluer cette résistance et cette patience des habitants de Rafah, des femmes de Rafah, des jeunes de Rafah, des enfants de Rafah, et à tous ces innocents je leur dis :

Je rêve Rafah, je pense Rafah, je parle Rafah, j’écris Rafah, je suis inspiré par Rafah, et à Rafah, et surtout aux enfants de Rafah, j’offre une grande fleur d’espoir, une fleur d’avenir et une fleur de paix. Et je souhaite être avec vous, pas seulement pour essayer d’effacer vos larmes, mais pour vivre avec vous et partager un peu de votre souffrance, de votre malheur, mais surtout votre espoir.

19 mai 2004

le site Solidarité Palestine