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A propos d’agroécologie, après la rencontre avec Silvia Perez-Vitoria... (2)

L’agroécologie est inséparable d’un choix de société à faire en faveur de l’agriculture paysanne.

Il y a incompatibilité entre l’agriculture industrielle et les agricultures paysannes...

mardi 14 mai 2013

Lors de la rencontre qui a eu lieu à Feurs le 18 janvier 2013, Silvia Perez-Vitoria a d’abord expliqué pourquoi on pouvait parler aujourd’hui de “retour des paysans” (Voir). Puis elle a précisé ce qu’il fallait entendre par “agroécologie”... Et exposé les différents domaines dans lesquels les paysans et des peuples agissent aujourd’hui pour retrouver leur autonomie et reconquérir la souveraineté alimentaire.

“(...) Cette question de l’agroécologie, tout le monde en parle, personne sait ce que c’est, c’est vraiment très intéressant..., et en fait il y a des tentatives, à droite et à gauche, d’essayer de récupérer la notion - y compris par notre gouvernement, d’ailleurs, qui vient de faire une réunion le 18 décembre là-dessus - dans la version la plus basse...

Alors il y a une version basse, qui est la version la plus technique si je puis dire, qui est que l’agroécologie c’était l’application des principes écologiques à l’agriculture. Alors, c’est “technique” et donc les enseignements que donnent actuellement les grands instituts d’agronomie en France sont des enseignements techniques : quelles techniques on peut faire ?... ça va depuis les cultures associées, le bois raméal fragmenté... enfin toutes les techniques possibles et imaginables, c’est technique...
Mais la version la plus intéressante, celle qui est en train d’être récupérée par les mouvements sociaux, est une version beaucoup plus large, qui comprend toutes les dimensions politiques, économiques, et sociales, de l’agroécologie. C’est à dire qu’il ne s’agit pas simplement de travailler, d’étudier la ferme, l’exploitation, etc... mais il s’agit d’étudier l’ensemble du système agro-alimentaire, et l’ensemble des forces qui agissent sur ce territoire ou sur cette ferme.

Et la deuxième chose très importante, c’est qu’il ne s’agit pas d’un ensemble de recettes techniques, parce que l’agroécologie ne peut s’inscrire que dans un terroir avec une histoire. Donc il y a une histoire de l’agriculture qui est propre à chaque territoire, en fait la différence entre l’agriculture paysanne et l’agriculture industrielle, c’est la très grande diversité des agricultures paysannes, qui se sont installées dans le monde, suivant les lieux. Entre les Andes et puis nos Alpes ou l’Aragon par exemple, ça n’a rien à voir... Donc chaque agriculture, chaque communauté, chaque agriculture est une communauté humaine, et donc en fait pour l’agroécologie, il y a une co-évolution entre le milieu environnemental et le milieu social, et on ne peut pas séparer les deux. On ne peut pas sauver l’un sans sauver l’autre. Donc les deux doivent être travaillés ensemble, ce qui veut dire tenir compte de l’histoire d’un territoire, tenir compte de ce qui s’est passé, de ce qui s’y est fait, de comment ça fonctionne, ça ne veut pas dire que ce n’est pas ouvert à des choses nouvelles, que c’est un rejet du progrès technique, mais ça part de ça.

Les mouvements paysans sont en train de s’approprier l’agroécologie

Et l’autre hypothèse importante, et c’est pour ça que les mouvements paysans sont en train de s’approprier l’agroécologie, c’est que l’agroécologie considère que dans l’histoire, ce sont les agricultures paysannes qui ont su maintenir le mieux cet équilibre entre communautés humaines et environnement. Donc : mettre à parité avec les savoirs scientifiques les savoirs des paysans, les savoirs et connaissances des paysans... Donc c’est un outil très important pour les populations, pour les mouvements paysans. Et je vais donner un exemple que j’ai vu de très près, qui est celui du Mouvement des Sans Terre du Brésil, qui, quand ils ont commencé à avoir des terres, se sont lancés à fond dans l’idée de faire du soja transgénique, des machines, des investissements, l’exportation... ils sont partis sur un modèle comme ça, à fond, à fond, à fond. Et ils se sont rendus compte qu’ils allaient dans un mur, que c’était une impasse, et le fait d’être dans Via Campesina, le fait d’être avec des paysans, le fait d’échanger... : ils ont commencé à réfléchir, à se rendre compte que ce modèle-là n’était pas celui qui convenait. Depuis 2002, ils ont adopté l’agroécologie dans leur assemblée générale, ils ont créé des écoles. Alors il y en a une très importante au Brésil, et il y en a une très importante au Vénézuela, qui sont des écoles d’agroécologie à destination des paysans, dans lesquelles il y a des échanges d’expériences, des échanges de savoirs, mais pas uniquement techniques, toujours avec une formation politique derrière. Donc vous avez ça en Equateur, vous avez ça en Asie au Bengladesh, vous avez ça en Inde... Il y a des projets en Espagne... C’est en train de se développer...

Donc ce sont des écoles de récupération des savoirs... Dans les Andes il y a deux grandes écoles : Pratec et Agroco, qui travaillent sur les savoirs paysans des Andes, parce que les Andes c’est des situations extrêmes dans lesquelles on ne peut pas faire n’importe quoi. D’ailleurs si vous voulez on en discutera : la quinoa, c’est n’importe quoi, justement. La quinoa pour l’exportation, c’est n’importe quoi... Dans des milieux aussi fragiles, c’est n’importe quoi.
Donc essayer de récupérer des savoirs. Alors bien sûr, là où il y en a le plus, c’est là où il y a le plus de paysans... Encore une fois, c’est l’inverse de ce qu’on apprend en économie, c’est là où il y a le plus de paysans qu’il y a le plus de chances de récupérer des savoirs. Alors dans nos pays c’est beaucoup plus difficile. Mais c’est possible. Quand les paysans d’Andalousie ont récupéré les terres dans les années 80, la plupart étaient des ouvriers agricoles qui avaient très peu de connaissances agricoles. Tout ce qu’ils savaient c’est qu’ils ne voulaient pas "utiliser des poisons", ils disaient ça : "on ne veut pas utiliser des poisons". Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils sont allés voir des paysans vieux, autour, et ils ont récupéré des variétés, ils ont récupéré des savoirs, ils ont créé des coopératives, ils ont créé des systèmes d’échanges, ils se sont débrouillés. Donc on peut récupérer des savoirs, c’est possible, c’est plus difficile chez nous que dans d’autres pays, mais c’est faisable, et puis il y a des livres...

Donc il y a ce travail qui est en train d’être fait partout dans le monde par les mouvements paysans pour récupérer des savoirs, des savoirs-faire, appuyer en particulier dans l’agroécologie des gens qui travaillent... moi j’enseigne dans un institut en Espagne, en Andalousie, des gens qui sont formés là sont des gens qui après vont travailler avec les paysans dans un autre rapport, complètement différent. Et dans le cas du Brésil aussi, c’est intéressant, parce que l’agroécologie a été lancée du point de vue du gouvernement au Brésil par exemple... Au Brésil vous avez 2 ministères de l’agriculture : un ministère de l’agriculture pour les gros, et un ministère de l’agriculture pour les petits, voilà... L’un s’appelle ministère de l’agriculture, l’autre s’appelle ministère du développement agricole... Le ministère du développement agricole a formé des techniciens agricoles à l’agroécologie, qui travaillent en termes de vulgarisation agricole de manière tout à fait différente. C’est à dire qu’ils ne viennent pas pour dire : voila ce qu’il faut faire, ils disent : qu’est-ce que vous faites ? comment on fait ensemble ? etc... ça modifie tout à fait les rapports du "progrès" agricole par rapport aux pratiques paysannes. Donc c’est une reconnaissance, une revalorisation du travail paysan.

La multiplication des réseaux de semences

Un autre aspect très important sur lequel sont tous ces mouvements paysans, c’est le maintien de la biodiversité. Alors il y a bien sûr deux manières... La lutte contre les OGM, c’est bien sûr un des éléments importants. Et là je pense que la France, on est quand même à la pointe, dans le monde, de la lutte contre les OGM. Il n’y a pas d’autre pays qui a été aussi loin dans le sens où les paysans ont travaillé avec d’autres alliés - les alliances c’est important, les paysans ne sont pas tout seuls - Et en France, beaucoup de gens se sont investis dans la question des OGM, donc c’est quelque chose d’important.
Je ne sais plus qui m’a dit, qu’il avait vu des documents de Monsanto. Monsanto a dit : bon, la France on met une croix dessus, c’est fini, c’est perdu. C’est un honneur, quand même, c’est quand même pas mal, je trouve qu’on a quand même assez bien réussi.
Alors, ça c’est l’aspect luttes, mais après il y a l’aspect réseaux de semences. Mettre en place des réseaux de semences, c’est-à-dire très souvent comme vous le savez à la limite de la légalité, c’est une manière aussi de se récupérer la biodiversité et de la maintenir, au-delà des paysans, pour l’humanité. Parce que là, les enjeux sont là. Ce n’est pas en les mettant dans un glacier au nord de la Norvège qu’on va récupérer les semences. On les récupère en les faisant vivre.
Et donc les réseaux de semences qui, pareil, se développent dans le monde entier, en Europe, en Asie, en Amérique Latine etc, c’est aussi quelque chose de très important sur lequel les mouvements paysans sont en train de travailler.

La relocalisation, la création de circuits courts...

Alors d’autres échanges aussi... Par rapport à cette libéralisation effrénée : bien sûr les circuits courts, tout ce qui est relocalisation, commercialisation circuits courts le plus rapprochés possible, et là je donne toujours un exemple parce que je l’aime bien cet exemple, c’est un exemple en Suisse... En Suisse romande, les paysans de Suisse romande ont dit : voilà, il ne faut pas qu’un habitant de Suisse Romande soit à plus de 3 kms d’un lieu de vente directe et ce qu’ils ont fait, c’est qu’ils ont tout réuni, c’est-à-dire : vente à la ferme, marchés, paniers, cueillette, et ils ont réussi à mettre en difficulté les 2 grands distributeurs qui sont Coop et Migros, en suisse romande, à les mettre en difficulté. Et ça marche très bien, ça marche tellement bien qu’ils ont un petit bulletin dans lequel toutes les semaines il y a le prix comparé entre leur réseau et le réseau de la grande distribution, et très souvent leur réseau est moins cher, et en tous cas il attire beaucoup plus de monde, au point que les autres sont en difficulté en ce moment en Suisse romande. Vous voyez que ça marche, quand les gens s’organisent...

Reconquérir la souveraineté alimentaire, et non seulement une “sécurité alimentaire”

Et puis bien sûr au niveau plus global, international : la question de la souveraineté alimentaire... Alors là aussi, on confond toujours sécurité alimentaire et souveraineté alimentaire. Alors la différence, je donne toujours l’exemple, je dis : la sécurité alimentaire c’est une notion de la FAO qui dit que chaque individu sur terre a le droit d’avoir une nourriture en quantité et en qualité suffisante, mais ne dit pas d’où vient cette nourriture. C’est-à-dire que si vous avez les moyens d’importer 100% de votre alimentation, vous avez votre sécurité alimentaire. Alors que la souveraineté alimentaire, c’est le droit des peuples à produire leur alimentation selon les valeurs culturelles qui sont les leurs, selon les méthodes qui sont les leurs, et avec des politiques publiques qui soient adaptées. Alors, je ne vous cache pas que c’est sans doute une des revendications - notamment de Via Campesina qui a lancé ça en 1996,au contre-sommet de la FAO - la plus difficile, parce que quand vous êtes dans des situations de non protectionnisme, c’est à dire de libre échange, c’est très très difficile d’avoir un système alimentaire autonome. Le cas du Mexique dont je viens est absolument emblématique.
Le Mexique était totalement autonome en production de maïs ; en 1994 ils ont signé les accords de l’ALENA avec les Etats Unis, et le Canada, ils importent 80% de leur maïs ! Et en plus il faut savoir que c’est un maïs transgénique, que c’est le maïs que les américains donnent à leurs cochons, qu’ils envoient au Mexique, alors que c’est l’alimentation de base de la population. D’ailleurs maintenant il y a la moitié des gens qui ne mangent plus de maïs. Maintenant ils mangent du pain, comme ça ils importent du blé, comme ça c’est très bien... Donc vous voyez que c’est très très difficile, dans un système de libre échange, de pouvoir mettre en place une souveraineté alimentaire.
Alors vous avez 4 ou 5 Etats qui ont mis ça dans leur Constitution comme la Bolivie, l’Equateur, le Népal, le Vénézuela : ils l’ont mis dans la Constitution ... le Vénézuela importe 85% de son alimentation... donc on le met dans la Constitution, mais en pratique c’est extrêmement difficile à faire. Mais enfin c’est important parce que ça fait avancer les idées, ça fait prendre conscience, et vous avez par exemple actuellement en France toute une série de régions qui sont en train de s’interroger sur leur souveraineté alimentaire en tant que région. Alors ça a commencé dans le Limousin, ça s’est fait en Aquitaine, actuellement c’est en train de se faire en PACA, c’est-à-dire essayer de regarder qu’est-ce qui sort, qu’est-ce qui rentre, et à quelles conditions une zone peut avoir un minimum d’autonomie alimentaire propre ; ça ne veut pas dire 100%, mais en tous cas tendre vers. C’est quelque chose vers quoi on peut tendre. Donc c’est une notion intéressante à prendre en compte.

Les luttes contre l’accaparement des terres et la prolétarisation des paysans

Alors ensuite, il y a un autre aspect qui est peut-être pas souvent vu, qui est une lutte contre un phénomène auquel on est en train d’assister : c’est une prolétarisation des paysans.
Alors, prolétarisation sous plusieurs formes : le phénomène d’accaparement de terres fait que très souvent les paysans sont chassés et ils deviennent ouvriers sur leurs propres terres. Mais quand vous avez 500 paysans, il va rester 15 ouvriers agricoles, donc il n’y a pas de commune mesure, et puis ce n’est pas le même travail, et ce n’est pas le même rapport, ça n’a rien à voir... Moi j’ai travaillé un peu en Roumanie, le phénomène de la Roumanie c’est intéressant parce qu’en Roumanie on a redistribué les terres aux gens. Déjà les paysans n’arrivent pas à vivre : ils ont 1 hectare, 2 hectares, ils arrivent pas à vivre, donc les femmes partent dans le sud de l’Espagne ramasser les fraises, dans des conditions terrifiantes - c’est une autre question, elles deviennent prolétaires en l’occurence. En un an ou deux ans, elles ramènent un peu d’argent, ça permet à l’exploitation de vivre un tout petit peu, et puis elle n’y arrive plus. Donc les terres sont rachetées par des grands agriculteurs, des fonds d’investissement etc, etc, et elles se retrouvent pareil ouvrières sur leurs propres terres.
Et là j’ai vu au Mexique, c’était autre chose : l’Ejido, qui est en train de disparaître par l’accord de l’ALENA, les Indiens qui étaient là me disaient : mais maintenant notre Ejido, il est vendu et nous on va se retrouver ouvriers sur nos propres terres.

Donc, ce phénomène de prolétarisation est quelque chose de très important, et c’est la première fois, pareil, que vous avez une prise de conscience que la lutte de ces paysans et la lutte de ces ouvriers agricoles, c’est la même lutte, c’est à dire empêcher... Bien sûr l’immigration ça entraîne... moi j’ai fait un film en Calabre sur les ouvriers africains, qui sont des paysans, qui n’arrivent pas à vivre de leurs terres, qui se retrouvent ouvriers en Calabre à ramasser des oranges et qui vivent dans des hangars, et qui sont persécutés, etc... C’est intéressant de voir qu’à l’intérieur par exemple de Via Campesina, vous avez un mouvement qui travaille sur la question des migrations, des prolétaires, et que pour la première fois, deux catégories qu’on considérait opposées - les ouvriers agricoles et les agriculteurs, ça a toujours été antagonique -, eh bien maintenant ils ont des intérêts communs et ils sont en train de travailler ensemble.

La nourriture, pas seulement l’alimentation...

Et puis peut-être le dernier point, c’est la question de la nourriture. J’ai dit tout à l’heure bien sûr qu’on mangeait mal... Il y a un chercheur mexicain qui distingue entre nourriture et alimentation. Nous, en français, on n’a pas les mots, en espagnol c’est comida et alimentacion. La nourriture, si vous voulez, c’est ce qu’on partage, ce qui a un sens culturel, ce qui est fait par nous, partagé, cuisiné, etc... L’alimentation c’est le nombre de calories, de protéines, des nutritionnistes, enfin l’alimentation industrielle, voilà... C’est deux univers différents. Et les paysans, ils sont plutôt du côté de la nourriture, ils essaient de défendre une autre conception, ils sont derrière la qualité... donc c’est aussi un combat qui est mené.

Des questions de société, pas des questions corporatistes...

Après "Les paysans sont de retour", en 2005, Silvia Perez-Vitoria a publié en 2010 "La riposte des paysans" (Actes Sud)

Alors ce que je voulais juste souligner, c’est que vous voyez bien qu’on est très très loin de revendications corporatistes. Très très loin de ce que pouvaient être traditionnellement les revendications des syndicats agricoles, des meilleurs prix... ça empêche pas qu’il y a à défendre, ne serait-ce que pour survivre, les prix, mais les questions qui sont posées par ces mouvements sont des questions qui sont des questions de société, qui sont des questions fondamentales, qui sont : qu’est-ce qu’on est en train de faire de nos territoires ? Qu’est-ce qu’on est en train de faire de la nature ? Est-ce qu’il n’y a pas des possibilités de créations d’emplois ? Parce que ce sont des agricultures bien sûr qui créent beaucoup plus d’emplois, ce sont des agricultures - je voudrais quand même le dire parce qu’il y a toujours le discours : oui, de toutes façons, on ne nourrira pas l’humanité avec cette agriculture là...
Premièrement l’autre, elle ne la nourrit pas, alors déjà, pour commencer, discutons de ça. Elle ne la nourrit pas et elle la nourrit mal. Et toutes les études - dans les 20 dernières années il y a eu des études très minutieuses qui ont été faites, sur les agricultures traditionnelles, agricultures biologiques, agricultures paysannes, toutes sortes.. familiales etc... - toutes ont montré la très très grande efficacité de ce type d’agriculture, ça, uniquement en termes de production. Mais après si on parle en termes énergétiques, si on parle en termes d’environnement, si on parle en termes d’emploi, c’est sans comparaison. Donc l’avenir, il n’est pas du tout dans l’agriculture industrielle, avec très peu d’agriculteurs et des monocultures, il est dans la diversification, il est dans une agriculture avec beaucoup de monde, très diversifiée, et en fait, chaque région a son système, ce qu’en agroécologie on appelle l’agroécosystème, c’est-à-dire : l’écosystème travaillé par l’homme, chaque région a le sien, qui est différent de celui d’à côté. Et c’est cette diversité là qui permet de s’adapter le mieux au milieu et qui permet d’avoir la meilleure efficacité. Je ne parle pas de rendement, je parle d’efficacité, au sens large du terme, en prenant toutes les dimensions, il ne faut pas simplement voir les quantités produites, on est toujours fixé sur les quantités produites, mais on produit des quantités... d’abord on s’intéresse pas à tout ce qu’il faut pour produire ces quantités, parce que quand on vous dit : la France, exportateur... la France n’est pas exportateur ! Si on considère tout ce qu’il faut importer pour exporter, la France est déficitaire dans son agriculture. Mais ça personne ne le dit, vous voyez. Donc prendre l’agriculture dans cette dimension totale, c’est ce que permet l’agroécologie, c’est ce qui permet de voir ce que peut apporter ce type d’agriculture...

Ensuite, simplement ce que je voulais dire, c’est que l’agriculture industrielle, je ne dis pas qu’elle a été imposée, mais en tous cas elle a été promue par le haut, par des politiques publiques, par des experts, elle a été décidée si vous voulez par des gens d’en haut. Cette agriculture paysanne, qui est en train de resurgir, elle vient du bas, c’est une autre logique, elle est horizontale, elle vient par le bas, elle est en train de remonter. Et je trouve significatif, même si pour l’instant ils ne sont pas très importants, que soit né il y a 3 ou 4 ans, en Europe le mouvement "reclaim the fields", qui est un mouvement de jeunes qui se définissent comme des jeunes paysans sans terre en Europe. Il y a 20 ans, on n’aurait jamais pu imaginer ça. Ce qui prouve bien que y compris dans la population non agricole il y a une prise de conscience importante. Et moi je pense qu’il y a une véritable urgence justement à ce que des gens qui ne produisent pas prennent conscience que le coeur de nos problématiques se situe dans cette réflexion sur l’agriculture.

Alors j’ai dit tout à l’heure : il y a deux grands systèmes : l’agriculture industrielle, l’agriculture ... ces deux grands systèmes sont en conflit. La position de la FNSEA, c’est de dire : il y a la place pour toutes les agricultures... c’est leur grand truc. Jusqu’à présent il n’y avait la place que pour une, c’était la leur, maintenant il y a la place pour toutes... Eh bien moi je dis non, il n’y a pas la place pour toutes. D’abord parce que l’agriculture industrielle, elle draine énormément de moyens, et tous ces moyens vont vers elle et pas vers l’autre ; ensuite parce que pour plein de raisons, il y a incompatibilité : les OGM c’est un exemple mais il y a beaucoup d’autres : les pollutions c’en est un autre, la logique dans laquelle ils sont... Moi j’ai une conception de l’agriculture paysanne qui recoupe celle de la Confédération paysanne, mais qui n’est pas exactement la même, mais la logique qui est à l’oeuvre n’est pas du tout la même. Les valeurs sur lesquelles fonctionnent ces agricultures ne sont pas les mêmes. Et il y a urgence, parce que, si vous voulez il y a un problème de terres par exemple, très important, et l’accaparement des terres par l’agriculture industrielle se fait au détriment de l’autre agriculture, et il y a une vraie défense à faire de l’agriculture paysanne par rapport à cet accaparement de terres, pour moi il y a un choix de société à faire en faveur de l’agriculture paysanne.

Pour finir, je veux rappeler qu’on assiste à pas mal de criminalisation des luttes paysannes. il y a beaucoup de morts, il y en a eu encore dernièrement au Paraguay, nous on a assisté en France à des paysans qui ont été mis en prison, pour les OGM... Mais l’illégalité en face, elle est considérable. Au Brésil par exemple, les OGM sont rentrés illégalement par l’Argentine. Cette illégalité là n’est jamais sanctionnée. C’est illégal quand les conventions collectives des ouvriers agricoles dans le sud de l’Espagne ne sont jamais respectées, il n’y a jamais de procès. C’est illégal de mettre en circulation des produits dont on sait parfaitement qu’ils sont nocifs, dans les pays du Sud, et même chez nous d’ailleurs...
Il y a une inégalité si je puis dire dans la manière de traiter les choses. Donc là aussi, je pense qu’il faudrait qu’il y ait un sursaut très important de la société pour se rendre compte de l’illégalité du système agro-industriel - quand on vire un chercheur parce qu’il fait quelque chose qui vous convient pas, c’est pareil. Quand on tue - ne parlons pas du nombre de paysans qui ont été tués, que ce soit en Indonésie, que ce soit au Mexique... - jamais de procès...
Donc c’est quelque chose de très important sur lequel il faut prendre conscience. Alors on est face à un conflit. Qui va gagner ? Je n’en sais rien, mais je pense qu’on est face à un véritable choix de société. C’est très important que l’ensemble des gens prenne conscience de ce choix de société, qu’il soit explicité. Parce que moi je prétend qu’il n’y a pas un seul gouvernement au monde - je dis bien au monde - y compris des gouvernements qui ont 70% de leur population qui est paysanne, qui donne la priorité à la paysannerie. Il n’y en a aucun. Donc si les gens ne se mobilisent pas pour ça, d’en haut on n’a pas grand chose à attendre...

A suivre, prochainement : la discussion lors de cette rencontre de Feurs...