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Liberté - Egalité - Fragilité

Pourquoi il faut faire très attention avec les écoles en R.E.P.

jeudi 5 février 2004, par Gérard Di Cicco

Au fronton de certaines écoles de la République, ce n’est pas seulement Liberté -Égalité qu’il faudrait écrire, gravé dans la pierre ou le béton. Mais, en lieu et place de Fraternité : Fragilité.

Ces écoles-là ne demandent pas de faveurs très spéciales comme l’air conditionné ou un ordinateur par élève ! Elles veulent juste qu’on prenne en compte l’importance de leur mission, au nom de l’équité républicaine qui veut " qu ‘on donne un peu plus à ceux qui ont moins ", qui sont nés et vivent dans d’étranges territoires de France où la vie est un peu plus difficile qu’ailleurs.

Ce principe affiché et revendiqué de distribution et d’attentions particulières n’a pas pour but de privilégier une sorte de citoyens au détriment des autres. C’est juste la République qui, et c’est tout à son honneur, prend en compte cette claire évidence : l’égalité des chances, l’accès au savoir et à l’emploi, passent par des aides et des moyens supplémentaires pour une partie de la population de ce pays.

Cette grande et belle idée a fonctionné pendant un peu plus de vingt années, accompagnée par une politique volontariste des Ministères de l’Éducation et de la Ville. Elle a, lentement et sûrement, permis à des centaines de milliers d’élèves d’oser espérer un peu plus que de rester dans leur condition première. Cela a également permis d’améliorer les conditions d’enseignement dans beaucoup d’établissements primaires et secondaires.

Malheureusement, pour des raisons d’économies budgétaires, on a taillé à la hache et ce depuis cinq ans dans des lignes comptables qui donnaient à cette politique scolaire forte et courageuse un élan et une cohérence prometteurs.

S’il y avait une mauvaise idée et un mauvais choix, c’était bien ceux-ci. On ne retire pas ses perfusions à un malade qui commence tout juste, et timidement, à sortir d’un coma profond !
Or, une partie du corps de la France souffre encore de métastases préoccupantes pour son état général : quartiers et banlieues indignes, logements sordides, discriminations, racisme, sexisme, et même, plus grave, laïcité en panne ou prise de folie légiférante.

Disons le haut et fort : une Politique de la Ville qui se contenterait de refaire les carrefours, de raser barres et tours ne serait pas constructrice de présent et encore moins porteuse d’avenir. Bien évidemment qu’il faut traiter en priorité le logement et l’emploi dans ces zones de relégation et d’exclusion ! Mais il faut également investir massivement dans l’humain, qui seul peut renouer patiemment les mailles d’un tissu social déchiré : dans les associations, dans les services sociaux, dans les organismes d’aides aux devoirs, à l’insertion et à la recherche d’emploi. Et, bien sûr, dans les écoles, les collèges, les lycées, les grandes Écoles et les Universités.

Les gestionnaires de la chose publique - la res publica - se doivent de dire que cela vaut le coût. On ne peut construire l’École du XXI e siècle avec des bouts de ficelle et des fonds de tiroir. Le dire est une tromperie. Le faire une escroquerie.

On entend dire et l’on peut lire, ici ou là, que la France est en panne. Certains affirment même, chiffres alarmants à l’appui, qu’elle a commencé sa chute, voire son déclin.
Ne nous y trompons pas : quand une Nation qui se veut et se dit moderne n’investit plus dans son éducation, dans sa recherche, elle recule, inexorablement, parce que dans le même temps les autres avancent, dans l’Europe ancienne et nouvelle, et ailleurs.

Ce n’est pas de bonnes paroles lénifiantes dont nous avons besoin. Encore moins d’une baisse de moyens. C’est avec un discours politique fort et réaliste suivi de décisions budgétaires volontaristes pour l’École et pour ces quartiers que cette nation pourra envisager un avenir plus serein pour tous ses concitoyens. Sans en oublier aucun sur le bord de la route ou dans un ascenseur social en panne.

J’affirme ici, sans aucun trouble de ma raison, qu’il y a des écoles, et des classes, qui doivent bénéficier, plus que d’autres, de moins d’élèves, de plus d’enseignants, d’assistants d’éducation, de sorties culturelles. Dans ces lieux et avec ces élèves, la sacro-sainte égalité républicaine n’est pas de mise. Supprimer des postes, instituer de fait des cours doubles, enlever des moyens d’encadrement, c’est déstabiliser irréversiblement des écoles déjà en équilibre instable. C’est, de fait, mettre en place, déjà, une École à deux vitesses : celle de ceux qui ont la chance et les moyens d’être dans des territoires favorisés et celles des
"autres".

J’ose espérer encore que cette " idée " d’un système public à deux vitesses apparaît intolérable pour bon nombre de démocrates. Elle signifierait purement et simplement l’abandon du rôle émancipateur et formateur de l’institution scolaire : l’abandon des valeurs laïques et républicaines qui ont fondé cette même École.

Des générations entières de citoyens, nés ici ou venus d’ailleurs, en ont profité et, en retour, ont, par leur compétence et leur travail, assuré la prospérité et la grandeur de cette Nation.

Une autre conséquence plus inquiétante serait l’exacerbation des tensions sociales et le développement dangereux d’un fort sentiment d’injustice. Et ce au moment même où un vaste plan d’ensemble est lancé faire entrer tous les " quartiers indignes " dans le giron républicain.
Il serait donc temps que les gestionnaires, et les politiques qui leur en donnent les moyens se ressaisissent. Qu’ils mesurent d’abord... les conséquences des mesures qu’ils vont prendre...
Qu’ils s’aperçoivent enfin que des centaines de milliers d’hommes et de femmes n’ont pas seulement besoin de belles et nobles paroles. Car eux sont sur le terrain - au front, pourrait-on même dire pour un certain nombre d’entre eux- où ils s’engagent, jour après jour. Pour certains, le découragement les gagne. Pour d’autres, le cynisme. Pour d’autres encore, comme moi-même, la révolte, et, les mauvais jours, la lassitude et l’écœurement.

Après le Grand Débat sur l’École, moment privilégié pour échanger et rêver un peu, la " réalité comptable " revient au galop et nous inflige son implacable " logique ". Qui n’a de logique que le nom, puisque allant à l’inverse même des buts fixés dans de généreuses et virtuelles déclarations d’intentions.
La question entière et récurrente reste donc posée : est-on prêt à mettre le prix pour donner réellement de vraies chances à tous ? S’en donnera-t’on vraiment les moyens ? Une nation comme la nôtre veut-elle et peut-elle encore le faire ?

Dans le cas contraire, alors oui, on peut parler de déclin.