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Après la conférence-débat à Firminy : "Islam : dangereux ou citoyen ?"

vendredi 15 avril 2005, par Vincent Bony

Le 8 avril a eu lieu à Firminy, dans la grande salle du Firmament, à l’occasion du centenaire de la loi sur la laïcité, une rencontre plutôt exceptionnelle à laquelle ont participé près de 500 personnes, pour écouter puis discuter avec MM. Ove Ullestad, de la Fédération Protestante de France, François Mourviller, représentant l’évêché de St-Etienne, Othmane Tallaboulma, Imam de la Grande Mosquée de Lyon, Michel Morineau, de la Ligue de l’Enseignement, et Tarik Ramadan, Professeur d’islamologie (Voir). Cette rencontre était animée par Abderrahman Bouzid et organisée par des associations locales de jeunes d’Unieux et Firminy (Jeunes et Vivre à Unieux et Espace Libre).
Voici ci-dessous "Quelques points forts retenus de manière sélective" par Vincent Bony. D’autres contributions suivront...

Intervention de Michel Morineau, président régional de la ligue de l’enseignement de Bourgogne concernant la loi sur la Laïcité

La loi de 1905 marque la rupture avec le concordat de 1801 mis en œuvre par Napoléon qui instaurait un contrôle réciproque entre Eglise Catholique et Etat, moyennant la rémunération par l’Etat de tous les ecclésiastiques pour leur mission d’utilité sociale.
La loi instituant la laïcité, comme séparation structurelle entre Eglise et Etat, est alors fondée sur le principe, énoncé en Article 1, d’un engagement de l’Etat à garantir dans le cadre de la laïcité :
- d’une part, la liberté de conscience individuelle,
- d’autre part, la liberté de culte dans sa dimension collective et publique.
Il s’agit donc d’une grande loi de liberté publique.

Ce n’est qu’ensuite, après avoir réaffirmé ces deux libertés, que l’article 2 stipule : "la République ne reconnaît et ne salarie aucun culte". Ne "reconnaît" c’est-à-dire ne privilégie aucun culte, tous sont égaux en droit. Cette loi n’accorde plus de spécificité à l’église catholique, mettant toutes les religions et confessions au même rang, comme simples éléments de la société civile régis par le droit privé, notamment à travers la loi sur les associations de 1901. Mais si le statut juridique des cultes devient privé, les pratiques religieuses restent dans le domaine public (cloches, processions, religieuses dans les hôpitaux publics...).

Seuls les troubles à l’ordre public peuvent entraîner l’intervention de la force publique dans les affaires religieuses.
Tel est le cadre républicain, qui a réussi à mettre fin à la "guerre entre les deux France" en garantissant l’unité au sein de la société nationale. Il ne s’agit en rien d’une loi contre la ou les religions, ni contre leurs pratiques individuelles ou collectives. Après plusieurs décennies d’opposition et de résistance, l’Eglise catholique a accepté, puis s’est appropriée, ce cadre légal comme base de sa pratique et de son implication dans la société civile et publique.

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la société française est prête à appliquer les mêmes principes, au sein du même cadre légal, à l’égard de la pratique de l’Islam qui s’affirme maintenant en son sein.

 Précision lors du débat :  Dans notre vécu historique, c’est la loi unique pour tous imposée par l’Etat républicain qui a réussi à construire une nation en effaçant les particularismes et les différences régionales au sein d’une France au départ très disparate. Et c’est l’école qui a été le pilier de cette uniformisation républicaine de la pensée permettant progressivement à tous les enfants de la république de se reconnaître d’une même nation avec un socle de valeurs devenues communes et reconnues par tous. Cet héritage est encore très prégnant dans les esprits notamment au sein de l’éducation nationale et ce n’est pas étonnant que ce soit là que se focalise la peur de perdre ce qui fait notre unité sociale si nous acceptons l’affirmation de différences enracinées dans une culture et des valeurs venant d’ailleurs.

Intervention de Othmane TALLABOULMA, Iman de la grande mosquée de Lyon "Qu’est-ce qu’un musulman ? Quel homme et quelle humanité l’Islam veut-il promouvoir ?"

La réalité des musulmans de France est regardée avec une grande curiosité. Elle est aux yeux de certains un obstacle à une intégration réussie. Pourtant, l’Islam a toujours appelé à la tolérance, à la paix, à aller vers les autres. Et la société française nous appelle à aller vers les autres. Alors pourquoi ce malentendu ?

L’Islam est fondamentalement une religion de Paix qui énonce des fondamentaux incontournables, ainsi qu’un ensemble de préceptes à respecter que les membres sont appelés à adapter en fonction de leur environnement. La logique est toujours d’opter pour le moindre mal en restant au plus prêt du respect des fondamentaux.
Ces fondamentaux ne sont pas dissociables. Etre musulman pratiquant ne peut pas se résumer à la seule pratique de la prière, du jeûne, de l’alimentation Halal ou à travers l’affichage de signes extérieurs. La pratique de l’Islam implique aussi de respecter la pratique du partage, de l’ouverture, du respect et du service aux autres hommes et femmes (et pas seulement aux membres de la communauté musulmane).
En Islam il n’y a pas de pratiques, de rites, de prières ou de jeûnes qui plaisent à Dieu s’ils ne vont pas de pair avec la patience envers les autres, le refus de rendre le mal pour le mal, l’absence de mensonge et de comportement humiliant, le renoncement au vol ou à l’exploitation d’autrui... La prière et l’adoration doivent trouver leur prolongement dans le comportement inscrit dans la vie sociale.

Concernant le port du voile pour les jeunes filles, Mr TALLABOULMA se positionne très clairement. Dans la logique du moindre mal face à un impératif imposé de l’extérieur, une jeune fille qui doit choisir entre l’accès au savoir et le respect du précepte de pudeur par le port du voile, doit tenir compte dans son choix de la priorité que donne l’Islam à l’accès à la connaissance.
D’autre part, en Islam, nul n’est en droit d’imposer un comportement religieux à autrui. Le choix du respect des pratiques religieuses et de la soumission aux préceptes islamiques appartient en conscience à chacun et chacune.

Intervention de Tariq RAMADAN, professeur en islamologie

La loi de 1905 constitue une base fiable de l’unité républicaine. Dans ce cadre, il est clairement possible de donner place aux spécificités et aux richesses de différents apports culturels et religieux au sein de la société, tout en garantissant la possibilité de vivre et de construire notre avenir ensemble.

L’adaptation des pratiques de Islam au sein des cultures occidentales est en cours. Cette adaptation de la pratique de l’islam au sein de la société appartient aux musulmans qui doivent en être les sujets ou acteurs, indépendamment des contraintes ou tutelles extérieures.
Nombre de musulmans citoyens des pays occidentaux réussissent ainsi à prendre place dans leur environnement social. Cette intégration ne signifie pas, au sens galvaudé du terme, que les citoyens français " issus de l’immigration, ou des immigrations " aient renoncé à leur histoire et à leurs racines. Cela implique, au contraire, qu’ils aient pu s’approprier le cadre républicain pour devenir sujet de leur histoire en pouvant s’affirmer à la fois français et musulmans dans leurs engagements au sein de la société française en pouvant être fiers de l’héritage que leur ont transmis leurs parents.
Il ne s’agit plus d’enfermer toute une partie de la population française derrière l’appellation "issus de l’immigration", même à la deuxième, troisième ou quatrième génération. Il s’agit pour cette partie de la population de pouvoir s’affirmer, au delà de la question religieuse, comme les héritiers de l’immigration dans une histoire française où chacun et chacune a sa place. Il s’agit pour elle de sortir des ghettos sociaux et culturels où elle se trouve reléguée par une succession de politiques sociales désastreuses.
L’éducation nationale doit aujourd’hui s’interroger sur ce qu’elle continue de transmettre aux nouvelles générations d’une histoire tronquée où une partie des citoyens n’est pas reconnue dans son apport à la construction collective. Comment un jeune, héritier de l’immigration effectuée par ses parents ou grand-parents en France peut se sentir institué dans son environnement social si cette expérience à la fois riche et profondément douloureuse dont il est issu n’est pas nommée, ni reconnue comme patrimoine du vécu collectif ? On a toujours négligé dans les programme d’enseignement de tenir compte de "qui je suis moi", "d’où je viens moi". Valoriser c’est donner crédit.

Aujourd’hui nous vivons dans l’aire de la suspicion réciproque où chacun projette sur l’autre les pensées, les jugements ou les comportements dont il se sent menacé et dont il a peur d’être victime. A force d’avoir peur de l’agression, du rejet, de la manipulation ou de l’injustice de la part de l’autre, chacun finit par déclencher ce dont il voudrait se protéger. Ensemble il nous faut oser aller vers l’ère de la rencontre et de l’écoute humble, décentrée et sans préjugé où l’on accepte d’entendre et de pouvoir comprendre ce que l’autre vit, ressent, ce qui l’anime, le sens de ses choix... par delà les différences et les peurs qu’elles suscitent. A celui ou celle qui demande quel peut bien être le sens du port du voile aujourd’hui pour une jeune fille vivant en France, il n’y a pas d’autre réponse que l’invitation à aller en parler avec celles qui sont concernées et font ce choix pour des raisons assurément plurielles. Face à celui et celle dont on perçoit les multiples préjugés et rejets à notre égard, il n’y a pas de meilleur chemin que d’aller à sa rencontre pour lui dire notre peur concernant ce qu’il nous semble penser de nous. C’est le meilleurs moyen pour s’assurer d’un changement de regard chez l’autre comme en nous même. Si au delà de l’échange, le rejet et la discrimination perçue continuent et se confirment de manière objective, c’est à la loi républicaine qu’il faut faire appel pour changer la situation.

Concernant le port du voile par les jeunes filles, il est juste d’affirmer qu’en Islam la logique du moindre mal prévaut et que l’accès à la connaissance est une priorité, particulièrement pour les jeunes filles de 13 à 17 ans en âge scolaire. Mais cela ne doit pas signifier que la loi interdisant le voile soit juste. Cette loi est contraire au principe même de la liberté de conscience et de culte. A travers l’ensemble des pays européens, nombre de responsables politiques et d’intellectuels dénoncent une telle loi. En Islam, nul n’a droit d’imposer une pratique religieuse ou le port d’un voile à une jeune fille, mais dans une république démocratique et laïque, fondée sur le respect des droits de l’Homme, nul ne devrait avoir le droit d’imposer à une jeune fille le retrait d’un voile qu’elle a choisi de mettre.
Ceci étant, il est urgent de dépassionner et de dé-médiatiser la question du voile qui ne fait que renforcer les préjugés et les replis communautaires de part et d’autre.

La France vit aujourd’hui une crise d’identité. C’est un pays qui a peur. La prise de conscience d’une présence de millions de musulmans, donne l’impression que " nous ne sommes plus chez nous ". La question c’est de gérer cette peur pas de la nier.
L’objectif aujourd’hui doit être de créer des ponts entre les uns et les autres. L’esprit et l’application de la loi de 1905 est le cadre qui peut permettre ce vivre ensemble dans le respect de l’affirmation de chacun. C’est ce que nous avons à construire ensemble.