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La suppression de la carte scolaire

Changer d’école ou changer l’école ?

jeudi 14 juin 2007, par Roger Dubien

Gravissime. Sarkozy et Darcos mettent donc en route la suppression de la carte scolaire, c’est-à-dire de l’affectation selon des règles géographiques des élèves dans les écoles primaires et dans les collèges. Ségolène Royal allait elle aussi dans le même sens, d’ailleurs, et ça avait fait quelques remous.
Dès la prochaine rentrée, le nombre de “dérogations” sera doublé, passant de 10 à 20% des élèves. Pour aller ensuite (2008 ? 2010 ?) vers la suppression de toute règle géographique d’inscription. Mais alors, comment se fera la décision et selon quelles règles et vers quoi va-t-on ?
On peut lire sur le site de l’”Observatoire des inégalités” (www.inegalites.fr) un texte de L. Maurin : “Assouplir la carte scolaire va profiter aux plus favorisés”, qui aide à comprendre de quoi il s’agit. Ce qui suit s’en inspire largement...

La fin de l’hypocrisie ? Et le droit pour chaque famille de choisir l’école de ses enfants ?

Voilà l’argument massue : on nous dit qu’il faut arrêter avec l’hypocrisie. Et on demande pourquoi chaque famille ne pourrait pas choisir "la meilleure école" pour ses enfants, puisque certains qui connaissent la musique le font déjà, alors pourquoi les autres n’y auraient-ils pas droit eux aussi ?... Décidément, les ultra-capitalistes savent s’appuyer sur les dégâts de leur politique pour aller plus loin.
Sortir de l’hypocrisie ? Oui, ce serait bien de discuter de la situation réelle. Elle est apparemment qu’environ 30% des enfants “échappent” à la carte scolaire : 20% en allant vers le privé (confessionnel essentiellement) - ce qui ne changera sans doute guère -, et 10% grâce aux dérogations.
Pour ce qui est du privé catholique, on le constate autour de nous, il ne recrute pas que dans les milieux aisés, et pas seulement sur une base confessionnelle. Une partie des catégories populaires - y compris des militants de mouvements laïques, et des familles d’origine maghrébine qui craignent une “ghettoïsation” et pensent qu’ainsi leurs enfants passeront mieux au travers des discriminations - met ses enfants dans le privé. Avec des résultats mitigés d’ailleurs, quand on en discute...
Pour ce qui est des dérogations dans le public (les 10%), une partie (la moitié ?) a quand même de bonnes raisons pour demander à inscrire ses enfants dans une autre école que celle proposée (travail, garde etc...). Pour l’autre partie, il s’agit d’une stratégie de contournement, une sorte de triche donc. Pour ne pas aller vers des écoles considérées comme concentrant des difficultés sociales et scolaires et surtout comme étant des "écoles ghettos".
Les dérogations concernent surtout l’école primaire. Au collège, le contournement prend déjà d’autres formes : le système des options permet par exemple de tourner le zonage géographique. Au lycée, le “tri” généralisé est déjà effectué.
L’argument avancé pour supprimer la carte scolaire est donc en fait qu’il faut supprimer les règles puisqu’il y a des “tricheurs” (5% ?). Supprimer les règles puisqu’une partie ne les respecte pas ? La dérive existe, généralisons la dérive ! Argument étonnant, par ces temps de “tolérance zéro” ... à moins qu’elle ne soit valable qu’à l’intention des mineurs des “quartiers”.
Et cette idée est couplée avec un gros mensonge : que chaque famille aura le droit d’inscrire ses enfants dans la meilleure école pour leur réussite, et que l’on refera comme cela de la “mixité sociale” .

Qui gagnera à la suppression des règles et à la mise en concurrence des écoles ?

Qui sont ceux qui contournent les obligations de la carte scolaire dans le public ? Le plus souvent semble-t-il des ménages parmi les plus diplômés. “la capacité à déroger à la règle augmente avec le niveau de diplôme : elle est inférieure à la moyenne chez les artisans, commerçants, agriculteurs et ouvriers, mais elle atteint 14,6 % chez les instituteurs et 18,6 % chez les professeurs. Eux-mêmes cherchent d’ailleurs parfois à quitter les établissements peu favorisés quand ils y enseignent.” (texte cité). Félicitations, pour certains qui connaissent le mieux les rouages du système et dont une partie de la fonction est d’enseigner le respect des règles...

Mais, si l’on ne change pas l’école, quelle sera la conséquence d’une suppression des règles et d’une mise en concurrence générale des écoles ?
- Est-ce que les familles les plus aisées vont aller mettre leurs enfants dans les écoles des quartiers populaires pour refaire de la mixité sociale ? Non.
- Celles des familles plutôt aisées et diplômées qui connaissent bien les rouages auront encore moins de scrupules à mettre leurs enfants dans les “meilleures” écoles, c’est à dire vu l’ambiance actuelle dans celles qui concentrent le moins de difficultés sociales.
- Quelques très bons élèves des quartiers populaires parviendront à y aller aussi, pour être l’exception qui confirme la règle et illustrer que “quand on veut on peut”. Ceci affaiblira un peu plus les écoles qu’ils vont quitter.
Les autres devront aller voir ailleurs, c’est à dire en général rester dans l’école où ils sont, difficultés ou pas. Car dans les établissements classés à tort ou à raison en haut du tableau, il va y avoir embouteillage et il faudra trier. Et est-ce qu’on va ouvrir de nouvelles classes ? Non, ce n’est pas prévu, au contraire, l’heure est à la suppression des classes et des postes d’enseignants.
Dans les collèges par exemple, les classes sont surchargées. Ainsi au collège Gambetta à St-Etienne, et alors qu’il y aura autant d’inscrits en 6ème à la prochaine rentrée, 2 fermetures de classes (sur 8 classes) sont annoncées. Donc, un sureffectif de 25 à 50 sera à répartir dans les autres classes. Que fera-t-on des nouveaux candidats, si du moins les enfants du quartier sont encore prioritaires ? Dans le primaire à St-Etienne, les suppressions de classes se multiplient, et le budget communal de l’éducation n’en finit pas de plonger...
Partout il faudra trier. Qui va arbitrer les inscriptions et le choix des élèves. La plupart des familles n’iront même pas “tenter leur chance” ou seront rejetées.

Si l’on continue à refuser de prendre à bras le corps une profonde transformation du système scolaire, dont l’objectif soit de permettre à chaque enfant de réussir, en y mettant les énormes moyens que cela exige, alors la mise en concurrence généralisée et ouverte entre écoles ne peut déboucher que sur une aggravation des inégalités et des difficultés pour la réussite des enfants des catégories populaires. Et sûrement pas sur une amélioration de la “mixité sociale”.

Et c’est bien ça le drame : dans ce qui se discute aujourd’hui autour de la carte scolaire, il n’est plus question d’essayer de changer l’école pour que tous les enfants réussissent, et d’abord ceux des milieux populaires. Il y a un renoncement à changer l’école. Alors on nous offre le droit de changer d’école, tout en sachant que cela sera impossible à l’immense majorité. La liberté de choix des familles populaires ressemblera à celle qu’on leur offre dans les magasins du hard discount.

L’action collective et solidaire, ou bien le chacun pour soi ?

Au fond, ceci est très significatif du projet néolibéral de Sarkozy. La force de la droite extrême, c’est qu’elle pousse plus loin le courant que nous subissons et intégrons depuis plus de 25 ans : on abandonne l’idée de changer vraiment les choses, on se résigne à ce qu’il n’y en n’ait pas pour tout le monde, alors : concurrence générale, chacun pour soi, que les plus forts et les plus malins gagnent, et on les connaît déjà.
Ce qui est "fort" là-dedans, c’est le côté apparemment “réaliste” : c’est vrai que par les temps qui courent, il paraît plus facile de s’en tirer tout seul que de construire des actions et des projets solidaires. Plus facile de changer d’école que de refuser les suppressions de postes et fermetures de classes, ou la grande misère budgétaire des écoles à St-Etienne par exemple. Comme il est plus facile de demander à faire des heures supplémentaires que d’obtenir des augmentations de salaires. Mais c’est un marché de dupes, et à ce petit jeu là, c’est la grande majorité qui perd, et surtout ceux dont les droits sont déjà si peu respectés.
Il n’y aura pas plus de mixité sociale et de réussite des enfants des catégories populaires, au contraire. “L’assouplissement va se transformer en un vaste jeu de choix de l’école, non pas pour les catégories populaires, mais pour les catégories situées juste en-dessous des plus favorisés, disons des 15 % de parents relativement diplômés.” (texte cité)
Si les mots ont un sens, cette politique est réactionnaire, inégalitaire, injuste, catastrophique pour des centaines de milliers d’enfants. Et ce n’est pas cela que souhaite la plupart des familles, ni des enseignants.

Changer l’école

L’autre voie est de changer l’école en profondeur, ce qui suppose de rediscuter de son rôle dans la société, et ce qui ne peut pas se faire sans y consacrer de gros moyens, humains et matériels.
Pour lutter contre l’échec scolaire, il est indispensable de renforcer considérablement les moyens des établissements les plus en difficultés.
Evidemment ça coûte plus cher au budget de l’Etat, et ce n’est pas compatible avec les milliards de cadeaux qui vont tomber de tous côtés pour les plus riches (voir texte cité : le milliard d’euros annoncé pour les ZEP ne représente qu’un cinquième de la suppression des droits de succession pour les plus riches !).

Egalité. Permettre la réussite de chaque enfant. Mettre en oeuvre une démarche et des moyens qui le permettent : ce sont ces idées là que nous devons mettre à l’ordre du jour dans les temps qui viennent.
Pour ce qui est de St-Etienne, un des atouts de la ville est que la mixité sociale y est une réalité dans les écoles. Une étude officielle a même estimé que c’est une des causes des résultats comparativement plutôt bons obtenus. Par contre les moyens consacrés à l’école publique sont scandaleusement faibles. Allons-nous tomber dans le piège du chacun pour soi qui nous est tendu ou bien trouver le chemin de l’action solidaire pour changer l’école ?