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Travailler et consommer moins ou autrement ?

lundi 3 avril 2006, par Jean Zin

Ce texte est publié sur le site personnel de Jean Zin et est une contribution au Forum Social de Bayonne qui aura lieu le 29 avril. Nous le republions avec son accord et nous l’en remercions.

La nécessité d’une décroissance matérielle est reconnue par tous les écologistes ainsi que la critique des illusions d’un développement durable. Rappel salutaire des contraintes écologiques, cela ne suffit pas à faire de la décroissance un programme politique pour autant. D’abord, parce que la décroissance matérielle ne signifie pas automatiquement une décroissance économique. La croissance du PIB est un indicateur monétaire (en partie donc annulée par l’inflation) et la croissance des services ou de l’immatériel se distingue par définition d’une croissance matérielle ! Malgré les dévoiements d’un développement prétendu durable, on ne peut confondre développement complexifiant et croissance matérielle. Ce n’est pas l’essentiel pourtant car, outre cet aspect "réducteur", le slogan de la décroissance a surtout l’inconvénient de se présenter comme une simple réduction quantitative : la même chose en moins, où la seule chose qu’on puisse faire c’est de se serrer la ceinture en espérant que ce soit assez massif pour avoir un effet global significatif (étant donné le nombre de pauvres et de miséreux dans le monde on devrait faire vraiment très fort pour peser dans la balance !).

Il faudrait à l’évidence construire un système de production alternatif sur d’autres bases plutôt que s’imaginer pouvoir réduire la croissance d’un système productiviste qui s’emballe au contraire à un rythme de plus en plus insoutenable ! Il n’y a pas d’autre solution que l’altermondialisme, c’est-à-dire une alternative locale au capitalisme globalisé. Une économie écologisée n’est pas une économie plus économe encore (!), mais une économie réinsérée dans son environnement, relocalisée et recentrée sur le développement humain. Il ne s’agit pas tant de produire moins mais autrement, il ne s’agit pas de réduction mais d’alternative, pas seulement de décroissance matérielle quantitative mais de développement humain et de qualité de la vie.

On vit de mythes plus qu’on ne croit, tout autant que des sauvages, même si on s’imagine être plus rationnels sous l’apparence de raisonnements qui se prétendent scientifiques parce que chiffrés ! Il est un fait que les chiffres sont un peu magiques, ils impressionnent, font autorité, vous clouent le bec, et il est frappant de voir comme on prend trop souvent, en économie, les chiffres pour la chose même, réduite à une pure abstraction uniforme où tout est pareil et interchangeable (règne de l’équivalence). Des calculs simplistes du genre de ceux de Malthus nous semblent encore implacables alors qu’ils sont démontrés entièrement faux (la croissance de la population n’est pas géométrique ni la croissance de la production arithmétique). De même qu’il n’y avait pour Malthus aucune autre voie de salut qu’une réduction de la population, c’est au nom d’une telle abstraction quantitative (la courbe de productivité) que la réduction du temps de travail est acceptée par toute la gauche française comme la solution au chômage, et par les écologistes comme la condition d’une décroissance que rien ne vient confirmer (cela supposerait au moins qu’il n’y ait plus aucun chômage, aucune capacité inemployée, plus aucun gain de productivité). Cette idéologie est profondément ancrée à gauche (j’y croyais naïvement moi-même), de l’ordre du mythe inquestionnable, mais pas seulement le fait que la réduction du temps de travail libèrerait des emplois et réduirait les consommations, il faut de plus que ce soit une mesure uniforme pour tous ! Une modulation selon les temps de la vie (formation, naissances, maladies, etc) serait pourtant beaucoup plus justifiée, mais on est bien dans l’abstraction généralisante et simplificatrice, dans une vue de l’esprit, dans l’idéologie qui couvre la réalité de sa représentation, dans un dogmatisme enfin (ce qu’est l’économie en grande partie depuis les physiocrates au moins, raillés par Voltaire dans "l’homme aux quarante écus" pour ne voir de valeur que dans la terre comme d’autres aujourd’hui ne voient de valeur que dans le temps de travail salarié !).

L’embêtant c’est que le travail se mesure de moins en moins au temps passé. L’embêtant avec les idéologies c’est qu’elles rencontrent des démentis du réel et mènent à l’échec (par aveuglement). On pourrait se dire que ce n’est pas si grave, que la RTT a des bons côtés pour une majorité de salariés (cadres et femmes). Seulement, c’est surtout une bonne raison pour ne rien faire et ne pas avoir de projet alternatif. Ce n’est point là son moindre défaut ! Le mythe de la simple "réduction" (du temps de travail, de la consommation, de la population) est l’alibi du conservatisme qui renonce à l’alternative, à de nouveaux droits ainsi qu’à un renversement complet de logique productive alors que notre entrée dans l’ère de l’information exige une révolution de notre organisation sociale et que les contraintes écologiques nous contraignent à une réorganisation de nos circuits de production (en privilégiant les circuits courts). Ce n’est pas tellement la réduction du temps de travail qu’il faut abandonner que son caractère uniforme et mythique de solution à tous nos maux. La RTT doit être encouragée (par un complément de revenu pour les temps partiels notamment) et non imposée identiquement à tous au nom d’une réduction globale mais c’est surtout le travail qui doit être changé et devenir plus épanouissant. La sortie du salariat grâce à un revenu garanti finançant les activités autonomes serait bien plus "décroissant" que la RTT qui ne peut rester notre unique horizon.

Il faut quitter l’abstraction d’une décroissance générale, d’un modèle réduit de la croissance économique où tout continuerait comme avant, pour un autre modèle, un autre système, une alternative fondée sur la relocalisation et le développement humain qui sont les deux piliers de l’altermondialisme. Là on n’est plus dans l’abstraction mais dans le concret de ce qu’on peut faire localement, au niveau environnemental comme au niveau humain, en utilisant tous les outils à notre disposition (réseaux numériques, monnaies locales, systèmes d’échanges locaux, coopératives municipales). Il n’y a pas forcément de quoi rêver (on voit vite ses limites), il faut être conscient que c’est une société à plusieurs vitesses (marché, Etat, associations, activités autonomes, insertion) mais c’est une façon aussi de reconstruire une convivialité perdue et une démocratie, qui s’est vidée de sens, à partir de rapports humains de face à face (qui ont aussi leurs violences, leurs rivalités).

On peut dégager quelques principes d’action (d’un pilotage démocratique) mais c’est aux citoyens à s’organiser localement, à reconstruire par le bas sans attendre de solutions miracles ou immédiates, sans tout attendre de l’Etat, ni s’imaginer pouvoir revenir en arrière. Ce n’est certes pas la préoccupation du moment et il faudra du temps pour cela sans aucun doute mais nous devons travailler pour l’avenir, ce que ne devrait pas oublier le mouvement actuel, à l’aube d’une ère nouvelle où il ne faudrait pas se tromper d’avenir. Car ce sera tout autre chose que le monde d’hier, un monde à inventer, à construire ensemble de nos mains, ici et maintenant.

Jean Zin.

1er avril 2006.

Messages

  • Vu sur le site
    http://www.actuchomage.org

    Gains de productivité du travail, durée du travail, chômage

    Au lieu de réduire la durée du travail, comme dans les années 1970, les gains de productivité du travail ont conduit à un chômage très important, parfois caché en mettant plus de la moitié des chômeurs en invalidité (Pays-Bas, Grande-Bretagne, Danemark).

    Les gains de productivité permettraient de réduire à quelques heures par semaine le travail nécessaire pour bien vivre, à condition de changer de modèle de société et de supprimer toutes les productions inutiles (par ailleurs nuisibles à l’avenir de la planète, donc au notre et à celui de nos enfants).

    Voir cet article :
    Gains de productivité du travail - 1997-2003

    http://travail-chomage.site.voila.fr/produc/gain_productiv.htm

    En France, la productivité du travail a augmenté de 17,22 % en sept ans, pour l’ensemble de l’activité nationale. Sans rien changer à la production de richesses du pays, le nombre d’emplois aurait pu être augmenté de 17,22 % en réduisant de 14,69 % la durée réelle du travail. En moyenne, avec des transferts d’emplois entre secteurs d’activité, le nombre d’emplois aurait augmenté de 4 284 500. Le chômage réel aurait beaucoup baissé.

    D’autres articles intéressants sur le site

    http://travail-chomage.site.voila.fr/index2.htm

    comme "Des mythes autour de l’emploi",
    "Chômage officiel et chômage réel en 2005",
    "Le modèle libéral britannique : emploi et chômage" ....

    Bonnes lectures, cela aide à réfléchir.

    Voir en ligne : Gains de productivité du travail - 1997-2003